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Mondiaux - Portrait d'Antonin Guigonnat : "Je suis plein de paradoxes, mais j’aime ça"

Julien Chesnais

Mis à jour 18/02/2021 à 16:40 GMT+1

MONDIAUX - Antonin Guigonnat, 29 ans, s’est longtemps heurté au plafond de la Coupe du monde avant de percer au Grand-Bornand, voilà trois ans, via un podium que personne n’attendait. L’enfant de Juvily, pour qui le ski de fond était une "punition", a fini par devenir champion du monde lors du relais mixte de Pokljuka. Portrait de ce personnage "atypique" de l’équipe de France.

Antonin Guigonnat, vice-champion du monde de mass-start en 2019

Crédit: Getty Images

Quand l’entraîneur du tir Patrick Favre débarque en équipe de France au printemps 2018, Antonin Guigonnat interroge ses collègues : "Et il a fait des résultats ?". On imagine leur embarras surpris, voire quelques moqueries, l’Italien n’étant tout de même pas n’importe qui (2e du classement général en 1995). "Je ne connaissais rien à son passé, en rigole-t-il aujourd’hui. Encore une fois, je me faisais rattraper par mon manque de culture du nordique."
Le biathlon, Antonin Guigonnat n’en a longtemps rien eu à secouer. La première fois qu’il a vu une course, c’était en vrai, pas à la télé, aux JO de Turin 2006. "Il faut dire qu’on n’avait pas le câble à la maison, raconte le papa, Pierre, à une époque où le biathlon ne passait que sur Eurosport. Et Antonin, il aimait être dehors.Pour les gamins, ici à la campagne, ça fait partie de l’éducation, de jouer dehors, d’avoir de la place, de se construire en faisant ses expériences."
Pas de Raphaël Poirée accroché en poster dans la chambre, donc. "Mon rêve, c’était de faire des cabanes, raconte-t-il. Et de fabriquer un arc pour tirer avec. Le but était de casser la vitre de la maison d’à côté, celle de mon grand-père… Quelque part, c’est vrai, j’avais déjà cette idée du tir." Né en 1991, Antonin a grandi à Juvigny, dans le plus petit village de l’agglomération d’Annemasse, à 200 mètres de la frontière suisse. Il s’est d’abord essayé au skateboard. "Mais j’étais nul", sourit-il. Idem pour le foot, que pratiquait l’un de ses voisins. "J’avais fait un essai. Mais les mecs de la ville me faisaient peur". Son truc, c’est plutôt le ski. Mais seulement l’alpin. Son père, élagueur l’été, est pisteur-secouriste à la station des Gets. Chaque week-end d’hiver, Antonin file dans les montagnes qui dominent sa campagne, à Morzine, d’où vient sa mère et son grand-père, Henri Tavernier, une célébrité locale qui avait transformé son atelier de tailleurs en magasin de sports à la création de la station d’Avoriaz dans les années 60. Il dévale ses premières pentes à deux ans. Pour lui, l’alpin, "c’est la classe”". Et le fond "une punition", quand il s’agit d’en faire à l’école.
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Antonin Guigonnat en 2014

Crédit: Getty Images

Le dernier choisi au pôle espoirs

Dans la famille, Cloé, la plus grande de ses trois sœurs, est la première à mordre au nordique. Un jour, Antonin est contraint de l’accompagner sur son lieu d’entraînement, dans le Massif des Brasses, à 40 minutes de route. Il s’étonne alors de voir des jeunes se marrer skis de fond aux pieds. "Leur grand jeu de l’entrainement, c’était de déchausser les skis, courir sur un des gars et le plaquer dans la neige en hurlant 'Michalak' ! C’est ce qui m’a donné envie." Il a 10 ans quand il s’inscrit au SC Villard-sur-Boëge et découvre alors cette chose "un peu étrange", qui consiste à s’allonger dans la neige pour faire du tir à la carabine. "C’était une initiation à 10 mètres. Je n’avais jamais vu de biathlon auparavant. Ça m’a intrigué. J’étais tout heureux d’essayer la première fois !".
Le choix de s’orienter vers le biathlon plutôt que le ski de fond s’est fait plus tard, à 14 ans. Dans des circonstances plutôt rocambolesques. Il subit une rupture des ligaments croisés en faisant … du ski alpin. La tuile : c’est l’hiver de détection pour intégrer le comité département de Haute-Savoie et le pôle espoirs du lycée Mont-Blanc de Passy, points de passage obligés vers le haut-niveau. "J’ai passé 3 mois en béquille et avec une attelle, mais j’avais à coeur de faire les sélections. J’ai pu faire les compétitions, mais seulement celles de biathlon. En ski de fond, ce n’était pas la peine, je n’avais pas du tout la préparation adéquate, notamment en classique." C’est donc en qualité de biathlète qu’il candidate. Et qu’il est pris. In-extremis. "J’ai vraiment été le dernier choisi. J’ai eu de la chance car c’était une année assez exceptionnelle où beaucoup de biathlètes ont pu rentrer. 7 garçons et 5 filles je crois. A titre de comparaison, ma petite soeur Gilonne, qui a 7 ans de moins que moi (et évolue cette saison en IBU Cup, ndlr), a été la seule biathlète à rentrer dans sa classe."

Des printemps dans les arbres

Samuel Chazelas, son entraîneur au sein du pôle espoirs, se souvient d’un jeune "avec un bon toucher de neige, une grosse caisse, enthousiaste et joueur, du genre à envoyer une figure dès qu’il y a une petite bosse." Côté résultats, rien de fou en revanche. "Il était toujours placé, sans forcément jouer les podiums. Son moteur n’était pas dans l’adversité, mais plutôt d’être bien dans un collectif, pour avancer et faire son bout de chemin comme ça. C’est seulement sur sa dernière année de lycée qu’il a bien progressé au point d’accrocher une première sélection aux Mondiaux Jeunes2010 à Torsby."
En Suède, Antonin décroche la médaille d’argent du relais avec Florent Claude (le grand frère de Fabien, qui représente désormais la Belgique) et Simon Desthieux, trois membres de la génération 1991 qui ont tous fini par intégrer le circuit Coupe du monde. "On avait globalement le même niveau et les mêmes qualités chez les jeunes et les juniors, relève Desthieux. Puis nos parcours se sont un peu séparés. Je suis tout de suite monté en Coupe du monde (dès 2012), lui est resté longtemps en IBU Cup." Durant six saisons, Antonin se heurte au plafond de la Coupe du monde, y fait quelques incursions mais sans jamais convaincre, la faute souvent à son tir debout, trop inconstant. Il végète en seconde division. Sans le sou. Pas évident quand on veut continuer à faire du biathlon. "Dans notre sport, soit tu es en Coupe du monde, soit tu t’arrêtes assez vite, relève-t-il. Il n’y a pas de circuit départemental."
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Antonin Guigonnat lors du sprint à Pokljuka le 8 décembre 2018

Crédit: Getty Images

Puisqu’il n’a pas les résultats suffisants pour bénéficier d’un contrat avec les douanes ou l’armée (comme c’est souvent le cas dans les sports d’hiver), il se met à travailler avec son père grâce à une convention d’insertion professionnelle négociée avec la région Rhône-Alpes et la FFS. Celui-ci dirige une entreprise d’élagage. Trois mois par an, d’avril à juin, Antonin grimpe donc dans les arbres, taille des haies, au milieu de la dizaine d’employés du papa. "C’était difficile physiquement, décrit Antonin. On partait tôt le matin sur le terrain, sous la pluie, sous le cagnard. Ça m’a permis de prendre du recul sur ma pratique, de me rendre compte de la chance inouïe que j’avais de pouvoir faire un sport à un niveau professionnel, même si je ne gagnais pas vraiment ma vie. Tout ça me motivait à vouloir repousser le plus loin possible cette échéance de la vraie vie. De base, je suis du partisan du moindre effort, un peu flemmard. Alors, si je peux obtenir des choses dans la facilité et dans le confort, je vais tout faire pour y arriver."
A l’été 2017, après un énième hiver à faire la navette entre l’IBU Cup et Coupe du monde, il se sait à la croisée des chemins. Il a déjà 26 ans. Des jeunes poussent à la porte et les places sont très chères en Coupe du monde. "Je sentais que je n’étais plus dans les papiers des entraîneurs. Pour continuer à faire du biathlon, je n’avais plus le choix. Je savais qu’on ne me garderait pas en équipe B. Il fallait que je m’impose en équipe A, Et pour être pris en A, il fallait que je brille en Coupe du monde."
La saison commence mal. Emilien Jacquelin, un petit talent qui monte, gagne à Sjusjoen en IBU Cup et lui est logiquement préféré pour les deux premières étapes de Coupe du monde à Ostersund et Hochfilzen. "J’étais effondré pour Antonin, se souvient Pierre Guigonnat. A l’occasion, je lui avais glissé:
- Dis donc, c’est bien ce qu’il fait Emilien ?
- Ouais, mais il s’est grillé pour le Grand-Bornand.
- Ah bon ?
- Ouais, parce que si l’on performe maintenant, on pourra aller au Grand-Bo, et pas lui.
J’ai trouvé ça incroyable de ressource de sa part. Je n’aurais pas su le consoler, et lui me dit de ne pas s’inquiéter."

La "petite larme" en sortant du tir

La prédiction d’Antonin se réalise. Il fait le doublé sprint-poursuite en IBU Cup à Lenzerheide et s’offre, au détriment de Jacquelin, une sélection en Coupe du monde au Grand-Bornand. C’est à son sens celle de la "dernière chance". Il ne la manquera pas. Le 15 décembre 2017, quand Antonin prend le départ du sprint avec le dossard 88, Johannes Boe a déjà course gagnée devant Martin Fourcade. Mais derrière, Simon Schempp, pointe à 42”. Il reste une ouverture pour monter sur la boîte... Antonin s’y engouffre, réalise un couché parfait puis se présente au debout, l’occasion de leur montrer à tous. "J’ai lâché un tir très instinctif, en laissant parler mon talent qui a souvent été remis en question par les entraîneurs. On me disait 'oui tu sais tirer vite, ça peut passer, mais ça ne va pas t’amener des résultats régulièrement'. A ce moment-là, j’ai eu envie de faire le truc pour moi, je n’avais plus de comptes à rendre."
Les cinq cibles tombent. La vague d’émotions monte. "Quand j’ai vu que j’étais 3e à la sortie du tir, j’ai presque eu une petite larme, en pleine course… Je réussissais enfin cette fameuse course à 100%." Devant un public électrisé par la performance de ce Français qu’elle n’attendait pas, Antonin franchit la ligne à une improbable 3e place. Il n’avait jamais fait mieux que 24e lors de ses 16 premières courses en Coupe du monde. Le bond est spectaculaire. Salvateur. L’émotion est d’autant plus grande que les deux monstres sacrés, Boe et Fourcade, l’accompagnent sur la boîte. Et toute la famille, les proches (et même les employés de l’entreprise d’élagage) sont là pour ce jour qui symbolisera non pas son jubilé mais son tremplin, le Grand-Bornand n’étant qu’à 40 minutes du fief des Guigonnat. "Ça a été un des plus beaux jours de ma vie", confie son père.
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Johannes Boe entouré de Martin Fourcade et Antonin Guigonnat au Grand-Bornand

Crédit: Getty Images

Desthieux : "C’est quelqu’un d’attachant, atypique. Il aime faire différemment"

Ce premier podium l’installe pour de bon en équipe de France, dans la grande. Il confirme en terminant 3e de la mass-start de Ruhpolding, valide son billet pour les Jeux Olympiques de Pyeongchang, puis remporte avec Anais Chevalier le single mixte de Kontiolahti, à l’aide d’un dernier tir supersonique à la "Lucky Luke". "Le Grand-Bornand m’a libéré, explique Antonin. Ça m’a donné de la légitimité auprès des entraineurs. Je me suis permis d’être plus transparent avec eux, sur ma manière de faire, du fait que je m’entraine sûrement moins que les autresmais que j’arrive à être performant quand même." Simon Desthieux confirme qu’il tranche un peu dans le milieu, pas du genre ultra-pointilleux, dingue du moindre détail. "C’est quelqu’un d’attachant, atypique. Il aime faire différemment. Mais il a confiance en ce qu’il fait. Et en ce qu’il est."
Antonin voit par exemple dans sa pratique intensive des jeux vidéos (Fortnite puis, depuis le premier confinement, Call of Duty War Zone) une "espèce de prépa mentale". "Je suis tellement concentré dans le jeu que je n’ai pas le temps de penser à autre chose, décrit-il. Il m’arrive de jouer toute la matinée, et quand j’éteins la console 4 ou 5h avant la course, c’est comme si j’avais utilisé mes techniques de préparation mentale. En terme de respiration, de relaxation et de concentration, je suis dans un état similaire, tout en m’étant amusé. C’est assez contradictoire avec l’idée qu’on se fait d’une préparation avant la compétition. Mais le fait est que j’ai été capable de faire des supers courses derrière."
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Antonin Guigonnat lors des Mondiaux d'Östersund

Crédit: Getty Images

"Je ne suis pas un athlète de haut-niveau à tous les niveaux"

Il poursuit :"Je ne suis pas un athlète de haut-niveau à tous les niveaux. Si un diététicien consultait le bilan de ce que j’ai mangé ces dernières années, il serait je pense dans le coma. Et le fait d’avoir obtenu des résultats n’a fait qu’empirer les choses. Le plaisir a amené au plaisir. C’est dur de se sortir de ça."
Il nuance quand même : "Je suis quelqu’un d’assez sain. J’ai des convictions écologiques, j’achète local, je fais mon jardin depuis des années (il habite désormais aux Contamines-Montjoie, avec sa compagne et ex-biathlète Enora Latuillière). J’essaie de me soigner de manière naturelle, non conventionnelle. Je ne prends pas de médicaments, je ne bois que de l’eau à l'entraînement, jamais de boisson énergétique. Mon mode de vie reste compatible avec la performance. Mais si j’essaie de boycotter un maximum les produits Monsanto, je mange quand même du chocolat Milka, je ne peux pas m’en empêcher. Je suis un peu trop addict au sucre, addict aux réseaux sociaux… Je suis conscient de ça, de tous mes côtés, bons ou mauvais. Je suis plein de paradoxes, mais j’aime ça en fait."
A l’heure d’attaquer ses deuxièmes Mondiaux à Pokljuka, le vice-champion du monde de la mass-start 2019 se voit bien poursuivre jusqu’aux JO 2026 de Milan-Cortina, où les épreuves de biathlon se déroulent sur le site d’Antholz-Anterselva. Il compte six podiums en Coupe du monde, un titre de vice-champion du monde (mass-start 2019). Pas de victoire encore. Mais celle-ci est tout sauf une obsession chez lui. L’essentiel est ailleurs. "C’est gratifiant d’être dans le haut du classement, j’ai envie d’améliorer mes meilleurs résultats. Mais je ne prends pas le départ pour être plus fort que les autres. Avoir désormais un soutien de l’armée (il est soldat 1re classe depuis 2018) et de sponsors (Salomon et Morzine, ville dont il est ambassadeur) me motive énormément. Ce n’était pas un rêve de jeunesse, mais c’est désormais mon métier, mon travail, en plus que ce soit un énorme plaisir au quotidien. Je crois que mon vrai objectif, c’est de vieillir en étant un sportif de haut-niveau qui gagne sa vie."
Sur Instagram, il avait rendu cette hommage à Martin Fourcade lorsque celui-ci a pris sa retraite, l’an dernier : "Je n’ai peut-être pas un rêve d’or et de neige, en tout cas pas autant que toi. Mais si on m’avait dit que je pourrais faire partie de ton équipe un jour, alors j’en aurais rêvé."
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Antonin Guigonnat et Martin Fourcade lors des JO 2018

Crédit: Getty Images

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