Entre ici, Martin Fourcade

On n'entre pas tous les jours dans la légende. Et les rares qui y sont parvenus vous le diront sans exception : il n'existe pas de raccourci vers l'éternité. Aucun. On ne débarque dans l'histoire par effraction. Ni par une porte dérobée. Parce que la grandeur ne s'offre pas à n'importe qui et n'importe comment. Martin Fourcade et une mass start ahurissante l'ont rappelé dimanche dans des proportions prodigieuses. Sur le fond. Comme sur la forme.

D'ailleurs, si l'on veut être totalement pertinent, il est indispensable de souligner que Martin Fourcade n'est pas entré dans l'histoire du biathlon. Il en était déjà l'un des acteurs majeurs depuis longtemps. Il ne s'est pas plus fait une place dans l'histoire du sport français. Il avait déjà son rond de serviette à la table des plus grands. Dimanche, le Catalan a réussi bien plus que cela : il a gravé son nom pour l'éternité. Parce qu'il est devenu l'olympien le plus titré des Jeux d'hiver devant la légende Killy.

Dépasser Jean-Claude Killy, référence absolue du sport français depuis son carton plein grenoblois, revêt un caractère mythique. Presque irrationnel. Killy, c'est la référence qui a perduré (et continuera de le faire) durant cinquante ans. Imaginez, un demi-siècle… Jean-Claude Killy, c'est un peu le général De Gaulle sur des skis. La statue du commandeur. Un exemple et une grandeur révolue que personne n'avait dépassé. Et puis il y a eu Fourcade.

Dimanche, le Pyrénéen n'a pas manqué de rappeler qu'il n'avait jamais couru derrière les sacres à gogo et que son cannibalisme n'était pas celui des chiffres mais de la victoire. Il n'en reste pas moins que cette faim de succès jamais assouvie, plus que des lauriers qui les accompagnent, l'a hissé tout là-haut. Aussi, Killy symbolise à ses yeux l'excellente olympique incarnée, avec laquelle le Catalan a grandi. En amoureux du sport et connaisseur de son l'histoire, il n'avait pas omis de le rappeler quand le quotidien L'Equipe avait récemment réuni les deux hommes. "Après les mots skis et fixations, le troisième mot qu'on apprend en faisant du ski, c'est Killy", avait-il confié devant son illustre prédécesseur. Difficile de rendre plus bel hommage.

L'autre facette de l'hommage indirectement rendu par Fourcade à Killy tient à l'immense combat que le sextuple vainqueur de la Coupe du monde a dû livrer pour réussir son carré d'or olympique. A une balle près, Martin Fourcade aurait terminé sa course en paradant, seul au monde. Peut-être se serait-il une nouvelle fois emparé d'un drapeau français pour le hisser haut une fois la ligne franchie. A la place, le champion s'est retrouvé les fesses dans la neige persuadé d'avoir, comme il y a quatre ans, laissé filer une occasion en or. La pénitence avant l'éternité, en quelque sorte.

"Une course à la hauteur de l'exploit que représente un quatrième titre olympique", a justement résumé Tony Estanguet, qui sait ce que gagner aux Jeux implique et représente. Avoir triomphé sur le fil - quatorze minuscules centimètres - au terme d'une course qui - on peut l'assurer sans se tromper - restera dans l'histoire du sport français, il n'y avait pas mieux pour s'ouvrir les portes du Panthéon. Entre ici, Martin Fourcade.