Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

Jeux Olympiques - Margot la "têtue" et Carla "la râleuse" : entretien avec les deux pionnières du bobsleigh

Julien Chesnais

Mis à jour 23/12/2021 à 14:20 GMT+1

BOBSLEIGH - En février prochain, le bobsleigh féminin français devrait pour la première fois être représenté aux Jeux Olympiques. La pilote Margot Boch est à l'origine de cette aventure débutée en 2018 en compagnie de la pousseuse Carla Sénéchal. Les deux Savoyardes nous ont raconté leur histoire. Entretien.

Margot Bock et Carla Sénéchal

Crédit: Eurosport

Depuis que la discipline a été ouverte aux femmes en 2002, aucun bobsleigh français féminin n'est allé aux Jeux Olympiques. Margot Boch (22 ans) pourrait donc être une pionnière, en monobob (nouvelle épreuve au programme à Pékin) et surtout en bob en à deux, où la pilote fait équipe depuis ses débuts en 2018 avec Carla Sénéchal (25 ans), la pousseuse. Le binôme, devenu inséparable, a vite gravi les échelons et occupe aujourd’hui la 14e place mondiale. Il est largement dans les temps pour finir, d’ici la fin de la coupe du monde mi-janvier, dans le top 20 qualificatif pour les Jeux Olympiques.
Pour espérer voir la Chine, Carla devra elle d’abord valider sa place … en interne. La FFSG, qui ne soutenait pas le projet à ses débuts, impose depuis l’an dernier une concurrence à son poste de pousseuse. Elle devra donc, le 1er janvier, terminer dans les deux premières lors d’un test de sélection qui implique quatre autres athlètes, dont l’ancienne cycliste Sandie Clair. La première sera titulaire pour accompagner Margot Boch à Pékin. La deuxième sera remplaçante. Avant que ne tombe ce couperet, les deux femmes nous ont raconté le lien fort qui les unit depuis bientôt quatre ans.
picture

Margot Bock et Carla Sénéchal

Crédit: Eurosport

Pour vous, Margot, le bobsleigh est une histoire de famille...
Margot Boch : Oui, mon grand-père a fait du bob sur route, l’ancienne version du bob actuel. Il se mettait sur des routes enneigées. Il n’y avait pas de virage, c’était vraiment rustique ! Mon papa a fait du bobsleigh, et il en fait encore d’ailleurs. J’ai grandi dans le village de Macôt, juste en dessous de la Plagne (où se trouve la seule piste de bob en France, ndlr). J’allais donc voir mon papa s'entraîner. Et suite à des discussions avec lui et Bruno Mingeon (pilote du seul bob français médaillé olympique, en 1998, et actuel entraîneur de l’équipe monégasque, ndlr), j’ai voulu essayer quand j’ai eu l’âge minimum requis, à 16 ans.
Avant cela, vous avez fait de la gym et surtout de la luge, entre 14 et 18 ans. Vous auriez d’ailleurs dû disputer vos premiers JO dans cette discipline, à Pyeongchang.
M.B. : J’avais le quota olympique, mais j’ai regardé les Jeux depuis la maison… La fédération a fait le choix de ne pas m’envoyer. Mais je le comprends aujourd’hui, je n’avais pas de grands résultats et je n’aurais pas pu performer.
Cette déception, c’est ce qui vous a fait bifurquer vers le bobsleigh ?
M.B. : Oui, c’est le point tournant… Avec le recul, c’est ce qui m’a donné la force de me battre davantage pour avoir des résultats.
Comment est né votre projet de constituer le premier bob féminin français aux JO ?
M.B. : J’ai dit à la fédé, à la fin d’hiver 2018, que je souhaitais me mettre au bob. J’ai cherché des filles qui pourraient faire partie de mon équipe, j’ai écrit à Carla sur Facebook, qui a accepté. On s’est rencontrées, on a fait des tests, on est parti en Allemagne (l’épicentre de la discipline, ndlr). Dès la première fois que je suis descendu dans un bob, je savais que c’était ça que je voulais faire, que c’était le bon choix. Tout s’est ensuite enchaîné très vite. On a fait la Coupe d’Europe, nos premiers podiums. On s’est qualifié pour la Coupe du monde dès notre deuxième saison, avec tout de suite un top 6 à La Plagne au mois de janvier 2020... Ça ne fait que 4 ans, mais en même temps ça fait déjà 4 ans !
picture

Margot Bock et Carla Sénéchal

Crédit: Eurosport

Vous passez combien de jours par an ensemble ?
M.B. : Beaucoup trop !
Carla Sénéchal : Je ne sais pas. Sur 365, on doit être 265 jours ensemble par an. Au moins.
Forcément, vous êtes devenues amies…
C.S. : On se le dit : on est amies, meilleures amies, sœurs... C’est comme ça, c’est évident ! Nos parents disent qu’on est un couple, ils n’arrivent pas à se positionner au milieu de nous ! Une vraie complicité s’est installée, une confiance. Et c’est la force de notre binôme.
Comment définiriez-vous le caractère de l’autre ?
C.S. : Elle est têtue ! C’est son défaut. Mais sa force est d’être très investie et déterminée. On est complémentaires. Elle a un tempérament très stressé alors que j’ai tendance à prendre du recul. Après, c’est vrai que je la protège beaucoup (rires) ! Elle est un peu comme ma petite soeur. On s’écoute l’une et l’autre, c’est une force.
M.B. : Carla, elle, est très râleuse ! Surtout pour la nourriture, et notamment en Allemagne quand elle voit la tête des plats allemands. Mais sinon elle est très déterminée pour atteindre ses objectifs et met tout en œuvre pour cela.
Pour vous Carla, le projet de Margot tombait à pic.
C.S. : Ah oui, vraiment, c’était le meilleur moment. Je le répète à chaque fois, et Margot le sait : c’était la chance de ma vie et un rêve qui devenait réalité. Cela faisait 16 ans que je faisais de l’athlé au niveau national. Et ça devenait compliqué. J’ai enchaîné neuf déchirures en trois ans, jamais au même endroit. Je n’en voyais plus la fin, j’avais l’impression d’avoir fait le tour. Le mois d'août, lors de la la trêve en athlé, j’étais en vacances et j’ai reçu ce message de Margot, que je ne connaissais pas. Elle me disait : “Voilà, je veux aller aux JO, je veux monter mon équipe”. J’ai dit oui tout de suite. C’était incroyable car j’avais toujours voulu faire du bobsleigh, mais je ne savais pas où aller, qui contacter. Je n’avais jamais entendu parler d’équipe féminine. Et ça tombait bien car j’avais entrepris des études à distance, pour être préparateur physique et coach sportif, donc ça ne me posait aucun problème de partir en saison avec Margot….
Vous dites avoir toujours voulu faire du bobsleigh ?
C.S. : J’aime la montagne, les sports de glisse, l’adrénaline, la vitesse… Je savais que les qualités d’un sprinteur étaient similaires aux qualités d’un pousseur. Dans la région, les pousseurs masculins de l’équipe de France sont tous passés par la case athlé. Je connaissais déjà Dorian Hauterville et Jérémie Boutherin, pour les avoir côtoyés en stage en sélection régionale. C’est pour ça que j’avais envie de faire du bob.
picture

Margot Bock et Carla Sénéchal

Crédit: Eurosport

D’où êtes-vous originaire ?
C.S. : Je suis né à Bordeaux.
Rien à voir donc !
C.S. : Oui ! En fait, mon papa aimait le ski et voulait qu’on soit le plus proche possible des montagnes. On s’est donc installés à Chambéry. J’avais 6 ans. On peut dire que je suis Savoyarde maintenant !
La Plagne, ce n’est pas trop loin de Chambéry ?
C.S. : Une heure de voiture. Ça se fait bien. On peut dire que c’est ma deuxième maison. Là-bas, je vais chez Margot !
Quelles sont les sensations, dans un bob est lancé à pleine vitesse ?
C.S. : Déjà, elles ne sont pas les mêmes que l’on soit pilote ou pousseur.
M.B : En tant que pilote, il y a de l’adrénaline mais aussi du stress, car on a quand même la vie de quelqu’un entre les mains. Je ressens des choses dans tout mon corps, des vibrations, des sensations de pression qui me permettent de piloter. J’ai la sensation, une fois que je saute dans le bob, que j’arrive à me calmer. Mais je pense que le coeur continue à monter en battements, avec les virages, le stress et tout ça ! On finit très essoufflé. Au final, je vois la piste, c’est moi qui emmène le bob, je sais ce que je fais. Alors que derrière, elles sont dans une machine à laver. Elles ne voient rien. Il faut qu’elles me fassent confiance.
Et vous lui faites confiance, Carla ?
C.S. : Oui ! Et d’ailleurs je ne fais confiance qu’à elle ! Je ne descendrais pas derrière un autre pilote que Margot. Il faut savoir aussi qu’on ne reçoit pas les “G” de la même manière, devant ou derrière. Marion les prend sur la tête. Et moi sur le dos.
Cela implique une préparation physique bien adaptée ?
C.S. : Oui, mais au final, on travaille tous les muscles du corps. Mais c’est vrai que les blessures au bob, c’est le dos. On a tous des petites hernies et le sacro-iliaque en mauvaise santé. Margot a plus “donné” que moi. Je me suis fracturé deux vertèbres. C’était à la Plagne. Je dépannais un pilote masculin qui n’avait pas de pousseur… Plus jamais je ne remonterai derrière ! C’était en 2017, avant que je commence à piloter.
picture

Margot Bock et Carla Sénéchal

Crédit: Eurosport

On atteint quelle vitesse dans un bob ?
M.B. : 130 km/h environ. Et le record est de 150. Pour les “G”, ça va entre 5 et 6. Ça dépend des pistes et des virages.
C.S. : Un G, ça représente une fois le poids du corps sur la personne. Donc 5 G pour nous qui faisons 70kg, ça fait 350 kg à supporter
Vous faites le même poids ?
C.S. : Oui, 70 kg !
Et pour quelle taille ?
C.S. : Je fais 1,68m.
M.B. : Et moi 1,62m… (rires). Mais faut pas le dire, car Carla dit trop souvent qu’elle est plus grande que moi ! Alors déjà qu’on est les plus petites du circuit… Les autres font toutes 1,80m pour 80 kg.
Le déficit de poids, c’est problématique en bob ?
C.S. : C’est compliqué. En fait, le poids total du bob et de l’équipage ne doit pas dépasser 330 kg. ll faut qu’on adapte le bob pour être au plus proche de cette limite. Plus on est en légère, plus le bob devra être lourd pour compenser. Et plus le bob est lourd, plus il est difficile à déplacer au départ… Donc on se bat pour prendre des kilos. On faisait 60-62 kg quand on a commencé .
Quel part de votre entraînement représente la musculation ?
M.B. : C’est quotidien. Et on la combine avec des séances de bob et le travail de sprint en athlé. On s'entraîne deux fois par jour, avec un jour de repos par semaine. C’est difficile à quantifier car un entraînement de bob, ça nous prend 4 heures alors qu’on ne fait que trois descentes.
picture

Margot Bock et Carla Sénéchal

Crédit: Eurosport

Par quelles émotions passe-t-on, avant de monter dans le bob ?
C.S. : C’est un sport qui demande beaucoup de concentration et pas mal de maturité. Avant une descente, on est toujours très concentré, dans notre bulle. Il faut qu’on soit sérieuses et appliquées. Mais la chute fait partie de notre discipline. C’est toujours dans un coin de notre tête mais ça ne doit pas être omniprésent. Car si on ne pense qu’à la chute, on ne pense plus à la performance. Alors autant arrêter.
M.B : Un peu comme en Formule 1. Il y a des pistes qui sont réputées “dangereuses” parce qu’elles sont plus rapides ou plus techniques. Et quand on voit beaucoup de chutes, oui, il y a une montée de stress et d’adrénaline.
Et comment est-elle, la piste des JO, à Yanqing ?
M.B. : Elle est très technique, le pilotage va énormément compter. La moindre faute va faire perdre beaucoup de temps. Il faudra être le plus propre possible et limiter les fautes. Au vu de l’expérience qu’on a eu (en octobre dernier lors d’une compétition test, ndlr), très peu de pilotes, voire aucune, ne fera quatre descentes sans faute.
Enfin, la question qui tue : dans le camion pour se rendre aux compétitions, qui pilote ?
C.S. : (Rires) On fait a minima des trajets de 800 kilomètres. Donc là, on est obligé de tourner toutes les deux !
Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité