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Ali est-il vraiment le plus grand ?

Laurent Vergne

Mis à jour 05/06/2016 à 01:15 GMT+2

Du temps de sa gloire, après sa retraite, avant sa mort et plus encore après celle-ci, Mohamed Ali a été et est souvent présenté comme "le plus grand boxeur" de l'histoire. Un terme sans doute mal approprié.

Mohamed Ali

Crédit: Panoramic

Il s'était autoproclamé "The Greatest". Le plus grand. La force de cette assertion, c'est qu'elle avait été assenée alors que Mohamed Ali n'avait pas encore le monde à ses pieds. Il s'appelait encore Cassius Marcellus Clay, n'avait que 22 ans et se trouvait en plein milieu de son tout premier championnat du monde. En expédiant Sonny Liston au tapis, Clay se met à hurler "I am the greatest, I am the greatest". Mais Clay-Ali était-il vraiment le plus grand boxeur de tous les temps ? Et que signifie, d'ailleurs, "le plus grand" ? Que met-on derrière cela ? Le débat se pose dans tous les sports, individuels et même collectifs. Federer, Laver, Sampras ou Rosewall ? Pelé, Messi ou Maradona ? Et ainsi de suite. A condition de ne pas le prendre trop au sérieux, ce type de débat est un jeu passionnant. Il n'en résulte pas une vérité scientifique, mais des points de vue, au sens littéral. Car tout dépend d'où on choisit d'observer la chose.
Si l'on effectuait un sondage auprès du grand public, du profane, nul doute que Mohamed Ali ressortirait loin devant tous les autres. Parce que sa personnalité écrase tout. Ali est le boxeur le plus célèbre de l'histoire. Le plus charismatique. Il en est le personnage le plus symbolique. Une sorte de porte-étendard. Si Ali est jugé par beaucoup comme "le plus grand", c'est avant tout parce que sa notoriété, et plus encore son impact dans la société, ont dépassé de très loin le cadre de son sport et même du sport en général. Ali a abattu toutes les frontières, au sens figuré donc, mais aussi au sens propre. Car il était une figure mondialement reconnue et, le plus souvent, admirée. Il a divisé dans son propre pays, mais a été accueilli en héros en Afrique noire, à l'image du combat contre Foreman à Kinshasa.
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Mohamed Ali en 1976

Crédit: Panoramic

Invité chez Pivot avec Jean Cau

Du temps de sa splendeur, dans les années 70, il a combattu au Zaïre, donc, mais aussi aux Philippines ou aux Bahamas. Et c'était pour lui et personne d'autre que lui. Foreman-Frazier n'aurait pas été monté à Manille. Ali-Frazier, oui. Il était réclamé en Iran, en Europe occidentale et même en... URSS, en pleine guerre froide. Il existe des dizaines d'exemples de l'énormité de l'impact de la figure "aliesque". Certains n’ont l’air de rien, mais ils disent tout : lorsqu'il publia sa première autobiographie, en 1976, il fut invité en France dans la fameuse émission Apostrophes. Pas pour son oeuvre, mais parce que, sans être un auteur, et sans que son livre soit un objet littéraire, sa personnalité justifiait qu'on le plaçât face à des interlocuteurs comme Salinger ou Jean Cau, l'ancien secrétaire de Sartre. Peut-on imaginer un autre sportif dans un tel contexte ?
C'est évidemment, aussi, la trajectoire exceptionnelle de Mohamed Ali qui l'impose comme un repère incontournable dans l'histoire de la boxe et du sport. Champion du monde, déchu de son titre sans avoir été battu, privé de son métier pendant près de quatre ans, préférant le risque de la prison à l'abandon de ses convictions (que chacun pouvait ou non partager, là n'est pas la question). Les deux seuls boxeurs qui s'approchent, sans le tutoyer, de l'impact politico-social d'Ali, sont Jack Johnson et Joe Louis.
Johnson, emblème de la cause noire, parce qu'il était devenu le premier champion du monde noir des poids lourds. Louis, parce qu'il a combattu Max Schmeling, le grand champion allemand, à l'aube de la Seconde Guerre mondiale. En lui, Ali portait un peu l'héritage de l'un et de l'autre. Mais avec sa propre trajectoire. D'ailleurs, Louis s'est engagé lors de la Seconde Guerre mondiale, pour "gagner cette guerre au nom de dieu", quand Ali, lui, a tourné le dos à un autre conflit parce qu'il le jugeait absurde.
C'est pour tout cela, et pas seulement pour ses trois titres mondiaux et ses 20 ans de carrière, que Mohamed Ali est le plus souvent considéré comme "le plus grand". Bien sûr, on pourrait ne tenir compte que des critères purement sportifs et pugilistiques, mais la personnalité ne fait-elle pas partie intégrante d'un champion ? Reste que, bien évidemment, s'il était aussi cela, Mohamed Ali était d'abord un gigantesque boxeur, qui a révolutionné la catégorie des poids lourds. Il y a pourtant sans doute eu des boxeurs plus accomplis que lui. Rien que dans sa catégorie, on peut arguer que Joe Louis lui était globalement supérieur. Et Sugar Ray Robinson, le génie des poids moyens, aussi. LE boxeur par définition.
Ne regardez pas ses gants, ses bras ou ses jambes. Etudiez son cerveau
Au milieu de la foule d'arguments qui traversent la boxe depuis un demi-siècle sur le débat autour de la place d'Ali dans l'histoire, celui de Jose Torres est particulièrement intéressant. Torres a été champion du monde des mi-lourds, au moment où Ali commençait à régner dans la catégorie supérieure. Il a même été question qu'il soit un de ses challengers chez les lourds. Puis Torres a perdu son titre et pris sa retraite. Epris de littérature et d'écriture, il commença à utiliser sa plume à la place de ses gants et a même collaboré au New York Times avec Norman Mailer. C'est ce dernier qui l'incita à écrire une biographie de Mohamed Ali. La toute première, baptisée "Pique comme une abeille". Elle est sortie en 1971, au moment du retour d'Ali contre Frazier.
Torres y donne sa vision de la "grandeur" de Mohamed Ali : "Ali n'est pas un grand boxeur dans le sens classique du terme, comme Ray Sugar Robinson, Willie Pep ou Joe Louis. Chacun de ses boxeurs connaissait tous les mouvements, toutes les combinaisons, et ajoutait des éléments de leur personnalité à cette immense connaissance. Mohamed Ali n'a pas la puissance de Robinson, la vitesse de bras de Louis et ne se déplace pas comme Pep. Ali est pourtant le champion qui domine son époque. L'explication est simple : il possède un génie qu'aucun autre n'a eu avant lui. Pour le comprendre, ne regardez pas ses gants, ses bras ou ses jambes, quand il combat. Etudiez son cerveau."
Alors, le plus grand, peut-être pas. A chacun de trancher selon sa sensibilité. Mais le plus important, oui, sans aucun doute. Il y aura peut-être, un jour, un autre Sugar Ray Robinson, un boxeur aussi pur, aussi accompli. Mais il n'y aura jamais une autre figure comme celle d'Ali. Parce qu'à défaut d'être le plus grand, il était absolument unique. Le plus grand, Ali ? Le terme est, en fait, trop étroit pour lui...
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Mohamed Ali

Crédit: AFP

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