Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

UCI TCL Berlin | Taky Marie-Divine Kouamé : "Il fallait que je change de route"

Julien Chesnais

Mis à jour 18/11/2022 à 14:17 GMT+1

LIGUES DES CHAMPIONS SUR PISTE - Révélation des Mondiaux de Saint-Quentin-en-Yvelines, où elle a remporté le 500m, Taky Marie-Divine Kouamé découvre cette année la TCL. Avant la 2e manche à Berlin, la Francilienne de 20 ans nous a accordé un entretien où elle se livre sur son parcours et le déclic produit par l'arrivée de Grégory Baugé, en mars, au poste d'entraîneur national.

Kouamé perd d'un fil, Gros également éliminée du keirin

Il n'a pas manqué grand-chose à Taky Marie-Divine Kouamé pour passer un tour lors de sa découverte de la Ligue des Champions sur piste, samedi dernier à Majorque. Sautée sur le fil dans sa série en vitesse, la Francilienne a ensuite raté d'un souffle la 2e place qualificative pour la finale du keirin. Prometteur mais frustrant. "C'est quand même une compétition cruelle, sourit la Française de 20 ans. Soit tu gagnes, soit t'es éliminée. Mais je pense que ça peut le faire sur les autres manches." Avant de s'envoler pour Berlin, où se tient le 2e acte, la native de Créteil a pris le temps de nous raconter son parcours lors d'une demi-heure d'interview.
Si votre titre mondial sur 500m, le 15 octobre dernier, a été une surprise pour tous, l'était-ce aussi pour vous ?
Taky Marie-Divine Kouamé : Deux semaines avant les Mondiaux, jamais je n'aurais cru que j'allais être championne du monde. Mais quand les Mondiaux ont commencé, tout a changé dans mon esprit. Quand on voit le public, quand on voit l'ambiance, ça laisse place au rêve. Après la vitesse par équipes et le titre de Mathilde (en vitesse), quand je suis allée aux qualifs du 500, c'était clairement pour gagner. J'avais envie de gagner. C'était l'objectif. Après les qualifications (2e temps), je me suis dit que j'avais pas du tout envie de faire deuxième. Je prenais le départ de la finale pour améliorer mon temps, clairement.
picture

Sur 500 m, la plus rapide, c'est Kouamé : revivez son sacre mondial

Les grands rendez-vous vous transcendent plus qu'ils ne vous inhibent.
T.M.D.K. : Ah oui oui ! Encore plus devant le public français qui m'a poussée comme jamais, devant la famille. Je préfère largement la compétition à l'entraînement. En compet', j'arrive à me transcender, à élever mon niveau.
Vous signez 32"835 en finale, soit une seconde de mieux que le record de France que vous déteniez déjà depuis juillet lors des championnats d'Europe Espoirs. Comment expliquez-vous cette progression express ?
T.M.D.K. : Franchement, je n'aurais jamais imaginé gagner une seconde et demie en quelques mois. Je n'arrive pas à l'expliquer… Enfin si. On a travaillé, j'ai perdu du poids, j'ai optimisé l'alimentation, la récup etc. Je me suis professionnalisée, entre guillemets, dans ce que je faisais. Quand j'ai commencé ma saison à Glasgow (en avril), je n'avais pas du tout la même hygiène de vie qu'aux Mondiaux.
Et pourquoi ce déclic ?
T.M.D.K. : Déjà, l'arrivée de Greg (Grégory Baugé, le nouvel entraîneur national du sprint depuis mars) a quand même imposé une certaine rigueur. Au départ, c'était plutôt un bras de fer qu'un match d'équipe (sic) ! Je n'avais pas la même idée que lui sur ce qu'est le sport de haut niveau. Et puis arrive la Coupe du monde de Glasgow… J'ai 10 kg en trop, je me fais balader partout, en 500m comme en vitesse par équipes. C'était n'importe quoi. Et quand on rentre, forcément, on se remet en question. On se rend compte que c'est normal de s'être fait balader, puisqu'on n'a pas fait le métier. On prend conscience de tout ça.
picture

Taky Marie-Divine Kouame champion du monde du 500 mètre le 15 octobre 2022 à Saint-Quentin-en-Yvelines

Crédit: Getty Images

Qu'avez-vous mis en place ?
T.M.D.K. : On essaie d'optimiser ce qu'on peut optimiser, en tout cas où l'on peut le maîtriser. Je ne suis pas maître de l'entraînement, je fais à l'entraînement ce qu'on me dit. Mais pour l'alimentation, j'estime qu'il n'y a que moi qui peut maîtriser ce sujet. Greg, ce n'est pas lui qui va mettre ce que je mange dans ma bouche ! Et à ce niveau-là, j'ai fait beaucoup d'effort. Mon état d'esprit a grandement changé quand je me suis rendu compte que finalement, les JO se préparaient dès Glasgow. On les préparait déjà dans mon esprit, mais je n'avais pas conscience de ce qu'étaient les JO. Les Mondiaux à la maison, non plus. C'est au fur et à mesure de l'année, et des sorties internationales, que je me suis rendu compte qu'il allait falloir bosser et se remettre en question.
Et vous avez réussi à le faire.
T.M.D.K. : Oui je pense.
Combien de poids avez-vous perdu en 6 mois ?
T.M.D.K. : 8 kg. C'était radical. Mais je les ai perdus progressivement. C'est vraiment à partir de Cali (juillet) que j'ai senti la différence. J'avais l'impression de faire corps avec mon vélo, de maîtriser tout ça, des sensations que je n'avais jamais eu avant, je crois.
Dans les catégories jeunes, on vous décrivait déjà comme un talent à polir, que vous tardiez à exprimer votre plein potentiel.
T.M.D.K. : Oui exact. Il y avait toujours un "Oui, mais …"
picture

Taky Marie-Divine Kouame et Fuko Umekawa lors des Championnats du monde 2022 à Saint-Quentin-en-Yvelines

Crédit: Getty Images

Et comment vous l'expliquez ce "oui mais" ?
T.M.D.K. : Je pense que c'était un manque de rigueur. En fait, je n'avais peut-être pas conscience de tout ce qu'implique le sport de haut-niveau. C'était comme à l'école en fait. Je m'en sortais sans faire les devoirs. Et à l'entraînement, c'était pareil ! Je faisais le minimum. Mais plus on avance … On est tous talentueux, donc ce n'est que le travail, la rigueur, qui va primer. Le talent ne suffit plus.
Et il a donc fallu l'arrivée de Grégory Baugé pour cela ?
T.M.D.K. : Quand je dis que c'était un bras de fer, c'était vraiment un bras de fer ! Ce qui me proposait ne m'allait pas, sa façon de faire ne n'allait pas… On n'était pas sur la même longueur d'onde ! Il a été dur. Mais c'est ce qu'il fallait en fait. Il était passé par là. En fait, tout ce que j'ai vécu, il l'a potentiellement vécu aussi. Ça m'a fait prendre conscience que je n'étais pas du tout sur le bon chemin. Il fallait que je change de route.
Et maintenant vous l'êtes ?
T.M.D.K. : Oui je pense (sourire).
Quand vous dites qu'il a vécu ce que vous avez vécu, que voulez-vous dire ?
T.M.D.K. : Bah, il a connu des années en pôle, l'INSEP. Moi j'étais plutôt au pôle de Bourges (de 2018 à 2020 avant qu'elle ne rejoigne le pôle olympique de SQY). Il a connu le vélo très jeune, comme moi. On est passé par les mêmes clubs, j'ai connu l'US Créteil, etc. Lui, le poids, ça a été un handicap pendant longtemps, donc il s'est beaucoup concentré sur l'alimentation, il a dû optimiser tous les à-côtés. Lui aussi avait un talent pur, entre guillemets, qu'il a dû apprivoiser et se mettre au travail. Je trouve que nos parcours, et même dans ce qu'il me raconte, se ressemblent.
Le vôtre, de parcours cycliste, débute par l'intermédiaire du monsieur de la cantine de votre école à Coudray-Montceaux, Gilbert Rousseau, président du club de la ville.
T.M.D.K. : J'étais toute petite, je devais avoir 3 ou 4 ans. A chaque fois qu'on passait au self il nous disait : "Oh, t'as des jambes de cycliste et tout, viens dans mon club, tu serais super forte !" Avec les copains, c'est devenu notre excuse pour se retrouver les mercredi après-midi à l'entraînement. J'habite dans un petit quartier, donc on est vraiment tous voisins, et Gilbert Rousseau était aussi mon voisin. Quand j'ouvre ma porte je suis devant chez lui quoi !
On se retrouvait tous devant la maison, on allait sur le parking de l'école et puis on s'entrainait, on faisait des jeux, des sprints... Ça a commencé comme ça. Au début c'était vraiment pour être avec les copains, pas du tout dans l'espoir de faire carrière.
Et quand Gilbert Rousseau part en Guadeloupe, vous changez de club en minimes 2 pour rejoindre le Team 94 de Patrice Lerus, à Villeneuve-Saint-Georges. C'est lui qui vous introduit à la piste. Mais il a dû un peu insister pour cela !
T.M.D.K. : Oui, oui, oui… Car au départ, mes modèles, c'étaient des routiers ! Je ne connaissais pas du tout la piste, je n'en avais pas une très bonne image. Mais Patrice m'a proposé d'essayer. On a fait un tour sur la piste de l'INSEP, et quand j'ai découvert les sensations, je me suis dit que c'était ce que je voulais faire en fait ! Sur la route, j'arrivais à une période où je commençais à être dans le dur, étant donné la masse musculaire et tout qui se développait. Alors que sur la piste, j'ai pu exploiter tout mon potentiel, les sensations étaient incroyables. J'ai fait mes premiers championnats de France, les stages avec l'équipe de France, mes premiers championnats d'Europe, mes premiers Mondiaux où je gagne le 500m (chez les juniors, en 2019). Et là, c'était parti.
Qui étaient vos modèles sur la route ?
T.M.D.K. : Je me voyais avoir une carrière à la Jeannie Longo ! Je la voyais et je me disais : "Ah ouai moi je veux ça !"
Vous regardiez beaucoup de courses à la télé ?
T.M.D.K. : Gilbert nous forçait un peu ! L'été, il nous faisait nous asseoir dans son salon et il commentait les courses. A l'époque, Kevin Réza était professionnel. C'est un Noir, donc Gilbert était vraiment très, très, très enjoué qu'il soit là sur le Tour de France. Donc il nous faisait regarder les étapes et on faisait des barbecues en même temps. On était un peu obligés, mais c'était sympa quand même !
Vous parlez de Kévin Reza. De quelle manière vous projetiez-vous, petite, dans un sport, le cyclisme, où il y a si peu de diversité ? Quel impact cela a-t-il eu sur les rêves que vous avez pu nourrir ?
T.M.D.K. : En fait, je ne me suis pas tant posé la question. Pas tout de suite en tout cas. J'ai grandi en région parisienne, donc il y a de tout, des Noirs, des Arabes, etc… On était tous mélangés. C'est après quand j'ai commencé à faire des sélections, des championnats de France, que je me suis rendu compte : tiens, finalement, on n'est pas tant que ça ! Et donc, au fur et à mesure du temps, j'ai vécu quelques injustices qui, effectivement, ont fait remettre en question tout ça. Vivre ce genre d'injustices, c'est pas un rêve quoi. J'aurais potentiellement préféré partir plutôt que de rester dans cette situation. J'ai pris conscience qu'il y avait une différence. Pour moi, on était tous pareils. Mais non… C'est vrai qu'il y a eu une phase où je me suis demandé : Est-ce que ma place est là ? Est-ce que j'ai envie de vivre ça ? Est-ce que je suis prête à me battre contre ça ? Est-ce que j'ai envie de porter ce poids ? Et puis, au fur et à mesure, j'ai grandi, pris de la maturité, et il y a eu des gens qui se sont identifiés à moi... J'ai eu beaucoup de soutien, je me suis rendu compte que c'était une niche, les gens qui étaient comme ça, que tout le monde n'était pas comme ça. Voilà, on relativise. Et j'ai eu des parents qui sont intelligents, qui m'ont parlé, encouragé.
Vous évoquez des gens qui s'identifient à vous. Vous faites office de rôle modèle, désormais.
T.M.D.K. : Ouais, bon c'est vrai que … En fait, je n'aime pas ce rôle, je ne voulais pas être un modèle. Je voulais vraiment passer inaperçue, être comme tout le monde. Et malgré moi, en vrai, je me rends compte … Je reçois des messages, surtout depuis titre, qui me font dire qu'il va falloir que le prenne, ce rôle.
Comme s'il s'imposait à vous ?
T.M.D.K. : Oui… Il faut que je l'accepte quoi.
Pour conclure sur les JO 2024, qui se dérouleront dans le vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines (où aura lieu aussi la 3e manche de la TCL, le 26 novembre), sur quelle discipline misez-vous le plus sachant que le 500m n'est pas au programme ?
Déjà, on met une grosse pièce sur la vitesse par équipes. Mais franchement, j'ai l'espoir de ramener une médaille dans chacune des trois disciplines. J'ai gagné le 500m, oui, mais on bosse pour être performant en vitesse et en keirin. Le 500m, ce n'est vraiment que du bonus !
Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Partager cet article
Publicité
Publicité