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11-Novembre : Le soldat inconnu a peut-être fait le Tour de France

Béatrice Houchard

Mis à jour 11/11/2018 à 10:17 GMT+1

Il y a l’enfer de la guerre et l’enfer du Nord de Paris-Roubaix ; les tranchées de l’Artois et la trouée d’Arenberg ; les millions de morts de la guerre de 14-18, achevée il y a cent ans. Parmi eux, trois vainqueurs du Tour de France.

François Faber en 1910

Crédit: AFP

Doullens, pour moi, ce fut longtemps le nom d’un des hauts lieux de Paris-Roubaix, une côte où se faisait jadis la décision. Quant à "l’Enfer du Nord", je n’y voyais qu’une aimable métaphore : aussi dure que fût la course, il ne fallait tout de même pas exagérer, ce n’était que du vélo.
J’avais tort : Doullens, c’est la ville de la Somme où les états-majors français et anglais se réunirent le 26 mars 1918 pour constituer un commandement unique autour du maréchal Foch, avant l’offensive finale. Et la première fois qu’il fut question de l’enfer du Nord, ce fut pour évoquer la guerre, les tranchées de Souchez et de Vimy précédant la trouée d’Arenberg.
Envoyés par Henri Desgrange pour imaginer l’itinéraire d’un Paris-Roubaix qui ne pouvait plus passer par Arras, où tout n’était plus que trous, bosses, tranchées et cadavres, le champion Eugène Christophe (futur premier maillot jaune du Tour) et un journaliste de L‘Auto se rendirent sur place. "On entre alors en plein champ de bataille, peut-on lire dans le quotidien daté du 31 janvier 1919. Plus rien que la dévastation dans ce qu’elle a de plus affreux, de plus tragique. L’abomination de la désolation ! Plus d’arbres, tout est fauché. Le sol ? Non, la mer ! Pas un mètre carré qui ne soit bouleversé de fond en comble. C’est l’enfer ! Les trois d’obus se succèdent sans interruption aucune." (Cité par Jean-Paul Bourgier dans "1919, le Tour renaît de l’enfer", éditions Le Pas d’oiseau).
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Henri Desgranges

Crédit: Other Agency

Faber, Petit-Breton et Lapize manquent à l'appel

Le cyclisme reprend pourtant des couleurs dès le printemps 1919, avec notamment un "Circuit des champs de bataille" dont le parcours ressemble à l’"itinérance mémorielle" effectuée cette semaine par le président de la République, Emmanuel Macron. Mais beaucoup de noms manquent à l’appel, plusieurs dizaines dont 25 participants du Tour 1914, qui avait pris le départ le 28 juin, jour funeste de l’attentat de Sarajevo. Parmi eux, trois anciens vainqueurs : le Luxembourgeois François Faber (Tour 1909) ; Lucien Petit-Breton, né dans la Seine Inférieure de l’époque (Tours 1907 et 1908), et Octave Lapize, le Parisien (Tour 1910).
François Faber, au palmarès étincelant (Tour de Lombardie, Bordeaux-Paris, Paris-Bruxelles, Paris-Roubaix, deux Paris-Tours) s’était engagé dans le Légion étrangère dès le mois d’août 1914. Pour servir la France. Il est mort le 9 mai 1915, à 28 ans, dans la bataille de l’Artois, peut-être à Carency, peut-être au Mont Saint-Eloi, dans le Pas-de-Calais. On ne le sait pas : son corps n’a jamais été retrouvé.
Lucien Petit-Breton, de son vrai nom Lucien Georges Mazan (il avait pris un pseudo pour cacher à son père qu’il faisait des courses cyclistes), incorporé dans le 20e escadron du train et pilote de véhicules militaires, est mort à 35 ans dans un accident en se rendant au front le 20 novembre 1917. Il avait réalisé le premier doublé dans le Tour.
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La tombe du soldat inconnu à Paris

Crédit: AFP

Enfin, Octave Lapize, exempté pour une surdité partielle et engagé volontaire en août 1914, a brillé comme pilote après avoir dompté trois fois Paris-Roubaix. Le 14 juillet 1917, jour de fête nationale, lui qui avait été trois fois champion de France, son avion a été abattu lors d’un combat contre deux avions ennemis au-dessus de Flirey, en Meurthe-et-Moselle. Il avait 30 ans. Son nom figure sur le tout nouveau mur inauguré au Père Lachaise à Paris, parmi les noms de près de 90 000 autres "morts pour la France".

Des corps jamais retrouvés

Trois anciens vainqueurs, et combien de coureurs moins connus ? Joliment recensés par le site www.lepetitbraquet.fr, on trouve les noms de Cesare Brambilla, vainqueur en Lombardie ; de Camille Fily, qui avait fait le Tour à seulement 18 ans ; de Léon Flameng, champion olympique en 1896 ; ou de Georges Bronchard, lanterne rouge du Tour 1906 remporté par René Pottier.
Sans oublier tous ceux dont le corps, comme celui de François Faber, n’a jamais été retrouvé. Les coureurs qui font le tour de la place de l’Etoile, le jour de l’arrivée du Tour de France, peuvent donc imaginer que la flamme qui brûle sous l’Arc de Triomphe illumine l’un des leurs. C’est la magie du soldat inconnu. Ingénieur, maçon, paysan, médecin, coureur cycliste, qu’importe : chaque famille, depuis le 11 novembre 1920, y imagine le disparu qu’elle a chéri dans son cœur, embrassant ainsi les millions d’autres.
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