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Il y a 50 ans, Merckx, Armstrong et Cyrano de Bergerac

Béatrice Houchard

Mis à jour 07/07/2019 à 10:42 GMT+2

TOUR DE FRANCE - Eddy Merckx a fait éclater son talent au grand jour à 21 ans, sur Milan - Sanremo en 1966. Il y eut ensuite tant de façons de percevoir le champion. Il était le "Cannibale" pour tous mais chacun avait son Eddy Merckx à lui.

Eddy Merckx - Tour de France 1969

Crédit: Getty Images

C’est un peu comme le gaullisme : tout le monde a été, est ou sera merckxiste. Il y a cinquante ans, je ne l’étais pas, et la plupart des Français non plus. J’avais encore l’illusion que Raymond Poulidor pourrait gagner le Tour de France, et lors des classiques je préférais le vieux Rik van Looy ou Roger de Vlaeminck, le "gitan" aux rouflaquettes. Autant dire qu’avant de devenir merckxiste, il y avait du boulot.
La première fois que j’avais entendu parler d’Eddy Merckx, c’était lors de sa victoire dans Milan - San Remo, qu’il avait gagné en 1966 (et où il triomphera six autres fois). Avec sa tête de gamin et un corps presque fluet dans son maillot à damiers de l’équipe Peugeot BP, il avait répondu à un journaliste qui lui demandait s’il était flamand ou wallon : "Je suis belge, Monsieur". De la part d’un coureur de 21 ans, ça m’avait plu. Mais quand même pas au point de le soutenir.

En 1969, quand il arrive sur la ligne de départ du Tour à Roubaix, Eddy Merckx affiche déjà un palmarès dont se contenterait n’importe quel cycliste retraité : deux Milan-San Remo, Paris-Roubaix, Liège-Bastogne-Liège, Flèche wallonne, Tour des Flandres, Tour d'Italie, championnat du monde, on en passe des dizaines… S’il n’est pas encore sacré roi de France, les organisateurs du Tour lui offrent déjà sa couronne : dès la deuxième étape, le Tour est à Woluwe-Saint-Pierre, sa ville, pour une étape contre la montre par équipes qu’il remporte évidemment avec ses équipiers en rouge et blanc de Faema : Mintjens, Reybroeck, Scandelli, Spruyt, Stevens, Swerts, Van den Berghe, Van den Bossche et Van Schil.
Eddy Merckx dans le col de l'Aubisque sur le Tour de France 1969

"J’ai juste voulu lui rappeler qui était le patron"

Non parce qu’il est le leader de l’équipe mais grâce à l’ordre alphabétique, c’est Merckx qui porte le numéro 51, ce "dossard anisé", comme disait Antoine Blondin, qui verra aussi triompher, plus tard, Luis Ocana, Bernard Thévenet et Bernard Hinault. Le deuxième soir, il enfile son premier maillot jaune avant de le perdre provisoirement à Maastricht, qui est alors plus célèbre pour avoir vu mourir d’Artagnan que pour la naissance de la monnaie européenne. Ce maillot inventé en 1919, il le portera pendant 96 jours, plus de trois mois de sa vie ! Dès ce Tour 1969, Merckx (les journaux ont enfin renoncé à ajouter des fautes d’orthographe à son patronyme) gagne partout, de toutes les manières. Au sprint à Digne, contre la montre à Divonne-les-Bains, Revel et Paris, au sommet au Ballon d’Alsace et à Mourenx, alors qualifiée de "ville nouvelle". Est-ce pendant ce Tour que le coureur Christian Raymond a déniché le surnom de "Cannibale" ?
"Merckx a gagné l’étape". Encore ? Trop dominateur, trop dictatorial. Maillot vert, meilleur grimpeur sans maillot distinctif, meilleur au "combiné" qui mélange tous les classements, et couronné le plus combatif ! La coupe du vainqueur est pleine et on en a un peu assez, surtout quand le champion s’envole après le sommet du Tourmalet et continue seul jusqu’à Mourenx, pour régler son compte à son coéquipier Martin Van den Bossche : "J’avais appris la veille qu’il voulait rejoindre l’équipe Molteni, sans avoir prévenu personne, confiera plus tard Merckx à Eric Clovio dans Secrets de maillots jaunes. Il était impensable pour moi de le laisser franchir le Tourmalet en tête ! J’ai juste voulu lui rappeler qui était le patron". Il faut attendre huit minutes pour voir arriver ses poursuivants. "Merckxissimo", titrera Jacques Goddet dans L’Equipe.

Mais le lendemain, 16 juillet, on a la tête ailleurs, jusque dans les étoiles : Barry Hoban peut bien gagner le sprint à Bordeaux, on regarde surtout la fusée Saturne V qui emmène à son bord Neil Armstrong, Edwin Buzz Aldrin et Michael Collins. Les deux premiers vont marcher sur la Lune. C’est Jules Verne et Tintin réunis, mais cette fois c’est en vrai, même si certains grincheux croient que les Américains sont en train de tourner le scénario lunaire à Hollywood.

Eddy Merckx - Tour de France 1969

Des victoires de mars à octobre

Quand Eddy Merckx triomphe sur la piste de la Cipale, à Vincennes, avec 17 minutes d’avance sur Pingeon et plus de 22 sur Poulidor, on se demande surtout si les astronautes vont vraiment atteindre la lune quelques heures plus tard, et plus encore s’ils parviendront à en revenir. Dans la nuit du 20 au 21 juillet, Armstrong et Aldrin marchent sur la lune. Merckx, l’extraterrestre du vélo, a regagné Bruxelles, où Baudouin, le roi des Belges, l’accueille triomphalement en ce jour de fête nationale. La Grand Place est noire de monde. Pensez donc : cela faisait trente ans qu’un Belge n’avait pas gagné le Tour, depuis Sylvère Maes en ce funeste été 1939. Nous, les Français condescendants, ça nous fait sourire : trente ans sans gagner le Tour, pauvres Belges ! Dites, il s’est écoulé combien d’années depuis la dernière victoire de Bernard Hinault en 1985 ?
Il m’a fallu longtemps pour mesurer l’ampleur de l’exploit de Merckx en cet été 1969, et de ses 520 et quelques autres victoires, en ces temps lointains où les vrais champions gagnaient de mars à octobre en passant bien sûr par juillet. De son exploit sur la route de Mourenx, j’avais cru qu’il n’était destiné qu’à écraser les autres, sous le coup d’un orgueil démesuré. Il y avait sûrement de ça, même s’il a toujours affirmé le contraire dans ses réponses courtes qui commençaient invariablement par "Ecoutez…" et ne disaient que le minimum pour que les journalistes aient quelque chose à se mettre sous le stylo.
Ce n’est pas en me replongeant dans l’histoire du Tour de France que j’ai compris la beauté de l’exploit de Mourenx, mais en relisant Cyrano de Bergerac. Le poète-bretteur donne la clé dans sa dernière scène : "C’est bien plus beau lorsque c’est inutile", lance-t-il avant de mourir en prononçant le mot "panache" qui sied si bien à Eddy Merckx. "Le rayon de lune vient me prendre", a murmuré Cyrano. Lui aussi rêvait d’aller sur la lune. Comme Armstrong, qui n’était pas un champion cycliste, contrairement à Eddy Merckx.
Supporters d'Eddy Merckx sur le Tour de France 1969
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