Les passeports ont parlé

L'Union cycliste internationale (UCI) a dévoilé mercredi le nom des cinq premiers coureurs accusés de dopage à partir des irrégularités de leur passeport biologique, marquant une étape clé dans la lutte antidopage qui se basait jusqu'alors essentiellement sur la détection de produits interdits dans le sang ou les urines d'un sportif. Jouant les pionnières, la fédération cycliste a décidé de demander l'ouverture de procédures disciplinaires à l'encontre de trois coureurs espagnols, Igor Astarloa, le champion du monde 2003, Ruben Lobato Elvira, Ricardo Serrano et deux Italiens, Pietro Caucchioli et Francesco De Bonis, "sur la base des informations apportées par le profil sanguin inclus dans leur passeport biologique".

Il revient à leur fédération nationale respective de sanctionner ces coureurs, qui selon le code mondial antidopage risquent quatre ans de suspension, ou moins en cas d'aveux. A moins de trois semaines du Tour de France, la Fédération envoie du même coup un signal à ceux tentés de recourir à la dernière pilule miracle du moment: même s'ils échappent à un contrôle antidopage sur la Grande Boucle, ils peuvent être rattrapés par leur passeport biologique. Cette nouvelle arme dans l'arsenal antidopage consiste à démontrer qu'il y a eu recours au dopage à partir des effets constatés sur l'organisme, une idée évoquée depuis plusieurs années, mais que le cyclisme a été le premier sport à mettre en place officiellement au 1er janvier 2008.

Depuis, chaque fois qu'un coureur subit un test lors d'une course ou hors compétition, les valeurs de ses paramètres sont rentrées dans une base de données, permettant d'établir un profil, grâce à un modèle mathématique développé par le laboratoire antidopage de Lausanne. En cas de variation anormale, le profil est scruté par un panel d'experts indépendants, qui estiment si oui ou non cette variation est la conséquence d'une manipulation à des fins de dopage. Pour financer ce coûteux instrument, les équipes professionnelles ont été mises à contribution: celles de l'élite ont ainsi dû payer 120 000 euros en 2009. Alors qu'elles commençaient à se demander si elles en auraient pour leur argent, l'UCI a pris volontairement son temps.

"Pour nous, il est très important que les premiers cas soient solides", n'a cessé de répéter le président de l'UCI, Pat McQuaid. Avec cinq cas sur les 840 profils de coureurs en stock, l'UCI n'a voulu retenir pour cette première que les plus solides. Mais d'autres vont suivre, a prévenu Anne Gripper, la responsable de la commission antidopage de l'UCI, lors d'une conférence de presse téléphonique. "Certains profils sont en cours d'examens par les experts, d'autres nécessitent plus d'informations ".

Selon elle, cependant, "il est encourageant de voir que la grande majorité des coureurs ont des valeurs hématologiques tout à fait normales", ce qui marque un changement de tendance par rapport aux cinq années précédant la mise en place du passeport. Et à ceux qui ont dénigré son efficacité, comme l'Autrichien Bernard Kohl, positif à l'EPO Cera lors du dernier Tour de France, l'UCI rétorque qu'il a aussi permis de "confirmer le résultat de l'analyse d'échantillons pour des coureurs qui ont été contrôlés positifs" au cours des derniers mois même si ces derniers, déjà sous le coup d'une sanction, ne seront pas poursuivis une nouvelle fois.

L'UCI sait bien que les avocats des coureurs chercheront à trouver la petite faille pour contester la validité du passeport biologique devant le Tribunal arbitral du sport (TAS), ne serait-ce qu'un vice de forme. Ce n'est que si le passeport arrive à passer ce cap que son utilisation pourra se généraliser, et contribuer à éradiquer le dopage dans le sport.