Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

Romain Bardet, de Froome à Pogacar : "La fenêtre de génération ne s'est jamais ouverte pour moi"

Christophe Gaudot

Mis à jour 19/10/2022 à 10:32 GMT+2

Quelques jours après sa fin de saison au Tour de Lombardie, Romain Bardet s'est confié à Eurosport. Parti d'Ag2r fin 2020 pour changer des choses chez DSM, le coureur de 31 ans a vécu une année 2022 frustrante. Performant sur le vélo selon ses mots, il n'a pu convertir en résultats un niveau qu'il n'avait jamais atteint. Avec un regret, cet abandon sur un Giro qu'il voulait gagner.

Romain Bardet a subi la domination de Chris Froome avant qu'une autre génération n'arrive pour tout gagner

Crédit: Quentin Guichard

Votre dernier weekend de la saison a été pour le moins original : le Tour de Lombardie samedi et le Roc d'Azur (une épreuve de VTT) dimanche…
Romain Bardet : C'était sympa. J'avais apprécié le faire l'an dernier et cette année également. Tout au long de l'année, on n'a pas forcément le temps de faire des choses un peu plus fun quand les courses et les stages s'enchaînent. On a passé un bon weekend avec les copains. Ça clôture bien la saison.
Dans le même thème, auriez-vous aimé participer aux premiers Championnats du monde de gravel ce weekend ?
R.B. : Oui ! J'y ai pensé. C'était compliqué le lendemain du Tour de Lombardie avec mon instinct de compétiteur. J'aurais voulu le faire dans de bonnes conditions. Mais c'est quelque chose qui me plairait dans les années à venir. Il y a un gros engouement autour de la discipline. C'est encore une expérimentation mais c'est intéressant. D'un point de vue sportif, ce n'est pas encore un objectif mais il y a une tendance qui monte pour avoir des calendriers de plus en plus hybrides pour les coureurs.
Comment résumez-vous votre saison à titre individuel ?
R.B. : C'est difficile de mettre des mots. Je pense que c'est une saison consistante. Les choses m'ont un peu glissé entre les mains à partir du mois de mai et mon abandon sur le Giro. Derrière ça a été bon, très bon parfois mais sans avoir cet éclat qu'il aurait pu y avoir si les choses s'étaient passées comme on les avait imaginées au mois de mai. Sur mon niveau sportif, c'était une très bonne saison. Maintenant il faut toujours évaluer par rapport à la concurrence. Je pense avoir répondu présent à chaque fois qu'on m'attendait mais sur les grosses courses, hormis en mai, il y avait toujours deux ou trois coureurs au-dessus du lot. C'est difficile de briller dans ces conditions-là et c'est aussi la donne du cyclisme actuel.
picture

Stupéfaction : Bardet quitte le Giro, malade

L'idée générale était de remporter le Giro
Qu'aviez-vous imaginé au mois de mai ? Avez-vous pensé à remporter le Giro ?
R.B. : Je ne suis pas très à l'aise pour en parler, j'ai tiré un trait dessus. Ça ne sert à rien de vouloir écrire la suite de quelque chose qui ne s'est pas passé mais j'étais dans des conditions optimales pour faire une grande course. Tout était là, au point. Mais c'est vrai qu'à partir de l'abandon en Italie, j'ai dû courir pour sauver les meubles alors que je voulais faire un gros Giro, un gros classement général puis aborder le Tour d'une toute autre manière, beaucoup plus libéré.
Il y a une étape sur le Giro (la 9e avec arrivée au sommet du Blockhaus) où vous avez fait mal à la concurrence. Avec le recul, fait-elle naître des regrets ?
R.B. : Je n'ai aucun regret parce qu'on était sur le plan fixé avec l'équipe. Nous étions dans l'état d'esprit de rester dans l'ombre jusqu'à la troisième semaine. J'étais en contrôle, persuadé de pouvoir gagner. J'ai fait une erreur au sprint mais pour l'idée générale du Giro, à savoir le remporter, les temps de passage étaient excellents. J'avais cette course en tête depuis le mois de décembre 2021. J'arrivais dans des conditions optimales. Je pense que c'était le grand tour où je me suis senti le plus en confiance dans ma carrière. On n'est jamais à l'abri d'un jour sans, mais j'étais dans des dispositions mentales de conquérant que je n'avais jamais eues auparavant. Ce n'est pas fondateur parce qu'à mon âge (31 ans) on ne dit plus ça, mais quelque chose de marquant.
picture

Bardet si près, Yates naufragé, Lopez opiniâtre : le résumé de la 9e étape

Ce jour-là, la victoire vous échappe d'un rien. Vous gagnez peu (10 victoires professionnelles) mais vous dites que le processus vous intéresse parfois plus que la finalité. Pourquoi ?
R.B. : Attention, je suis très intéressé par l'idée de gagner mais je me retrouve assez peu dans cette position par le rôle que j'ai dans la course. Je suis rarement le plus fort sur une arrivée au sommet et je passe à côté de pleins d'opportunités dans les échappées. Ce n'est pas un palliatif mais je me concentre vraiment sur l'aspect global de la saison, de ma performance, je me dois de trouver du plaisir là-dedans pour continuer à avancer. Si je me concentre sur les victoires que je rate, je vais passer de déception en déception. Bien sûr j'aimerais gagner plus mais on fait avec ses moyens.
Sur le Tour de France, il y a eu une dissonance entre ce que vous disiez, à savoir que vous preniez au jour le jour, et ce que pensaient les journalistes, à savoir qu'un podium était possible. Est-ce que ça vous a agacé ?
R.B. : Chacun est dans son rôle. C'est le vôtre d'analyser la course, les forces en présence et d'essayer de lire à travers les lignes. La situation qui était la mienne s'est révélée exacte. J'ai bien attaqué le Tour. Physiquement, j'ai fait de bonnes performances mais je n'ai jamais trouvé de moment de grâce. J'étais plus à essayer de survivre alors que sur le Giro, je me sentais maître et acteur de mon destin. Là c'était essayer de trouver la meilleure stratégie pour essayer d'exister face à une concurrence que je savais supérieure. Honnêtement, je n'ai aucun regret. Pour moi, vu le parcours, le podium était inaccessible. Je pense qu'à 100%, j'aurais pu faire jeu égal avec Geraint Thomas en montagne. Mais je perds plus de deux minutes sur lui sur le dernier chrono alors que j'ai été bon. Je n'aurais jamais pu lui mettre ça en montagne. Par le passé, j'ai eu ces sentiments-là sur le Tour, de pouvoir aller haut et mentalement ce n'est pas évidemment de me battre pour un Top 5, qui est déjà magnifique mais il me manque ce supplément d'âme. Quand on n'a jamais fait de super classement général sur le Tour, on s'accroche dans les moments difficiles. Je ne dirais pas que je m'accroche moins mais je vois plus les opportunités de briller d'une autre manière.
Pogacar et Evenepoel sont des génies du vélo
Vous parlez de survie, ce coup de moins bien survenu sur la 16e étape était attendu ?
R.B. : Attendu, non, redouté oui. Je savais qu'il y avait une incertitude sur mon niveau. Il y a une conjonction de facteurs qui a fait que ça a déraillé à un moment donné, deux fois même. La grosse chaleur que l'on a eue dans les Pyrénées qui a pesé sur un état de fatigue avancé comme le mien et j'ai chopé le Covid juste après le Tour donc peut-être que je le couvais déjà en fin de troisième semaine. On sait qu'avec 4 ou 5% de moins sur une étape de Tour, c'est quelque chose qui peut nous plomber. Même si j'espérais que tout se passe bien, que je puisse lutter avec mon niveau des Alpes sur la troisième semaine, ça n'a pas loupé.
picture

Le résumé de la 16e étape : Houle en solitaire, Pogacar maîtrisé par Vingegaard, Bardet à la dérive

Sur ce Tour, il y aussi un grand moment de cyclisme avec l'attaque des Jumbo dans le Télégraphe et dans le Galibier. Qu'avez-vous pensé en voyant Vingegaard, Roglic et Pogacar se faire la guerre ?
R.B. : Quand je les ai vus partir, j'étais bien. Mais ils sont passés en survitesse en haut du Télégraphe. Je me suis dit qu'il fallait que je fasse ma course, je bascule 3e en haut du Galibier. C'est l'étape où j'ai été à mon meilleur niveau sur le Tour, c'est clair. Je savais que je devais courir intelligemment, me servir des autres pour que les bonnes jambes du jour me permettent de faire le meilleur résultat possible.
Les Pogacar, Evenepoel, vous les regardez comment ?
R.B. : Ils ont un truc en plus, ce sont des génies du vélo. Quand ils sont à 100%, personne ne peut rivaliser, ils font la course entre eux. Ils ne s'occupent pas de nous, les seconds couteaux. Tout le monde voit que ça roule plus qu'avant. Dans les ascensions, le rythme est incroyable. La structuration des équipes a changé la donne. Quand on voit les équipes Jumbo ou UAE sur les grands tours, cinq ou six des huit mecs pourraient être leaders. Pour nous, opposants directs, ça se complique vite. Il faut essayer de garder la tête froide et calibrer ses forces pour survivre à ça.
picture

Il s'envole vers le titre : L'accélération décisive d'Evenepoel

Le rythme aujourd'hui est-il bien supérieur aux Tour 2016, 2017 ou 2018 ?
R.B. : Oui, vraiment. C'est toujours un peu difficile de comparer mais, oui, c'est bien supérieur. Pour moi, j'ai le sentiment qu'il y a une fenêtre de génération qui n'est jamais arrivée. Ce n'étaient pas des paroles en l'air quand je disais en 2016 ou 2017 que mes meilleures années étaient encore devant moi. Les chiffres sont clairs, je suis plus fort que ces années-là mais il y a des jeunes coureurs encore plus forts. La fenêtre de plénitude dans laquelle je suis, en termes de résultats, ça ne se voit pas. Le cyclisme a évolué très vite ces six dernières années.
Dans Pédale, avant le Tour de France, vous expliquiez que vous en aviez un peu marre d'avoir l'image d'un mec austère. Pourquoi ?
R.B. : Ça s'est vraiment apaisé, je ne vis pas les choses de la même manière qu'il y a six ans non plus. Je suis plus en accord avec ce que je suis, je sais où je peux aller. De porter des ambitions que peut-être certains voient plus que toi, c'est quelque chose qui n'est pas confortable. Maintenant, je suis beaucoup plus à l'aise avec mon schéma de performance et ma manière de vivre en général. Il y a eu une dissonance, peut-être à juste titre parce que je me mettais plus de pression et que je savais que les objectifs étaient très hauts, quasi inatteignables. Ça me mettait une pression malsaine.
Avoir quitté Ag2r a dû aider en ce sens…
R.B. : Je crois qu'il fallait partir absolument même si je me sentais bien dans l'équipe, que j'y ai encore des amis et que je suis reconnaissant de tout le chemin qu'on a fait ensemble. J'étais arrivé à un point où j'avais du mal à trouver les ressorts en interne pour réinventer quelque chose. On va me dire que je fais toujours la même chose, les classements généraux, mais je les aborde de façon différente. J'ai plus de légèreté dans la manière dont mes résultats sont perçus. C'est paradoxal parce que je suis sorti de ma zone de confort pour en trouver un confort plus important encore. Je suis concentré sur ma performance et non plus sur les répercussions de celles-ci.
picture

Pluie, souci mécanique, mur décisif : la grande journée de Pinot et Bardet

A un âge où on se connaît peut-être sur le bout des doigts, vous avez décidé de déléguer beaucoup de choses chez DSM. C'est étonnant, non ?
R.B. : Ça peut paraître étonnant. Mais c'est un sport tellement prenant le cyclisme que si je n'ai pas cette sensation d'avoir la vie la plus normale possible, de ne pas être sans arrêt à me questionner sur ce qui pourrait être mieux… Ça a été fécond à un moment donné mais il était aussi difficile de prendre du recul, d'avoir les ressources mentales pour aller plus loin sur le vélo. Donc c'était important de travailler beaucoup en amont pour fixer des schémas clairs de performances, s'y tenir et être plus dans le lâcher prise pendant la saison.
Comment imaginez- vous les deux ou trois prochaines saisons ?
R.B. : Physiquement je veux encore profiter de tous mes acquis. Je vais être à l'affût des opportunités de me mettre dans les mêmes conditions qu'avant le Giro cette année. Je ne dis pas que les occasions sont comptées mais, en amont du Giro, c'est six mois de travail. J'ai besoin de choses comme ça pour avancer et être vraiment bon dans ce que je fais. L'architecture va rester la même parce que je sens que j'ai les fondamentaux avec moi pour y arriver. Je vais cibler mes grands tours en fonction des parcours et de mes qualités.
Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité