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Tour d'Italie - Egan Bernal, naissance et renaissance sur le sterrato

Benoît Vittek

Mis à jour 18/05/2021 à 11:02 GMT+2

TOUR D’ITALIE - En s'imposant sur le chemin de Campo Felice, Egan Bernal a renoué avec ses premiers exploits cyclistes. Le Colombien a fait ses gammes à VTT, un peu par hasard, avant de retrouver la route du succès sur le "sterrato" italien.

Egan Bernal s'envole vers la victoire, dimanche lors de la 9e étape du Giro, poursuivi par Giulio Ciccone et Aleksandr Vlasov

Crédit: Getty Images

"Ne me parlez pas de gravel !" Geoffrey Bouchard était franchement dégoûté, dimanche soir, après avoir vu Egan Bernal le déposer dans les derniers hectomètres de la route en terre menant à l’arrivée de la 9e étape du Giro, à Campo Felice (littéralement le "champ de bonheur" dans lequel le Colombien nageait en retrouvant le succès). Le Français s’est mis plutôt tardivement au vélo, il a toujours fait de la route, et on le plaint avant la 11e étape, mercredi en direction de Montalcino, lorsqu’il devra affronter quelque 35 kilomètres de "strade bianche", les "routes blanches" poussiéreuses qui sillonnent les Crete Senesi en Toscane.
Vainqueur du Tour à un âge où Bouchard cherchait sa voie parmi les amateurs, Bernal roule depuis qu’il est gosse. Il a fait ses gammes sur des pistes en terre, et on s’attend à le voir à son avantage mercredi, pour défendre et peut-être même conforter la Maglia Rosa qu’il a conquise, en larmes, dimanche. Sous son crâne, une tempête attisait ses émotions de champion retrouvé, porteur de la Maglia Rosa après un an de tourments imposés par son dos douloureux. Sa première victoire d’étape sur un Grand Tour, il n’y croyait pas lui-même, ni au départ ("Mes équipiers me faisaient plus confiance que moi-même"), ni au moment de franchir la ligne : "J’étais tellement concentré sur mon effort, quatre minutes de souffrance pure, je pensais qu’il y avait encore des gars devant."
Peut-être Bernal repensait-il aussi à ses débuts sur les pistes de VTT et à ses premières conquêtes avec son mentor Pablo Mazuera, bien avant de s’attaquer à la route et d’écrire l’histoire sur le goudron du Tour de France. Le Colombien d'INEOS Grenadiers est une star des pelotons World Tour, mais ce sont bien les pistes de terre qui l’ont lancé vers les sommets, et c’est le "sterrato" (chemin de terre) italien qui lui permet de se reconstruire. Le voir briller aujourd’hui sur ces routes intimement liées à la grande histoire du Giro ne doit rien au hasard, après une reconstruction éprouvante… Mais c’est bien un hasard s’il s’est mis au VTT il y a une quinzaine d’années.
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Comme une fusée : Bernal a mis le turbo pour enlever sa première étape sur un grand tour

La première fois en Colombie

"J’ai commencé à faire du vélo parce que mon père roulait aussi", nous racontait-il il y a quatre printemps, lorsque son talent émergent le menait sur les routes du Tour de Langkawi avec l’équipe Androni. Bernal n’avait que 20 ans. Il n’avait pas encore gagné le Tour de l’Avenir, il venait d’abandonner définitivement ses études en communication et il racontait volontiers les anecdotes qui ont façonné ses premiers coups de pédale à Zipaquira. Avec son père, aspirant pro finalement resté amateur, le petit Egan multipliait donc les allers-retours vers un village voisin, à 4km. Un jour, ils tombent sur une course pour enfants. "J’avais 8 ans, je n’avais pas de casque, ni rien, mais je voulais courir", se souvient Bernal.
Son équipement est un détail. Egan se heurte avant tout à l’opposition de son père : "Il ne voulait pas que je coure. Il me disait : 'Non, non, je n’ai pas d’argent, je ne vais pas payer.’ Mais c’est parce que le cyclisme ne l’avait pas bien traité. Un ami de mon père a dit : 'Je paye' Un ami m'a prêté un casque, qui était trop grand. J'ai fait ma première course et je l'ai gagnée. Le prix était une inscription d'un an dans un club de VTT." Et voilà Bernal qui fait ses gammes dans les sous-bois, jusqu’à s’offrir deux médailles aux Mondiaux Juniors… un peu par hasard.
"Pablo Mazuera voulait aider les jeunes qui avaient peu de ressources, raconte encore Bernal. J’étais parmi eux, j’ai rejoint la fondation qu’il créait. C’était un processus, d’abord les courses latinoaméricaines, puis panaméricaines, ensuite les épreuves Juniors, qui sont comme une coupe du monde pour les jeunes, pour se qualifier pour le Mondial. Mais en fait, cette année où j'ai fait 2e du Mondial [en 2014], je ne voulais pas y aller."
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Bernal : "J'ai fait tant de sacrifices pour me retrouver dans cette position après le Tour 2020"

De Zipaquira à Lillehammer

Le jeune Egan rêvait plutôt des Jeux olympiques de la jeunesse, organisés cet été-là en Chine. Mais dans cette Colombie où les talents cyclistes poussent mieux que les herbes sauvages, il n’a pas été sélectionné pour voir Nankin. "Ça m’a un peu démobilisé mais Pablo m’a dit : 'Bon, si on ne va pas aux Jeux, je t’amène au Mondial.'" Direction la Norvège, et les sites de Lillehammer-Hafjell, non sans difficultés :
"Avec le peso colombien, c'est très difficile pour nous de quitter le pays, encore plus aller en Europe. Une semaine, il me disait : 'Oui, on y va !' La semaine d'après : 'Non, on ne peut pas y aller'… Je m'entraînais dur, puis je me démotivais, je me réentrainais, je me démotivais à nouveau... Finalement, on a pu y aller, et je me souviens que les autres équipes avaient tout : voitures, tentes... J'étais avec Pablo, dans un hôtel, une sorte de cabane où on était trois : Pablo, un autre junior colombien, et moi. C'était vraiment difficile. Et il y avait 5km entre l'hôtel et la piste de course. J'emmenais Pablo sur mon guidon et on revenait comme ça parce qu'on n'avait pas de moyen de transport."
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Egan Bernal lors des Mondiaux de cross-country en Andorre, en 2015

Crédit: Getty Images

Après l’avoir snobé pour les Jeux, la Fédération colombienne ne déborde pas d’entrain avant ces Mondiaux. "Je me souviens qu’ils m’ont appelé pour me dire : 'Sois tranquille, le plus important est que tu ne prennes pas un tour de retard sur ceux qui sont devant.' Alors je ne pouvais pas y croire quand j’ai fait deuxième." Était-il plus ou moins incrédule que lors de sa conquête de la Maglia Rosa ?
Il s’était toutefois forgé une certitude : il reviendrait aux Mondiaux de VTT l’année suivante, toujours en junior, et il se préparerait pour la victoire, avant de poursuivre les rêves qui étaient nés en suivant les Grands Tours à la télévision avec son père. "Je voulais quitter le VTT de la meilleure des manières, explique-t-il. Alors j’ai retenté ma chance, j’ai pris la troisième place. Et j’ai dit : maintenant, le VTT, c’est fini, je passe à la route." Six ans plus tard, les chemins de terre italiens l'ont remis sur la route du succès.
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