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Longo, Gambillon et maintenant beaucoup d'autres : une femme à Matignon et des femmes dans le Tour

Béatrice Houchard

Mis à jour 30/07/2022 à 09:12 GMT+2

Le nouveau Tour de France féminin, relancé par Amaury Sport Organisation après les éditions des années 1980, se terminera dimanche en haut de la Super Planche des Belles Filles. Pour le cyclisme féminin, avec Zwift pour sponsor et avec le coup de pouce de la télévision, c’est une avancée irréversible.

Ruby Roseman-Gannon of Australia and Team Bikeexchange - Jayco (C) and a general view of the peloton competing during the 1st Tour de France Femmes 2022, Stage 5 a 175,6km stage from Bar-le-Duc to Saint-Dié-des-Vosges

Crédit: Getty Images

Quand j’ai commencé à m’intéresser aux courses cyclistes, aux temps lointains de la rivalité Anquetil-Poulidor, la vedette cycliste française s’appelait Geneviève Gambillon. Personne ou presque ne parlait d’elle, sauf pour faire un vilain jeu de mots sur Gambillon "la gambille". Elle n’était pourtant pas n’importe qui, Geneviève Gambillon. Quand elle devint championne du monde sur route en 1972 et 1974, elle fit la “une” de quelques journaux, notamment dans la presse régionale, mais ne fut pas invitée sur les plateaux de télévision. Elle était infirmière dans une clinique de sa Normandie natale : à l’époque, il était impossible d’être cycliste professionnelle. Idem pour Josiane Bost, championne du monde en 1977.
Avoir un Tour de France féminin semblait alors aussi improbable qu’imaginer une femme maire de Paris, Première ministre ou qualifiée pour le second tour de l’élection présidentielle. Pour être honnête, si j’aimais battre au sprint les gamins de mon quartier sur mon petit vélo bleu, je ne me passionnais pas non plus pour les courses des filles et aucune vocation sportive n’est venue rivaliser avec ma vocation journalistique.
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Quand Longo faisait se lever Chirac

Puis il y eut Jeannie Longo avec ses records, ses titres et ses victoires sur route et sur piste. Son caractère aussi, et son goût pour les polémiques. "Je suis une emmerdeuse", proclamait-elle. Par son écrasante supériorité et notamment ses trois Tours de France, ancienne mouture, en 1987, 88 et 89 avec ses duels contre Maria Canins, elle devint aussi connue qu’Eddy Merckx. En 1996, à peine avait-elle franchi victorieusement la ligne d’arrivée aux Jeux olympiques d’Atlanta que Jacques Chirac, malgré le décalage horaire, lui téléphonait pour la féliciter. Le président de la République ne connaissait pas grand-chose au sport mais il aimait les sportifs, plus encore les sportives, et bien sûr les médailles françaises. Il promut ensuite Jeannie Longo officier dans l’ordre de la Légion d’honneur, et c’est Nicolas Sarkozy qui la fit commandeur.
En 2010, Jeannie Longo devient même la sportive préférée des Français, devant Sébastien Loeb et Sébastien Chabal. Elle avait 52 ans et ses adversaires auraient pu être ses filles. Après elle, Catherine Marsal était devenue championne du monde en 1990, gagnant aussi le tour de la CEE et le Giro. On ne s’intéressa pas pour autant aux courses elles-mêmes. La gloire et la longévité de Jeannie Longo cachaient la forêt d’un cyclisme féminin en mal de budgets, de sponsors, de relais médiatiques. On disait que les courses féminines n’étaient pas très intéressantes, sans jamais avoir la possibilité de les voir vraiment, excepté lors des JO et des Mondiaux.

Du sexisme sans complexe à la génération des promesses

L’avis général, c’était un peu celui énoncé sans nuance en 1987 par Marc Madiot, alors coureur et champion de France : "Voir une femme sur un vélo, c’est moche (…) J’aime trop les femmes pour les voir souffrir. Le sport doit avoir un côté esthétique. Vous, vous êtes moches, je suis désolé !" A côté de lui, Laurent Fignon ne disait pas autre chose : "Ce n’est pas esthétique, je préfère ne pas regarder." En face des deux machos, Jeannie Longo avait réussi à garder son calme. Cruel et malin, le journaliste Jacques Chancel avait conclu à l’adresse de Laurent Fignon : "Jeannie Longo a le maillot jaune, pas vous !"
On n’avait donc pas beaucoup évolué depuis les années 1930. Dans un article de L’intransigeant, exhumé sur Twitter par un grand passionné de vélo, David Guénel, on pouvait alors lire : "Jeunes filles, faites de la bicyclette tant que vous voudrez si vous avez des vacances, ou l’après-midi de semaine anglaise et le dimanche. Baladez-vous, oxygénez-vous, disputez entre vous quelques petits sprints… Mais n’allez pas plus loin… Laissez le Tour de France et sa rude misère enveloppée dans une gloire fugitive aux jeunes hommes dont c’est le métier, et restez femmes, de toute votre grâce saine et forte. Ne singez pas les hommes !"
Aujourd’hui, pour être honnête, je ne scrute pas tout à fait les exploits de Marianne Vos, Marlen Reusser, Elisa Longo Borghini, Lorena Wiebes, Annemiek Van Vleuten et Juliette Labous comme j’admire ceux de Wout van Aert, Jonas Vingegaard ou Julian Alaphilippe. Mais le nom même d’Elisa Balsamo dans le peloton laisse entrevoir la magie du cyclisme féminin, et j’ai une petite préférence pour la très jeune Evita Muzik, qui promet de belles victoires françaises, dans la lignée de Pauline Ferrand-Prévot et Audrey Cordon-Ragot.
Comme devant la demi-finale France-Allemagne de l’Euro de football féminin, on peut vibrer devant le cyclisme féminin. La course est vive, rapide, avec des échappées, des stratégies d’équipes, du suspense, du panache et, malheureusement, presque autant de chutes dans ce Tour féminin que dans les courses masculines, tant la tension née du prestige du Tour de France met de la nervosité dans le peloton.
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Depuis Paris-Roubaix en 2021, les femmes ont su donner leurs lettres de noblesse à leur sport, avec l’appui indispensable des sponsors et de la télévision qui, comme pour le foot féminin, fait beaucoup pour populariser le cyclisme des filles. Au-delà du Tour, on s’habitue à regarder aussi les Liège-Bastogne-Liège, Strade Bianche, Milan-San Remo des femmes. Marc Madiot (qui a changé d’avis depuis) avait tort : elles sont belles à regarder, les coureuses (qu’on appelait les "coursières" lors de la tentative éphémère de Tour féminin en 1955). Elles sont élégantes et affûtées. Si, une année, le Tour masculin est ennuyeux (ce ne fut pas le cas en 2022), on se surprendra à s’intéresser davantage au Tour des filles.
On n’en est pas encore tout à fait là. Mais ce temps viendra. La principale victoire est déjà acquise : de même qu’il y a des femmes à la mairie de Paris, à l’Hôtel Matignon et au second tour de l’élection présidentielle, il y a un Tour de France féminin et il est là pour durer. La foule, nombreuse sur le bord des routes de l’est de la France depuis le 24 juillet, en redemandera.
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