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Il était une fois le Tour

Eurosport
ParEurosport

Publié 06/07/2009 à 12:40 GMT+2

Chaque jour, découvrez ou redécouvrez une grande page de l'histoire du Tour de France. Lundi, retour sur le duel Fignon-Hinault en 1984. Sur les pentes de l'Alpe-d'Huez, la France assiste au choc des générations entre le Parisien, au sommet de son art, et le Breton, battu par plus fort que lui.

"Ah mais je vous reconnais: vous êtes celui qui a perdu le Tour de France de 8 secondes". "Non monsieur, je suis celui qui en a gagné deux." Ainsi commence l'autobiographie de Laurent Fignon, sortie au mois de juin. L'ancien champion a choisi de raconter son histoire en débutant par l'épisode le plus marquant de sa carrière. A moins que cette idée ne se soit imposée à lui. On n'échappe pas à son passé. A son insu, l'incroyable dénouement du Tour de France 1989, par son aspect historique, et plus encore par sa cruauté, éclipse tout le reste aux yeux de beaucoup. En gagnant deux Tours de France, un Tour d'Italie, deux Milan Sanremo, une Flèche Wallonne et tant d'autres courses, Fignon est dans l'histoire du cyclisme dans les années 80. Mais son invraisemblable défaite sur les Champs-Elysées, face à Greg LeMond, en 1989, l'a fait entrer dans la légende du sport. La nuance est de taille.
La phrase d'ouverture du livre de Laurent Fignon est donc tout sauf anodine. A vrai dire, elle résume tout. La mémoire sélective du public, retenant les défaites cruelles plutôt que les grands triomphes. La volonté du champion de rappeler qu'il ne doit pas être réduit à ça. Et le fait que le Parisien soit prisonnier de cet épisode. Malgré lui. Malgré tout. A travers cette chronique sur les grandes pages de l'histoire de la Grande Boucle, il paraissait donc inévitable d'évoquer 1989. Ce sera peut-être le cas. Mais Fignon a 100 fois raison de rappeler qu'avant les huit secondes, il y avait eu ses deux succès, qui en avaient fait un des plus jeunes doubles vainqueurs de l'histoire du Tour. Deux sacres à moins de 24 ans. "J'en gagne cinq ou six et j'arrête", avait-il alors dit en guise de provocation. C'était le temps de la domination insolente. Des jambes de feu. Du mental de fer. Il n'est pas interdit de préférer cette image du champion triomphant, magnifique d'autorité, que du perdant inconsolable. Car la seconde victoire de Laurent Fignon, en 1984, demeure une des plus brillantes démonstrations de l'ère moderne.
Hinault, le panache jusqu'au suicide
La première, un an plus tôt, n'a pas mis tout le monde d'accord. Fignon a d'abord profité de la blessure de Bernard Hinault, vainqueur de quatre des cinq dernières éditions, pour faire office de leader chez Renault. Puis il a bénéficié de l'abandon du maillot jaune, Pascal Simon, pour prendre le pouvoir. Pour certains, le grand blond n'est donc qu'un vainqueur de transition. En 1984, Hinault, désormais chez La Vie Claire, l'équipe de Bernard Tapie, est de retour. On va donc voir ce qu'on va voir. Lors du prologue, Bernard Hinault s'impose et retrouve le maillot jaune. Le Breton frappe d'entrée pour son retour. Mais sa victoire, toute relative, en cache une autre. Laurent Fignon, moins spécialiste de l'exercice, a pris la 2e place, à trois secondes seulement du Blaireau. Dans la foulée de son excellent Giro (il a terminé 2e derrière Moser au terme d'une des plus grandes escroqueries de l'histoire du cyclisme) et de son titre de champion de France, Fignon est en grande condition. Son équipe aussi. Renault truste tout. Marc Madiot, Pascal Jules, Pierre-Henri Menthéour et Pascal Poisson gagnent leur étape. Sans oublier le contre-la-montre par équipes. Vincent Barteau, à la faveur d'une échappée fleuve, va lui porter le maillot jaune pendant 15 jours, avant de le céder à son leader au sommet de l'Alpe d'Huez.
Au matin de l'étape reine des Alpes, si Laurent Fignon n'est pas encore aux commandes du classement général, il est l'incontestable patron de la course. Bien calé à la deuxième place derrière Barteau, qui s'apprête à s'effacer, il compte 2'49" d'avance sur Hinault. Le reste de la troupe, emmené par Pedro Delgado et Greg LeMond (alors équipier de Fignon pour son premier Tour), est déjà trop loin pour rêver à la victoire finale. Sur le papier, seul Hinault semble donc en mesure de contester la victoire annoncée de Fignon. Le Breton entend jouer son va-tout dans l'étape de l'Alpe d'Huez. Dès la cote de Laffrey, il passe à l'attaque. Pas une fois, mais cinq, dans la côte de Laffrey. Cinq fois, Fignon réplique, facile. Mieux, au sommet, il accélère à son tour. Seul Lucho Herrera est en mesure de suivre le maillot bleu, blanc, rouge. Hinault bascule avec 20 secondes de retard. Finalement, peu avant le Bourg d'Oisans, situé au pied de l'Alpe, un regroupement s'opère. Et là, Hinault, stupéfiant tout le monde, décide d'attaquer à nouveau. Contre toute attente. Contre toute logique, aussi. Si Hinault avait un seul défaut, c'était son sens tactique, qui avait parfois tendance à se laisser bouffer par son orgueil démesuré. "Quand je l'ai vu se dresser sur les pédales, raconte Fignon, et s'en aller dans cette ligne droite, je me suis mis vraiment à rigoler. Pas intérieurement. Je dis bien que j'ai rigolé physiquement, là, sur le vélo. C'était plus fort que moi. Son attitude était aberrante." Sans doute sait-il pertinemment qu'il ne peut battre ce Fignon-là. Il lui reste le panache, quitte à pousser sa logique jusqu'au suicide.
Herrera frustre Fignon
Il va très vite payer cette attitude. Dès les premiers lacets de l'ascension finale, le quadruple vainqueur du Tour explose complètement. Lucho Herrera le dépose. Fignon aussi. Sans même un regard vers son ancien boss, pour lequel il a travaillé dans l'ombre lors de ses trois premières années chez les pros. Une page d'histoire s'écrit à cet instant. Jamais, depuis le début de sa carrière, Hinault n'avait subi un tel échec. Depuis sa première victoire dans le Tour en 1978, il n'avait jamais été battu sur le terrain, abandonnant en 1980 avant de déclarer forfait trois ans plus tard. A la régulière, le héros d'Yffiniac est donc invaincu. Le public le découvre sous un jour qu'il ne connaissait pas. Le champion affiche au grand jour sa faiblesse. Battu par plus fort que lui, mais également terrassé par ses propres erreurs, Hinault termine à l'agonie. Quand il coupe enfin la ligne à l'Alpe d'Huez, Fignon est arrivé depuis déjà plus de trois minutes. Le protégé de Cyrille Guimard endosse le maillot jaune.
Pourtant, son triomphe n'est pas total. Au sommet, Fignon a été devancé par Lucho Herrera. Transcendé devant une foule considérable, le grimpeur de Fusagasugá a réussi un formidable numéro en solitaire. Il devient le premier Colombien à remporter une étape sur le Tour de France. La journée est donc historique à plus d'un titre. Fignon avait peut-être les moyens de le suivre, mais il a été bridé par Guimard dans l'ultime montée. Il lui manque 49 secondes pour l'emporter. Il ne le sait pas encore, mais il ne gagnera jamais à l'Alpe d'Huez, où il aura pourtant endossé par trois fois le maillot jaune (1983, 84, 89). Hinault, lui, reste égal à lui-même dans la déroute. "Aujourd'hui, j'ai dérouillé. Mais je continuerai à attaquer jusqu'à Paris", assure-t-il.
Paradoxalement, Hinault gagne en ce jour une popularité nouvelle, que le public lui a longtemps refusée, alors que Fignon trouble son image. Quand on lui demande ce qu'il a pensé en voyant Hinault attaquer avant l'Alpe, il répond sans hésiter: "ça m'a fait marrer". Comme il l'a toujours fait, et comme il le fera toujours, Fignon, la franchise en bandoulière, n'a fait que dire ce qu'il pensait. "Ce n'était pas méchant de ma part, explique-t-il dans son autobiographie. Mais cette phrase fit le tour des rédactions et enfla bien au-delà du raisonnable. Tout le monde a cru que je m'étais moqué d'Hinault. Mais ce n'était pas le cas, pas du tout ! A aucun moment je ne voulais lui manquer de respect. Comment aurais-je pu faire ça, surtout à lui? Hinault, homme d'honneur, avait bien compris ce que j'avais voulu dire et à aucun moment il n'a surenchéri. C'était une bataille loyale, il n'y avait pas de mauvais coups." Il n'y en eut pas davantage les jours suivants. Pas plus qu'il n'y eut de match. Le lendemain, à La Plagne, personne, pas même Herrera, ne put priver Fignon de la victoire. Parachevant son oeuvre, le leader des Renault allait encore gagner à Crans-Montana puis dans le dernier chrono. Cinq succès d'étape, 10 minutes d'avance sur Hinault à paris, il avait tout écrasé. Le cyclisme semblait plus que jamais entré dans l'ère Fignon. Un an plus tard, ressuscité, Hinault ira chercher son 5e Tour de France, égalant Anquetil et Merckx. Un Tour que Fignon, tendon d'Achille meurtri, ne disputera même pas. En vélo plus qu'ailleurs, la roue tourne vite.
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