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Tour de France 1951, l'exploit d'Hugo Koblet : son fondement par Patrick Fillon et Laurent Réveilhac

Eurosport
ParEurosport

Mis à jour 24/10/2012 à 18:57 GMT+2

En marge de la présentation du parcours du centième Tour de France, voici quelques extraits des "Petites Histoires inconnues du Tour de France", de Patrick Fillon et Laurent Réveilhac. Premier passage : l'exploit d'Hugo Koblet en 1951 entre Brive et Agen.

Hugo Koblet, 1951

Crédit: Eurosport

Extrait de "Petits Histoires méconnues du Tour de France" de Patrick Fillion et Laurent Réveilhac, Editions Hugo et Cie.
Les spécialistes chevronnés du cyclisme, quand ils sont interrogés sur ce qu’est le plus grand exploit jamais réalisé sur le Tour de France, se partagent généralement entre le raid solitaire d’Eddy Merckx entre Luchon et Mourenx en 1969 et celui d’Hugo Koblet entre Brive et Agen en 1951. La majorité penche sans doute en faveur du champion suisse.
Il est vrai que ce qui fait le prix de cet exploit, c’est la personnalité de ceux qui se sont déchaînés durant 70 kilomètres pour lui faire entendre raison. "Dis-moi qui sont tes ennemis, je te dirai qui tu es" affirme l’adage. Ses poursuivants, ce jour-là, appartiennent au gratin d’une époque qui peut se targuer d’avoir fait éclore, en un fastueux bouquet arc-en-ciel, quelques-uns des plus grands champions cyclistes de tous les temps. Imaginez l’équipe d’Italie avec Fausto Coppi, Gino Bartali et même Fiorenzo Magni (malgré une fracture au coude) ; l’équipe de France de Louison Bobet, Raphaël Geminiani, Pierre Barbotin, Lucien Teisseire ; des individualités comme le Belge Stan Ockers, les Néerlandais Wout Wagtmans et Wim Van Est, le Français Jean Robic unis pour éviter une incroyable blessure d’amour-propre, se relayant sans le moindre temps mort et constatant avec rage et humiliation que le métronome suisse ne lâche rien. Et mieux qu’à certains moments, il leur reprend du terrain. Il parvient au but avec 2 minutes 35 secondes d’avance sur la meute (agrémentées d’une minute de bonification).
Hugo Koblet, constatera pourtant, avec une authentique humilité : "Jusqu’à la mi-course, j’ai pédalé très en dessous de mon meilleur régime. Sur la fin seulement, j’ai mis les gaz." Il est vrai que le début de son épopée, de son échappée de 135 kilomètres, a bénéficié, comme souvent, de circonstances favorables.
Crise d'hémorroïdes et pommade à base de cocaïne
D’abord, aucun des gros bras du peloton n’a pris l’affaire très au sérieux. Hugo Koblet avait déjà démontré sa capacité à courir d’une manière déconcertante, il n’y avait pas urgence à lancer la poursuite. Mieux valait, sans doute, le laisser s’épuiser dans une attaque incohérente. Les grands affrontements étaient prévus pour les jours suivants, dans les Pyrénées. C’était se comporter de manière très imprudente avec ce coureur, formidable rouleur, et qui était devenu le premier étranger à s’imposer dans le Tour d’Italie en 1950, en remportant de surcroît le classement du meilleur grimpeur devant Gino Bartali !
Ensuite, sur la route d’Agen, une sorte de mésentente souterraine régnait au sein de l’équipe de France, ce qui limitait son pouvoir de réaction collective. Le moment où elle allait décider de faire œuvre commune ? Quand Louison Bobet, son présumé leader, serait victime d’une crevaison. Une fois les Tricolores rentrés dans le peloton, il allait bien falloir constater les dégâts : l’avance du champion suisse dépassait les 4 minutes Toutes équipes confondues, les poursuivants allaient alors sonner la charge, sabre entre les dents. À leur absolue stupéfaction, leurs efforts conjugués n’allaient servir à rien !
Mais pourquoi le champion suisse s’était-il lancé dans cette aventure qui aurait pu tourner au désastre ? Le secret de l’énigme se niche, sans doute, dans les événements qui se sont déroulés, la veille au soir, dans une chambre d’hôtel dont étaient écartés tous les curieux. Hugo Koblet souffre d’une crise d’hémorroïdes. Pour préserver le secret de cette affection, un médecin de Brive est mandé nuitamment. Il préconise une incision immédiate, synonyme d’abandon. Le champion suisse refuse d’envisager, ne serait-ce qu’un seul instant, une telle solution. Il fait donc quérir un autre mandarin local qui suggère un traitement associant l’aspirine, puissant anti-inflammatoire, et une pommade à base de cocaïne.
La cocaïne sous cette forme dispose d’un effet anesthésique très puissant dont la durée d’action est, cependant, de durée limitée. Mais elle a d’autres vertus. Le pistard André Pousse, devenu célèbre comme comédien spécialisé dans les seconds rôles que lui offrait son ami Michel Audiard, a un jour expliqué à Roger Bastide, éminent journaliste sportif qui partageait souvent les virées nocturnes d’Antoine Blondin, quel usage il faisait d’une telle embrocation : "J’enduisais le fond intérieur de mon cuissard et la pommade pénétrait sous la peau. Après cela, je me sentais tout joyeux." De là venait (peut-être !) l’euphorie du champion suisse. Mais sa première motivation pour placer l’accélération qui allait tout déclencher, était surtout de vérifier l’efficacité du traitement auquel il avait été soumis. Le résultat s’avéra positif. Il préféra ensuite continuer à rouler seul, serein, plutôt qu’aux aguets au sein d’un peloton plutôt hostile. (...)
Accident mortel inexpliqué
Les journalistes présents à Brive sont subjugués. Jacque Grello, qui fait le plus souvent profession de chansonnier, trouvera les termes exacts pour décrire dans une chronique destinée au Parisien Libéré cette sensation collective. Ces deux mots accolés lui seront des attributs pour l’éternité : "Le pédaleur de charme". Ils traduisent l’impression de fluidité ressentie par ceux qui le voyaient progresser sans effort ni souffrance apparente. Seul, plus tard, Jacques Anquetil, fera renaître la même émotion.
Au mois de novembre 1964, quelques mois après le "Tour des Tours", arraché par son émule normand à l’ambition de Raymond Poulidor, Hugo Koblet trouva la mort au bout de la longue ligne droite d’une route suisse parcourue sans retenue par son Alfa Romeo blanche. Comme l’accident n’avait pas eu de témoin, il est resté inexpliqué, au point qu’un comportement suicidaire a souvent été évoqué. Le champion suisse n’aura enchanté la France qu’un seul été. Quelques mois après son couronnement, il avait contracté, lors d’une tournée en Amérique latine, une infection pulmonaire dont il ne parvint jamais à se défaire. Désormais, quand la route s’élevait, il n’était plus qu’un piocheur appliqué. Le charme était rompu.
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