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TOUR DE FRANCE - 1975 : 40 ans avant Froome, la France contre Merckx

Laurent Vergne

Mis à jour 22/07/2015 à 05:48 GMT+2

TOUR DE FRANCE 2015 - Alors que le Tour célèbre mercredi les 40 ans de la victoire de Bernard Thévenet face à Eddy Merckx en revenant à Pra-Loup, les désagréments du maillot jaune Chris Froome avec le public français rappellent dans une certaine mesure les déboires du grand Merckx lors de cette édition 1975.

Eddy Merckx et Bernard Thévenet lors du Tour de France 1975

Crédit: AFP

Mercredi, le Tour de France posera ses valises à Pra-Loup. Pra-Loup, ce n'est ni l'Alpe d'Huez ni le Galibier. Deux petits passages en 112 ans, ça n'en fait pas exactement un monument incontournable de la Grande Boucle. Mais il a suffi d'une seule étape pour que la station des Alpes du Sud pénètre la légende du Tour. Parce que c'est ici, il y a exactement 40 ans, qu'a pris fin le règne du plus grand champion de l'histoire, Eddy Merckx. Vaincu par Bernard Thévenet, Merckx a porté sur ces pentes le 96e et dernier maillot jaune de sa carrière, avant de le remettre à son bourreau.
Attaché à ces passerelles temporelles marquantes, Christian Prudhomme a souhaité que le Tour revienne à Pra-Loup, 40 ans après. Mais c'est un autre écho qui semble aujourd'hui résonner, à quatre décennies d'intervalle. Celle d'un maillot jaune cristallisant sur lui le ressentiment, la colère et, parfois, la bêtise. Ces derniers jours, le Tour a été éclaboussé par un verre d'urine balancé à la face de Chris Froome.
Je l'ai même pas touché, vous rigolez
Un incident qui a contraint le patron du Tour à sortir de sa réserve pour demander qu'on "respecte" le maillot jaune. "L'atteinte à l'intégrité du maillot jaune est inacceptable", a ainsi souligné Christian Prudhomme. "Le coureur dominateur n'a jamais été aimé dans l'histoire du Tour de France. C'était vrai avec Jacques Anquetil, c'était vrai avec Eddy Merckx, ça se produit là encore", a-t-il également tenu à rappeler. Merckx peut en témoigner. Lui aussi a été touché dans son intégrité. Physiquement. C'était il y a exactement 40 ans. Deux jours avant cette fameuse étape de Pra-Loup qu'honorera le Tour de sa mémoire mercredi.
Le 11 juillet 1975, sur les pentes du Puy-de-Dôme, à 200 mètres environ de l'arrivée, le champion belge reçoit un coup au foie porté par un spectateur présent sur la droite de la route. Merckx termine le souffle coupé par cet uppercut. On ne saura jamais à quel point l'incident a pesé dans la terrible défaillance que le maillot jaune, déstabilisé et affaibli, connaitra lors de l'étape suivante à Pra-Loup. Merckx est convaincu que ce coup lui a coûté le Tour. Thévenet, beaucoup moins, évidemment.
Une fois sa respiration retrouvée, le quintuple vainqueur du Tour va reprendre la route à contre-sens et, accompagné de gendarmes, retrouver son agresseur. "Je l'ai même pas touché, vous rigolez", lance celui-ci, un peu penaud. Son identité est relevée. Merckx repart sous les sifflets. Les deux hommes se retrouveront chez le juge, puis au procès. Nello Breton, puisque c'est son nom, écopera d'une peine de prison avec sursis et d'un franc symbolique de dommages et intérêts. Saveur ultime de l'affaire, son avocat, commis d'office, s'appelait... Thévenet. Le quotidien La Montagne l'a retrouvé et a joliment narré toute cette histoire.
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Eddy Merckx à l'arrivée de l'étape au Puy-de-Dôme en 1975, juste après son coup de poing

Crédit: AFP

Un pacte tacite

Au Puy-de-Dôme, quelque chose s'est cassé. Frapper un maillot jaune, c'est une limite infranchissable. "C'est dégueulasse, s'emportera d'ailleurs Merckx, à chaud. J'ai été insulté, déjà, mais frappé, jamais. Je suis écoeuré." Si l'évènement choque à l'époque, c'est justement parce qu'il est exceptionnel. Et cette rareté a quelque chose de miraculeux. Des millions de gens se massent sur les routes des grandes courses cyclistes à travers le monde, chaque année. C'est la puissance unique de ce sport que de placer ses champions au cœur de l'action, presque en corps à corps avec le public. Aucune autre discipline n'offre cela et c'est à l'évidence une des raisons majeures de la popularité du cyclisme en général, et du Tour en particulier.
Si ces épisodes sont rarissimes, c'est parce que le public scelle un pacte tacite avec les coureurs. Il jouit d'un privilège assorti d'une obligation : sa proximité s'accompagne d'un respect absolu. On ne s'en prend pas au coureur. Bien sûr, personne n'est jamais à l'abri d'un dingue prêt à aller jusqu'au meurtre. Mais Nello Breton n'était pas un psychopathe. Son acte fut moins frappé du sceau de la dangerosité que de la bêtise. Son geste aura surtout été le point culminant de l'exaspération merckxienne. Contrairement à Froome, la foule ne reprochait pas à Merckx d'être un possible tricheur (elle ne se posait pas vraiment ce genre de questions à l'époque, ou alors de très loin), mais de trop gagner. Car Merckx ne gagnait pas que le Tour. Il gagnait tout. Tout le temps. Comme jamais personne, avant ou après lui, n'a gagné.
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1975 Tour de France Merckx

Crédit: Eurosport

Plus que de Pra-Loup, c'est du Puy-de-Dôme dont il faut se souvenir

Dans le documentaire "Autour du Tour", consacré justement à cette édition 1975, on peut mesurer dans quel contexte évoluait alors Merckx. "Merckx, Merckx, Merckx, et merde", entend-on. "Méchant, prétentieux, bêcheur, égoïste", sont les qualificatifs utilisés par les personnes interviewées. Jusqu'à cette femme qui, dans la foule du Puy-de-Dôme, éructe un "Salaud de Merckx, il est passé ce salopard ?" qui fait presque froid dans le dos.
A l'époque, le Cannibale reçoit quotidiennement des lettres d'insultes, parfois accompagnées de menaces de mort. Pas étonnant, au fond, dans cette atmosphère, que le roi Eddy ait fini par en prendre une. Reste que, même dans le feu de l'action, il eut assez de recul pour confier qu'il n'en voulait "qu'à cet homme". "Il y a des fous partout. En France. En Belgique. Je n'en veux pas spécialement au public français", insista le Belge le soir même.
A peu près, finalement, ce que Chris Froome a répété ce week-end, insistant sur le comportement exemplaire de la "grande majorité" du public. L'histoire de Froomey n'est pas celle d'Eddy. On détestait Merckx en lui vouant, au fond, une admiration sans borne. Malheureusement pour l'actuel maillot jaune, ce n'est sans doute pas son cas. Mais une chose est sûre, quoi qu'on pense de lui, le coureur, lanterne rouge ou maillot jaune, est sacré. On n'y touche pas. Ni d'un coup poing ni d'un jet de pisse. Ni maintenant ni il y a 40 ans. Le Tour revient à Pra-Loup. Mais c'est du Puy-de-Dôme dont il faut surtout se souvenir aujourd'hui.
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