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TOUR DE FRANCE 2015 - Les écarts "fous" creusés par Froome, à la fois faux débat et mauvais argument

Laurent Vergne

Mis à jour 17/07/2015 à 18:53 GMT+2

Chris Froome domine la concurrence pour le moment sur ce Tour 2015. Mais s'appuyer sur les écarts creusés par le Britannique lorsqu'il passe à l'attaque, que ce soit à la Pierre-Saint-Martin ou au Ventoux il y a deux ans, n'est pas pertinent.

Chris Froome dans les Pyrénées sur le Tour 2015.

Crédit: Panoramic

Mercredi, nous étions le 15 juillet. Pendant que le peloton gouverné par les Sky filait vers Cauterets via Aspin et le Tourmalet, le Tour de France célébrait le 46e anniversaire d'une des pages les plus célèbres de son histoire : la naissance du Merckixsme. Ce 15 juillet 1969, sur la route de Mourenx, Eddy Merckx, que l'on ne nommait pas encore le Cannibale, entreprit un coup d'une folle audace qui s'avéra payante. Résistant seul à tous ses rivaux pendant 140 kilomètres, le jeune Belge s'imposa avec huit minutes d'avance sur un groupe de 7 coureurs composé notamment de Pingeon et Poulidor. La 9e place de l'étape, ce jour-là, est revenue au tenant du titre, Jan Janssen, qui a coupé la ligne 14'47" après Merckx.
Pourquoi revenir sur cet épisode ? Parce que 46 ans moins un jour après l'exploit dantesque de Merckx, tout le monde s'est ému des écarts creusés par Chris Froome au sommet de la Pierre-Saint-Martin. On a parlé "d'humiliation", de Tour "écrasé", de concurrence "laminé". D'écarts "fous".

Au Ventoux, Quintana était à 29 secondes de Froome

Que le British ait ce jour-là mis une claque à la concurrence, c'est une évidence. Mais que ce soit à l'échelle de l'histoire ou dans l'absolu, en matière d'écarts provoqués, il n'y a rien d'extravagant dans ce que le leader de la Sky a accompli. Il a démarré à 6,3 kilomètres de l'arrivée, pour devancer Nairo Quintana d'un peu plus d'une minute. En gros, il lui a pris une dizaine de secondes au kilomètre. Est-ce colossal ? Pas vraiment. Admettons que ce soit énorme, parce que c'est Nairo Quintana, référence es montagne. Mais ce jour-là, Froome a aussi devancé un garçon comme Tony Gallopin de 2'22". Pas franchement surréaliste, malgré les récents progrès du Français.
Idem au Mont Ventoux 2013, considéré comme la victoire-référence de Chris Froome et jugé comme louche par beaucoup, plus encore après la publication des données sur la vidéo de son ascension. Dans la mémoire (courte) collective, il y a eu ce jour-là un extra-terrestre seul sur sa planète, et des êtres humains. Mais si Froome y a signé une performance "inhumaine", quid de ses principaux poursuivants ? Car lors de cette étape, Nairo Quintana n'a fini qu'à 29 secondes de Froome. Nieve et Rodriguez à 1'23", Contador et Kreuziger à 1'40". Les 10 premiers se tenaient en 2'08", les 20 premiers en 3'31". 20 coureurs en 210 secondes au Ventoux, on a vu plus brutal comme carnage.

On se trompe de débat

Nous sommes quand même loin, très loin de certaines démonstrations du passé. Outre le cas fameux de Merckx à Mourenx, on citera la folle chevauchée de Luis Ocana à Orcières-Merlettes en 1971 (6'52" d'avance à l'arrivée sur Van Impe, 2e et 8'42" sur le peloton réglé par Merckx, 3e), ou bien encore Lucien Van Impe, vainqueur au Pla d'Adet en 1976 avec plus de trois minutes d'avance sur son dauphin. En  1985, même s'ils étaient deux, Hinault et LeMond ont mis la concurrence à plus de 5 minutes à l'Alpe d'Huez. Autant de faits d'armes mythiques ayant provoqué des écarts sans commune mesure avec ceux générés par Froome.
En réalité, on se trompe de débat en voulant se focaliser sur cet aspect des choses. Ce ne sont pas la grandeur ou l'étroitesse des écarts qui prouve l'existence d'un dopage massif. Lance Armstrong a remporté le Tour 2003 dans un mouchoir et d'autres avec une marge plus conséquente. Il n'a jamais gagné avec plus de 7'37" de marge sur son dauphin. C'est confortable, mais en aucune manière invraisemblable. Et il n'était pas moins dopé en 2003, quand il a devancé pour une petite minute un Jan Ullrich, lui aussi dopé.

6 coureurs en 4 minutes à mi-Tour

Sur ses cinq victoires, la marge moyenne de Merckx par rapport à son dauphin est de quasiment 12 minutes ! Hinault a gagné deux de ses cinq Tours avec 13 et 14 minutes d'avance. Il faut remonter à 1984 pour trouver trace d'un écart supérieur à 10 minutes entre un vainqueur et son dauphin. C'était Laurent Fignon. Et avec 6 coureurs en 4 minutes à mi-Tour (sachant que, pour une bonne part, ces écarts ont aussi été creusés avant la montagne), il est peu probable que cette 102e édition se joue sur des écarts "à l'ancienne." Pourtant, qui peut pourtant prétendre que, dans les années 90 et 2000, le dopage était moins présent que des années 60 aux années 80 ?
Pour résumer, Froome n'est pas aussi archi-dominateur qu'on veut bien le dire. Et c'était déjà le cas en 2013, lorsqu'il avait remporté le Tour avec 4'20" d'avance sur Quintana, 5'04" sur Joaquim Rodriguez, 6'27" sur Alberto Contador et 7'27" sur Roman Kreuziger, 5e. Vouloir s'appuyer sur les écarts qu'il génère comme pour étayer des soupçons de dopage, c'est absurde.
Le cyclisme a changé. Nous ne sommes pas près de revoir un raid solitaire du maillot jaune sur 140 bornes comme Merckx jadis. Aujourd'hui, les favoris s'expliquent sur une poignée de kilomètres. Comme à La Pierre-Saint-Martin. Mais prenons le temps d'un anachronisme : si l'on avait regardé avec la performance de Merckx à Mourenx avec l'œil que nous jetons sur les 6 kilomètres d'offensive de Froome, à quoi auraient ressemblé l'édito dithyrambique de Jacques Goddet et la chronique de Blondin en ce bel été 1969 ?
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Chris Froome

Crédit: AFP

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