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L'Allemagne et le Tour : De Thurau à Ullrich, de Berlin à Düsseldorf, 40 ans d'une folle passion

Laurent Vergne

Mis à jour 29/06/2017 à 13:14 GMT+2

TOUR DE FRANCE 2017 – Hasard des chiffres, chaque année en "7", l'Allemagne vit une page spéciale sur la Grande Boucle. Pour le meilleur ou pour le pire. De 1977 à aujourd'hui, retour sur ces pages qui ont permis aux Allemands de tisser, ou de distendre, un lien très particulier avec le Tour.

L'équipe Teka devant le mur de Berlin en 1987

Crédit: Getty Images

1977 : La révélation Thurau

Ce Tour 1977 est celui du deuxième sacre de Bernard Thévenet et de la toute dernière participation du géant Eddy Merckx, lequel terminera à la 6e place à Paris. Mais c'est aussi celui qui a révélé au public français un jeune Allemand de 22 ans du nom de Dietrich Thurau, Didi pour les intimes et pour ses groupies de la gente féminine, alors très nombreuses. Formé à l'école de la piste, redoutable poursuiteur, le natif de Francfort décroche le maillot jaune d'entrée à l'occasion de sa victoire dans le prologue, puis signe deux nouveaux succès, à Pau et dans le chrono de Bordeaux.
Jamais menacé dans ce Tour particulièrement insipide, Thurau va s'accrocher à sa première place pendant deux semaines entières, avant de le rendre dans les Alpes, où il va se tasser, sans s'effondrer totalement, pour finir à une prometteuse 5e place au classement final et cinq succès d'étape au total. Il aura même eu l'honneur d'arriver en jaune lors de l'entrée du Tour en Allemagne, à Fribourg. Promis à une carrière majuscule, Thurau ne confirmera jamais. Le journaliste et romancier Antoine Blondin, la plume trempée dans l'acide, dénoncera son embourgeoisement. Mais la ferveur populaire suscitée en Allemagne au cours de cet été 1977 aura donné un avant-goût de l'époque Ullrich...
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Didi Thurau sur le Tour de France 1977

Crédit: Imago

1987 : Le Tour au pied du Mur

Une édition historique à plus d'un titre puisqu'elle fut celle du retrait du patron légendaire du Tour, Jacques Goddet, et la première de l'ère post-Bernard Hinault, parti à la retraite. Mais 1987, c'est aussi le grand départ de Berlin. S'élancer de l'étranger n'était déjà plus une révolution. C'était même la huitième fois et, en 1980, le Tour avait déjà pris son envol depuis l'Allemagne, à Francfort. Mais jamais un grand départ hors de France n'a créé autant l'évènement.
D'abord parce qu'il n'avait jamais démarré aussi loin de l'Hexagone. L'éloignement géographique poussera d'ailleurs les organisateurs à passer pas moins de cinq journées entières dans sur le territoire allemand, soit un bon quart du Tour. Le Tour n'avait pas encore été à ce point "allemand". Mais ce sont surtout les trois premières étapes à Berlin qui ont marqué les esprits, de par l'ampleur historique et l'atmosphère du lieu. Deux ans avant la chute du Mur, Berlin-Ouest reste une oasis de liberté au cœur du bloc communiste. Avant le départ, chaque équipe viendra se faire prendre en photo au pied de ce monument taggué de partout, et bientôt voué à s'effondrer.
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Les coureurs du Tour de France 1987 devant le Mur de Berlin

Crédit: Getty Images

1997 : Das Gelbe Trikot

Un style "Panzer", unique, un côté destructeur, implacable, une sorte de Miguel Indurain en plus puissant (!), voilà ce qu'était Jan Ullrich. Révélé par sa deuxième place à seulement 22 ans en 1996, le colosse de Rostock met le Tour et le monde à ses pieds l'année suivante, en matant sans mal les grimpeurs Virenque et Pantani. Pour la première fois, un Allemand remporte la Grande Boucle. Le maillot jaune devient le "gelbe trikot". Superstar absolue dans son pays, Ullrich est alors un des sportifs les plus populaires de toute l'histoire du sport allemand. Sa glorification atteint des proportions hallucinantes.
Le Tour semble alors entrer dans une nouvelle ère, celle d'un nouveau Merckx, d'un nouvel Hinault, pense-t-on. C'est en réalité la pire décennie de son histoire qui s'ouvre. Le Tour 1997 était gangréné par l'EPO aux quatre coins de la caravane. Suivront l'affaire Festina, dès 1998, puis les années Armstrong, charriant leur lot de scandales. Ullrich en sera un personnage important, pour le meilleur et le pire. Il deviendra en réalité un super Poulidor, avec pas moins de quatre nouvelles deuxièmes places.
Aujourd'hui installé à Majorque, le grand Jan jouit d'un statut paradoxal dans son pays. Demeuré une idole pour beaucoup, il est pourtant tricard dans le milieu du cyclisme allemand, qui lui reproche, peut-être plus encore que de s'être dopé, le fait de ne l'avoir jamais admis autrement que du bout des lèvres.
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Jan Ullrich sur le Tour de France 1997

Crédit: Getty Images

2007 : La honte et la colère

Dix ans après le "kolossal" triomphe du Kaiser Ullrich, l'Allemagne vit une vraie rupture dans son histoire d'amour avec la Grande Boucle. La chute du grand Jan, impliqué dans l'affaire Puerto, a causé du dégât. Juste avant le Tour, le vase va déborder lorsqu'un ancien soigneur révèle dans ses mémoires que dans les années 90, celles des sacres d'Ullrich et de Bjarne Riis, le dopage à l'EPO était institutionnalisé au sein de l'équipe Telekom. Dans la foulée, plusieurs anciens coéquipiers des deux maillots jaunes vident leur sac.
Puis, pendant ce Tour 2007, Patrik Sinkewitz, supposé être le fer de lance de la nouvelle génération allemande, est contrôlé positif. C'est la goutte d'eau de trop. Furieuses et écœurées, les chaines publiques allemandes ARD et ZDF décident de stopper la retransmission de l'épreuve en cours de route ! Le début d'une vraie période de désamour entre l'Allemagne et le Tour. Il faudra du temps, et l'émergence de la génération Kittel-Degenkolb, pour que la réconciliation s'opère. Mais 2007 marque clairement un point bas.
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Un technicien de la télévision allemande ZDF décolle une affiche du Tour de France 2007

Crédit: Getty Images

2017 : Retour en Allemagne

Symbole de cette nouvelle page, le Tour de France s'offre donc à nouveau un grand départ en Allemagne. Christian Prudhomme aime les symboles, et il n'ignore pas que le 30e anniversaire de l'envol depuis Berlin était une occasion rêvée pour revenir de l'autre côté du Rhin. C'est sans doute tout sauf un hasard, et pour l'Allemagne, c'est une première depuis la chute du Mur de Berlin.
"Après des années difficiles, avait expliqué le patron du Tour au moment du choix de Düsseldorf, il y a une vraie renaissance du cyclisme et du Tour en Allemagne. Et la nation qui a gagné le plus d'étapes sur le Tour depuis trois ans, c'est l'Allemagne." Nul doute que chacun pourra mesurer à quel point la passion du public allemand pour cette épreuve hors normes demeure intact. Malgré les turpitudes du passé, demeure un profond héritage affectif.
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