Lunaire, étouffant, intimidant : L'Izoard, ce monument des Alpes
Mis à jour 25/07/2019 à 09:37 GMT+2
TOUR DE FRANCE - Menu d'exception jeudi lors de la 18e étape. Les coureurs emprunteront coup sur coup les deux cols mythiques des Alpes. Avant le majestueux Galibier, le terrifiant Izoard les attend. Il sera escaladé par son versant le plus spectaculaire, avec la Casse déserte en point d'orgue.
La légende de l'Izoard
Situé dans les Hautes-Alpes, le col d’Izoard est un des deux géants, avec le Galibier, de cette 18e étape. Il constitue l’une des portes supérieures du Queyras, couloir vers le Briançonnais et transition entre les Alpes du Nord et les Alpes du Sud. Avec une altitude de 2360m, il est un des sommets de ce Tour 2019, sans en être toutefois le point culminant. Sur ce plan, il est surpassé apr le Galibier et l'Iseran, qui sera escaladé vendredi.
Son ascension peut s'effectuer par deux versants. Le nord, au départ de Briançon, propose une montée de 19km à 6% de moyenne, jusqu’au Souvenir Henri-Desgrange. Avec un dénivelé de 1136m. Et le sud, depuis Guillestre. Le versant le plus spectaculaire et le plus mythique. C'est celui-ci qui sera emprunté jeudi.
Depuis Guillestre, l'ascension, interminable, dure près de 32 kilomètres. Mais les 18 premières kilomètres s'avèrent relativement "faciles" pour l'élite professionnelle, telle que celle du Tour de France. Ils contribuent en revanche à user les organismes avant la "vraie" montée, celle répertoriée par les organisateurs. Le pied officiel du col est ainsi situé au kilomètre 119 de l'étape, peu avant La Cassière. L'ascension est longue de 14,1 kilomètres à 7,36% de moyenne.
Les 5 premiers kilomètres sont plutôt roulants. Puis, à partir de Brunissard, elle se durcit nettement. La traversée de Brunissard impose d'ailleurs une ligne droite à 10%, un des passages les plus difficiles du col. Vient ensuite la route en lacets, souvent dans les conifères. Elle précède l'arrivée à la Casse Déserte, le lieu le plus légendaire de ce col qui ne l'est pas moins. Globalement, les sept derniers kilomètres sont terribles.
La Casse déserte, le mythe dans le mythe
Fort de son paysage lunaire, cosmique, "monolithique et silencieux" (dixit Jean-Paul Vespini), le géant Izoard a notamment bâti sa renommée avec la "Casse déserte", à deux kilomètres du sommet, montée uniquement par le versant sud. Une stèle Bobet-Coppi figure sur cet "autel de la gloire", mais le Code de la Route empêche en principe de s’y arrêter, en raison des chutes de pierres récurrentes.
SI la stèle rend hommage à Louison le Français et Fausto l'Italien, c'est qu'ils ont contribué à donné au lieu ses lettres de noblesse vélocipédiques. Coppi a franchi l'Izoard en tête en 1949 et 1951 et Bobet à trois reprises en 1951, 53 et 54. En 1953, Coppi, absent du Tour, est venu assister à l'étape de Briançon. Il s'est posté dans l'Izoard, à la Casse déserte. Voyant passer Bobet, il souffle à sa compagne Giulia Occhini, la célèbre "Dame Blanche" : que Louison est beau.
Au-delà de la pente, un peu comme au Ventoux, c'est d'abord le paysage qui frappe. Lunaire, cosmique, aride, tranchant avec la forêt qui précède. Entrer dans la Casse déserte, c'est pénétrer sur une autre planète. Le lieu impressionne, fascine. On a coutume de dire "qu'un champion entre seul dans la Casse déserte". Chacun, ici, fait face à son destin. En 2017, afin de renforcer la force évocatrice de l'endroit, Chrsitian Prudhomme avait interdit au public de se poster dans la Casse déserte, afin que les "coureurs se retrouvent seuls face à la montagne dans un lieu d'exception qui magnifie leurs exploits", avait dit le patron du Tour.
Pages d'histoire dans l'Izoard
L'Izoard fêtera bientôt ses 100 ans le Tour de France. Ce sera en 2022 et il y a fort à parier que Christian Prudhomme l'inscrira alors à nouveau au programme. L'actuel directeur de l'épreuve a contribué à remettre au goût du jour ce géant des Alpes presque oublié pendant un quart de siècle.
Après un âge d'or jusqu'au milieu des années 70, l'Izoard n'a été au programme du Tour qu'à trois reprises entre 1976 et 2000. Bernard Hinault ne l'a ainsi escaladé qu'une seule fois, lors de sa toute dernière participation, en 1986. Mais il a retrouvé son rang peu à peu : c'est la 7e fois depuis 2000 et la 4e depuis 2011 que l'Izoard figure au menu du parcours. Sa décennie la plus "prolifique" depuis bien longtemps.
Voici quelques-uns des grands moments de l'Izoard sur la Grande Boucle :
1922 : La naissance d'un mythe. Le Tour emprunte pour la toute première fois les lacets de l'Izoard. Phillipe Thys est le tout premier champion à en avoir franchi le sommet en tête. Difficile de rêver meilleur pionnier puisque le Belge, lauréat du Tour en 1913, 1919 et 1920, est le premier triple vainqueur de la Grande Boucle. Il devance tout le monde au sommet de ce col que certains médias écrivent alors parfois avec un "S", puis s’impose à Briançon au terme de 274km et quasiment 13 heures d'efforts.
1923 : Henri Pélissier écrase ce Tour 1923. Le Français passe en tête de l'Izoard et s’impose avec plus de quarante minutes sur le maillot jaune, son équipier Ottavio Bottechia.
1938 : Le plus grand exploit de l'avant-Guerre. Gino Bartali en route vers son premier sacre, lance une offensive de grande envergure dans l'Izoard et s'empare du maillot jaune à l'issue de l'étape. Son dauphin termine à plus du'n quart d'heure.
1939 : René Vietto voit ses espoirs de victoire finale s’envoler, dans l'Izoard lors de la 15e étape, entre Digne et Briançon. En larmes, le Roi René, "qui ne tient plus sur son vélo que par miracle" , est contraint de céder sa tunique au Belge Sylvère Maes qui n’a cessé de l’attaquer toute la journée. A l’arrivée, il prétextera un rhume. Il semble surtout qu’il ait employé un braquet démesuré pour monter ce col qu’il ne connaissait pas.
1953 : Louison Bobet peut être considéré comme "Monsieur Izoard". Il y a bâti une partie de sa légende. Le Français est d’ailleurs le seul à être passé en tête au sommet à trois reprises. Et c’est dans l’Izoard qu’il a scellé son premier succès sur le Tour en 1953.
1958 : Federico Bahamontes, que beaucoup considèrent comme le meilleur grimpeur de tous les temps, triomphe à l'arrivée à Briançon après être passé en tête en haut de l'Izoard lors de la 21e étape.
1972 : Merckx se débarrasse de Cyrille Guimard pour de bon, du côté de Brunissard . Alors porteur du maillot vert, le Français s’était découvert des talents de grimpeur jusqu’à la Casse déserte après être revenu dans la descente de Vars. Avant d’abandonner quelques jours plus tard. Malgré une défaillance à deux kilomètres du sommet, Merckx s’impose, après avoir résisté au retour de Luis Ocaña. Un succès qu’Antoine Blondin qualifiera le lendemain d’"A Merckx victoire".
1975 : C'est là que Bernard Thévenet s’est vu attribuer son surnom "Nanard". En 1975, le Français renverse Merckx. La veille, il a pris le jaune après son succès à Pra-Loup. Déchaîné, il attaque au pied de l’Izoard, passe seul au sommet puis devance le Belge à Serre-Chevalier pour sceller sa victoire.
2011 : Andy Schleck attaque à 60km de l’arrivée de la 18e étape entre Pinerolo et Serre-Chevalier. Alors 4e du général, le Luxembourgeois creuse rapidement l’écart sur le groupe maillot jaune. Et lève les bras à l’arrivée, au sommet du Galibier, avec plus de deux minutes d’avance sur son frère Fränk. Pour 15 secondes, Thomas Voeckler conserve son maillot jaune.
2017 : Cette fois, l'arrivé de l'étape est située au sommet de l'Izoard, donnant une dimension plus prestigieuse encore au fameux col. C'est Warren Barguil qui a l'honneur d'y lever les bras. le grimpeur français, maillot à pois sur le dos, signe ainsi le plus beau succès de sa carrière.
Les mots de l'Izoard
Henri Desgrange (en 1922) : "La tâche à remplir est si dure que nos hommes ne songeraient plus à se battre qu’à l’arrivée. Avec leur instinct de course, ils ont senti qu’il s’agissait d’abord de durer, d’abord de finir et que devant la somme de difficultés, de souffrance, ce serait peut-être une consolation d’avoir avec soi des camarades de misères (…). Sauf le respect que je vous dois, j’en suis encore comme deux ronds de flan."
Henri Desgrange (en 1923) : "L’Izoard est trouble comme une histoire à dormir debout qui n’en finit plus. Car il n’en finit plus, l’Izoard est interminable : il a des airs penchés, qui vous font croire qu’on est en train de le dominer et puis, pas du tout, à un tournant, au moment exact où on va lâcher le soupir de soulagement, il vous flanque dans les jambes une grimpette à faire renâcler une mule."
Antoine Blondin : "Est-ce là le col qui tue lentement ? Rien n’y pousse, sauf des coureurs qu’on pousse et qui produisent des amendes."
Louison Bobet : "Ici, on vibre intensément, physiquement comme au plus profond de soi-même."
Jacques Goddet : "L’Izoard, cette terrible exigence, qui établit la marge du difficile avec le terrifiant. C'est le privilège de l'Izoard de distinguer le champion."
Eddy Merckx (en 1972) : "On m’a parlé de la Casse déserte et de la stèle de Fausto Coppi apposée sur un rocher. Je n’ai rien vu de tout cela. Je le regrette, mais j’étais trop occupé…"
Raphaël Geminiani : "Le Tour se gagne à Briançon avant de se gagner à Paris."
Bernard Thévenet : "La montée finale de 1975 est celle qui m’a le plus marqué. C’était la première fois que j’avais le maillot jaune. J’avais rencontré Louison Bobet le matin même, il m’avait dit : "pour être un vrai grand champion, il faut passer en tête de l’Izoard avec le maillot jaune. Tu as déjà fait la moitié du boulot, en portant le maillot jaune". Il y avait une foule en haut, c’était énorme. Les gens s’écartaient au dernier moment. Il y avait une communion entre le public et moi. Un moment magique."
Tour | En tête au sommet | A gagné l'étape | A pris le maillot jaune | A gagné le Tour |
1922 | Philippe Thys | Oui | Oui | |
1923 | Henri Pélissier | Oui | Oui | Oui |
1924 | Nicolas Frantz | |||
1925 | Bartolomeo Aimo | Oui | ||
1926 | Bartolomeo Aimo | Oui | ||
1927 | Nicolas Frantz | Oui | ||
1936 | Sylvère Maes | Oui | Oui | |
1937 | Julián Berrendero | |||
1938 | Gino Bartali | Oui | Oui | Oui |
1939 | Sylvère Maes | Oui | Oui | Oui |
1947 | Jean Robic | Oui | ||
1948 | Gino Bartali | Oui | Oui | |
1949 | Fausto Coppi | Oui | ||
1950 | Louison Bobet | Oui | ||
1951 | Fausto Coppi | Oui | ||
1953 | Louison Bobet | Oui | Oui | Oui |
1954 | Louison Bobet | Oui | Oui | |
1956 | Valentin Huot | |||
1958 | Federico Bahamontes | Oui | ||
1960 | Joaquim Galera | |||
1962 | Federico Bahamontes | |||
1965 | Joaquim Galera | Oui | ||
1972 | Eddy Merckx | Oui | Oui | |
1973 | José Manuel Fuente | |||
1975 | Bernard Thevenet | Oui | Oui | |
1976 | Lucien Van Impe | Oui | ||
1986 | Eduardo Chozas | Oui | ||
1989 | Pascal Richard | Oui | ||
1993 | Claudio Chiappucci | |||
2000 | Santiago Botero | Oui | ||
2003 | Aitor Garmendia | |||
2006 | Stefano Garzelli | |||
2011 | Maxim Iglinskiy | |||
2014 | Joaquim Rodríguez | |||
2017 | Warren Barguil | Oui |
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