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Chronique - Lettre à Poulidor après l'annonce du Tour de France

Béatrice Houchard

Mis à jour 16/04/2020 à 16:44 GMT+2

Le Tour de France a choisi le 15 avril pour annoncer les nouvelles dates de la Grande Boucle pour l'année 2020, après le report obligatoire dû à l'épidémie du Covid-19. Ce 15 avril, Raymond Poulidor, disparu l'année dernière, aurait eu 84 ans. Notre chroniqueuse, Béatrice Houchard, lui rend hommage à travers cette lettre.

Raymond Poulidor en 1976, lors de son dernier Tour de France.

Crédit: AFP

Cher Raymond Poulidor,
Est-ce un hasard provoqué ou une vraie coïncidence ? Pour annoncer le report du Tour de France à l’automne, les organisateurs ont attendu le 15 avril. Pile le jour de votre anniversaire : vous auriez eu 84 ans.
Vous disiez fréquemment que, si un jour vous n’étiez pas dans la caravane du Tour en juillet, ce serait le signe que votre vie n’est plus vraiment la vie. Or vous nous avez quittés le 13 novembre 2019 et en 2020 il n’y aura pas de Tour de France en juillet. Ce sera entre le 29 août et le 20 septembre. S’il faut alors porter le deuil, ce sera bien sûr celui des milliers de personnes décimées par le Covid-19. Mais on ne pourra pas ne pas penser aussi à vous, qui aviez fait 57 fois le Tour de France, dont 14 comme coureur.
Quelle ironie ! Vous ne ratiez pas une seule course et, depuis que vous êtes mort, le peloton est quasiment à l’arrêt. Rien depuis un Paris-Nice écourté et (en partie) à huis-clos. Pas de Milan-San Remo (gagné par vous en 1961), pas de Tour des Flandres, pas de Paris-Roubaix, qui vous couronna parfois "premier Français" après quelques attaques du côté de Doullens et de Mons-en-Pévèle, et une sacrée guigne aussi côté crevaisons. Il ne fallait pas faire mentir la légende.
Un jour, sur les pavés, roue dressée à la main, on vous avait même vu vous énerver, ce qui n’était pas dans vos habitudes. Il n’y aura pas davantage de Flèche Wallonne (gagnée en 1963) ni de Liège-Bastogne-Liège, course dont on se demande bien comment vous vous êtes débrouillé pour ne pas la gagner, remportant seulement ce qu’on appelait "le week-end ardennais" après votre victoire dans la Flèche.
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Raymond Poulidor en 1973

Crédit: Getty Images

Le cyclisme est, comme les autres sports, comme le monde du spectacle, comme le commerce, comme presque toute la société, aux abonnés absents. Confiné à St Léonard-de-Noblat, vous seriez allé acheter le journal du matin avant de regarder des retransmissions de vieilles courses. Pas les vôtres : les images en noir et blanc ont mal vieilli et vous en aviez déjà bien assez de vous remémorer Puy-de-Dôme, le duel avec Anquetil et les 55 secondes de retard à Paris. Mais peut-être celles de Mathieu van der Poel, bien sûr, l’étoile montante du cyclisme, votre petit-fils, qui vous a dédié cet hiver ses victoires (que l’on ne compte même plus) en cyclo-cross avant d’endosser un nouveau maillot de champion du monde.
Mathieu van der Poel (certains le surnomment "Poupoule"), on rêvait ce printemps de le voir pénétrer en tête dans le vélodrome de Roubaix. Pourquoi pas de récidiver son exploit de l’année dernière dans l’Amstel une semaine plus tard. Il ne pourra pas remporter son objectif de l’année : la médaille d’or de VTT aux JO de Tokyo. "Il s’est mis ça dans la tête…", aviez-vous confié en juillet dernier, un peu perplexe, quand on s’était croisé à Pau. Car les Jeux olympiques non plus n’auront pas lieu, reportés à 2021. Van der Poel ira sans doute courir la Vuelta, que vous avez gagnée en 1964, pendant que Jacques Anquetil remportait le Giro.
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Mathieu Van der Poel et son grand-père Raymond Poulidor lors des championnats du monde de cyclo-cross 2016

Crédit: Getty Images

L’Euro de football étant lui aussi reporté d’un an, seul le Tour semble sauver les meubles. On espère que rien ne viendra l’empêcher et qu’on retrouvera les champions dont vous admiriez il y a un an les débuts prometteurs : Bernal, Van Aert, Evenepoel, Pogacar, Roglic, Higuita, Sivakov, Gaudu, Cosnefroy, sans oublier Pinot, Bardet et Alaphilippe, qui vous avait sacrément impressionné avec ses quatorze jours en jaune.
Cher Raymond Poulidor, vous étiez né en 1936, quelques jours avant la victoire électorale du Front populaire, un adjectif qui vous alla si bien. Vous aviez donc connu ces années de disette sans Tour de France. Mais c’était la guerre, quand vous alliez à l’école à Auriat, dans la Creuse, en empruntant le vélo maternel. L’instituteur, M. Vialleville, vous avait offert un abonnement à Miroir Sprint pour votre certificat d’études. Sans comprendre vraiment tout ce qui se passait, vous aviez même transporté des fusils-mitrailleurs avec des maquisards. Vous n’étiez pas si loin (cent kilomètres, pas plus) d’un autre homme célèbre disparu en 2019 : Jacques Chirac, qui étudia à l’école de Sainte-Féréole, en Corrèze, entre 1940 et 1943.
Le Tour de France vous rendra hommage à tous les deux lors de la même étape, entre Chauvigny dans la Vienne et Sarran, fief corrézien de l’ancien président et de son épouse Bernadette. Ce sera le 10 septembre. L’automne est beau en Limousin. Au kilomètre 140, le Tour passera chez vous, à St Léonard-de-Noblat. On n’ose imaginer qu’il y marquera un arrêt. Il ne l’a fait qu’une seule fois dans l’histoire, en 1960, pour saluer le général de Gaulle à Colombey-les-deux-Eglises. De Gaulle, qui assurait que vous aviez "un nom de Premier ministre"…
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Raymond Poulidor

Crédit: Getty Images

En apprenant que le Tour s’ébranle en août et se poursuit en septembre, j’ai repensé à ce que son pendule chéri avait révélé à votre directeur sportif Antonin Magne (blouse blanche et béret noir) au début de votre carrière : en juillet, Poulidor sera malchanceux. Magne garda le secret et ne vous raconta la prédiction que très longtemps après, en vous disant : "Si le Tour avait eu lieu en juin, pas de problème, vous l’auriez gagné"…
Voilà, vous savez tout. Cher Raymond Poulidor, je ne vous embrasse pas parce que je ne l’ai jamais fait et que c’est interdit en temps de confinement. Mais je vous adresse ma reconnaissance et mon respect. Ne souriez pas, là-haut, de nos rues vides et de notre passion nouvelle pour les masques, les gants et les gels hydro-alcooliques. Ne vous inquiétez pas trop non plus devant le nombre des victimes du fichu Covid-19 : l’épreuve est cruelle, mais on s’en sortira.
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