Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

Tour de France 2022 - L'Espagne, de la toute puissance au fond du trou

Laurent Vergne

Mis à jour 16/07/2022 à 11:45 GMT+2

TOUR DE FRANCE 2022 – Après avoir longtemps fait la pluie et le beau temps sur les grands tours en général et le Tour de France en particulier, le cyclisme espagnol est aujourd'hui au creux de la vague. Aucun coureur ibérique n'a gagné sur une course de trois semaines depuis maintenant 107 étapes. Sur le Tour, la disette s'étend sur quatre ans. C'est grave, docteur ?

Fraile vainqueur à Mende en 2018, ou le début de la traversée du désert des Espagnols

Samedi, le Tour pose à nouveau ses valises à Mende. Un bon souvenir pour le cyclisme espagnol. Le dernier, aussi, sur la Grande Boucle. Le 21 juillet 2018, un samedi déjà, Omar Fraile s'imposait en haut de la Montée Laurent Jalabert au nez et à la barbe de Julian Alaphilippe. Après ça, plus rien. Aucun Espagnol n'a levé les bras sur le Tour depuis Fraile en Lozère il y a quatre ans moins cinq jours.
Une anémie spectaculaire qui ne se limite d'ailleurs pas qu'au mois de juillet pour ce qui est des courses de trois semaines. Sur le Giro, la disette est plus longue encore. Elle prend sa source en 2017. Même sur leur Vuelta nationale, les Ibères n'ont plus gagné depuis le premier tiers de l'édition 2020 avec Ion Izagirre. Résultat, le cap des 100 étapes sans la moindre victoire espagnole sur un grand tour a été atteint la semaine dernière, le 5 juillet, à Calais. Le compteur continue de tourner : 109 étapes sans succès.
Aujourd'hui, les jeunes n'ont plus que deux options : aller ailleurs ou arrêter le cyclisme
Comment en est-on arrivé là ? Plus de grands leaders dominateurs, plus beaucoup de coureurs tout court, le vivier espagnol s'est asséché dans des proportions inimaginables il y a encore quelques années. Il suffit d'un élément de comparaison pour comprendre l'ampleur du phénomène. En 2007, année du premier sacre d'Alberto Contador, 11 des 20 premiers du classement général final venaient de l'autre côté des Pyrénées. Cette année, il y avait moins de coureurs espagnols au... départ du Tour que dans le Top 20 il y a quinze ans. Ils n'étaient que neuf à s'élancer de Copenhague. Le plus faible total depuis pile cinquante ans, en 1972. Ou comment passer de la toute puissance à la figuration.
picture

2007 : l'Espagne et Contador au sommet

Crédit: Imago

L'Espagne avance la théorie du creux générationnel. Alberto Contador ou Joaquim Rodriguez n'ont pas été remplacés et si Alejandro Valverde, dernier coureur de son pays sur le podium du Tour (3e en 2015), défie le temps à plus de 40 ans, il est proche de la sortie. "Nous avons besoin d'une nouvelle génération, plaide notre confrère Enrique Sanchez, qui couvre le Tour de France pour Eurosport Espagne. Outre Purito, Contador et Valverde, Landa et les frères Izagirre vieillissent aussi. C'est en partie un problème conjoncturel qui ne devrait durer qu'un temps, mais le cyclisme espagnol est clairement dans un creux."
Au-delà d'un problème de coureurs, c'est surtout un problème d'équipes. Le premier serait même en bonne partie la conséquence et non la cause du second. "Le souci, pointe Alberto Contador, c'est qu'il n'y a qu'une seule équipe espagnole dans le World Tour (Movistar, NDLR). Avant, avec toutes les équipes espagnoles, on pouvait donner leur chance à beaucoup de jeunes coureurs. Aujourd'hui, ils n'ont plus que deux options : aller ailleurs ou arrêter le cyclisme. Pour moi, c'est la cause principale. Ce n'est pas la même chose d'avoir trois équipes World Tour en capacité de faire les grands tours et d'en avoir une seule."
picture

Où va le cyclisme espagnol ?

Crédit: Quentin Guichard

Mas, le mal-aimé

Il est effectivement beaucoup plus dur qu'avant de se faire une place au soleil pour les jeunes. Pour ne parler que du Tour, l'Espagne a atteint un pic en 2007 avec 41 coureurs au départ. Cette année-là, c'était même la nation la plus représentée dans le peloton de juillet, devant la France. Depuis, le contingent ibérique n'a cessé de maigrir. En 2010, il était au-dessus de la barre des trente pour la dernière fois. Cinq ans plus tard, il descendait à 15 pour atteindre donc son point bas historique en 2022 avec neuf unités. "Pourtant, insiste Contador, je suis convaincu que les coureurs espagnols ont le niveau pour faire le Tour de France. Mais si vous regardez, même chez Movistar il n'y a que cinq Espagnols dans l'équipe."
Parmi les neuf survivants de 2022, Enric Mas sort du lot. Deux fois deuxième de la Vuelta, 5e et 6e du Tour ces deux dernières années, le Majorquin, issu de la "Formation Contador", est un homme de grands tours. Mais il n'a sans doute pas l'étoffe d'un porte-étendard pour le cyclisme ibérique. "Il est considéré chez nous comme un très bon coureur, mais ce sera difficile si ce n'est impossible pour lui de gagner le Tour un jour, juge Enrique Sanchez. La Vuelta ou le Giro, peut-être, et encore, il faudrait qu'il ait la chance de ne pas avoir un plateau trop relevé face à lui."
picture

Enric Mas (Movistar) au Granon.

Crédit: Getty Images

Surtout, Mas, 9e du classement général à la sortie des Alpes, n'est pas une figure populaire dans son pays. "Parce qu'il manque d'ambition, ajoute notre confrère. Il n'a pas faim. C'est le coureur régulier par excellence, mais qui ne cherche pas les grandes envolées pour aller gagner une étape. On a l'impression qu'il est content de faire 3e du général. Les supporters espagnols n'aiment pas ça. Mikel Landa ne gagne rien mais les fans l'adorent parce qu'il attaque en montagne. Il y a deux-trois ans, quand il était chez Quick Step, il était peut-être perçu différemment. On lui trouvait même du charisme, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui."

Ayuso, la pépite de demain ?

Enric Mas assurera peut-être une nouvelle présence espagnole dans le Top 10 final à Paris, mais pour une nation longtemps habituée à gagner le Tour (huit victoires entre 1988 et 2010 avec Delgado, Indurain et Contador) ou a minima à truster les places sur le podium, un tel résultat sort difficilement de l'anonymat. Alors l'Espagne patiente, espérant l'émergence d'une nouvelle génération. "Elle est très attendue, nous avoue Enrique Sanchez. Des garçons comme Juan Ayuso, Carlos Rodriguez, Juanpe Lopez ou Raul Garcia Pierna sont les noms du futur."
Dans cette liste, un garçon sort du lot : Juan Ayuso. Le plus jeune mais aussi le plus prometteur du lot. Après avoir tout fracassé chez les cadets et les juniors en Espagne, Ayuso a signé un contrat très remarqué de cinq ans avec le Team UAE Emirates de Tadej Pogacar. Sa première saison chez les pros est plus qu'intéressante. On l'a vu finir placé sur des épreuves relevées comme le Trophée Laigueglia (2e), le Tour de Romandie (4e) ou de Catalogne (5e). Il est, peut-être, la grande pépite de demain, celle qui rendra son lustre à ce cyclisme espagnol bien cabossé.
En attendant ces lendemains qui pourraient chanter, sur ce Tour 2022, la maigre colonie espagnole se contenterait volontiers de mettre fin à cette sa série noire en accrochant une petite victoire d'étape. Luis Leon Sanchez, le vieux briscard (38 ans), n'est pas passé loin à Megève mardi. Qui sait, samedi, le retour à Mende, quatre ans après le succès d'Omar Fraile au même endroit, inspirera peut-être ses compatriotes ?
picture

Juan Ayuso, le futur grand d'Espagne ?

Crédit: Getty Images

Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité