Tour de France 2024 | 19e étape : Tadej Pogacar (UAE-Emirates) doit empiler les succès tant qu'il en a la possibilité

Il en faut décidément beaucoup, du courage, pour être échappé en montagne sur ce Tour de France. À chaque fois, c'est la même rengaine : plusieurs des meilleurs grimpeurs du peloton se font la peau pour s'extirper du peloton, puis pour creuser - autant que possible - l'écart avec celui-ci. Certains réussissent ensuite à se débarrasser de leurs compagnons de fugue et commencent alors à rêver d'un succès. Un rêve qui, cependant, ne s'est jamais concrétisé. Car à chaque fois, les malheureux aspirants à la victoire ont été avalés et recrachés sans ménagement par Tadej Pogacar.

Jusque-là, il y avait Valloire, le Pla d'Adet et le plateau de Beille. Ce vendredi, "Pogi" a enrichi sa collection "Été 2024" d'un succès conquis à Isola 2000, portant ainsi son compteur à quatre victoires d'étape. Il n'y a guère qu'au Lioran où la chevauchée du Slovène, finalement repris et devancé au sprint par Jonas Vingegaard, n'a pas été couronnée de succès. Mais autant ses démonstrations de force précédentes étaient justifiées par son intention de faire la différence au classement général, autant celle réalisée en direction de la station alpestre était plus difficilement compréhensible.

Après tout, le leader d'UAE-Emirates pouvait adopter une stratégie défensive et se contenter de s'accrocher aux roues de ses principaux rivaux, qu'il n'avait pas besoin d'attaquer. Et quand bien même il aurait eu envie de consolider son avance (désormais plus que confortable), le maillot jaune aurait pu laisser l'échappée prendre le large au lieu de faire rouler ses équipiers à un tempo élevé dans le col de la Bonette. Bref, en voulant s'imposer aussi souvent que possible, le double vainqueur de la Grande Boucle (2020, 2021) ne se fait pas que des amis dans le peloton, autant qu'il risque de lasser une partie du public.

Après l'arrivée, Pavel Sivakov a expliqué à Eurosport que son équipier avait coché cette journée dans son carnet de route. "On voulait jouer l'étape, on a passé pas mal de temps en stage ici, on connaît très bien la région, donc ça nous tenait à cœur de gagner", a déclaré le grimpeur français. Pogacar souhaitait donc triompher en régional de l'étape, donc, mais ce n'est pas tout. À le voir placer une nouvelle accélération au moment où il rattrapait Matteo Jorgenson, dernier rescapé de l'échappée et membre de la Visma | Lease a Bike, on pouvait comprendre qu'il désirait enfoncer le clou et se venger de la formation néerlandaise, qui lui avait fait bien des misères sur les deux dernières années du Tour.

La quête de la victoire, partout, tout le temps

En outre, le gamin de Komenda tenait à s'offrir "l'étape-reine" de cette 111e édition, comme il avait tenu à s'imposer, pendant le dernier Tour d'Italie, au sanctuaire d'Oropa, où Marco Pantani avait autrefois écrit sa légende. Plus globalement, un constat s'impose : le récent lauréat du Giro est un glouton qui cherche à l'emporter partout, tout le temps, sur la plus anodine des courses par étapes jusqu'aux grands tours, en passant évidemment par les classiques et les Monuments. Cet appétit vorace peut donner la nausée à certains, c'est vrai, mais qu'importe. Tant qu'il peut gagner, le Slovène a bien raison d'en profiter.

Car tout peut très vite s'arrêter. Il y a cinq ans, Egan Bernal remportait le Tour de France et semblait parti pour régner pendant plusieurs années. Sauf que le Colombien a été victime d'un grave accident trois ans plus tard et, s'il a pu remonter sur un vélo, il évolue désormais à un niveau bien inférieur à celui qui était le sien auparavant. On peut également citer Christopher Froome, qui n'est plus que l'ombre de l'immense champion qu'il a été depuis sa violente chute sur le Critérium du Dauphiné 2019.

Au-delà d'une vilaine blessure, qui laisserait des traces physiques et mentales, Pogacar sait qu'il surfe sur une dynamique irrésistible cette saison, mais que celle-ci s'estompera tôt ou tard. Alors, il croque dans le gâteau autant qu'il le peut, et à pleines dents. "Pourquoi il faudrait laisser des miettes ? Quand tu as été coureur cycliste et que tu es sur coussins d'air, il faut en profiter, car ça ne dure jamais bien longtemps", l'a défendu Steve Chainel sur le plateau des Rois de la Pédale. Avant d'ajouter : "C'est respecter ses adversaires de leur mettre des danses dès que tu peux leur mettre des danses. Car le vélo, c'est dur."

Ce samedi, toutefois, le protégé de Mauro Gianetti ne devrait mettre de danse à personne, ni annihiler les espoirs des vaillants qui viseront la victoire d'étape. "Je vais juste profiter, laisser l'échappée partir et profiter des routes où je m'entraîne pendant toute l'année. On va se faire plaisir, rien de sérieux ne peut m'arriver", a souri l'intéressé, lucide quant au fait qu'il avait - sauf accident - course gagnée. Aux échappées de sauter sur l'occasion. Pour une fois, leur rêve ne se transformera pas en cauchemar à cause de Pogacar.