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10 juillet 1989, le jour où le monde des transferts s'est heurté à la religion

Joffrey Pointlane

Mis à jour 08/12/2019 à 17:54 GMT+1

A l’époque d’une Ecosse à l’aspect religieux et identitaire omniprésent, les traditions sectaires seront bafouées en juillet 1989 quand les Glasgow Rangers, club protestant phare de la ville, vont recruter leur premier joueur catholique, Mo Johnston, ancien du Celtic de surcroît. Un véritable séisme, une révolution, pour l’un des transferts les plus controversés de l’histoire du jeu.

Mo Johnston avec les Glasgow Rangers

Crédit: Getty Images

Un tabou. Un interdit bravé. Un bouleversement sportif, culturel, religieux et sociétal. Pourtant, lorsqu’il prend la pose, le cliché ne dégage rien d’autre qu’un joueur portant la tunique de son nouveau club. Mais ce tremblement de terre provoqué et l’instant gravé dans le marbre rassemblent une association étonnante aussi bien que détonante : celle de Maurice "Mo" John Giblin Johnston, avant-centre international écossais, de confession catholique, avec le jersey bleu roi du club des Rangers, le grand club protestant de la ville, dont il vient de se parer.
Dans la grande cité industrielle du pays, l’impensable s’est donc produit ce 10 juillet 1989, et les réactions des fans des "Gers", surnom de l’équipe aux 54 titres de champion aujourd’hui ne se font pas attendre. Sans hésitation, et même si une légère minorité se contente froidement de hausser les épaules non sans être abasourdie, la plupart des supporters se signale avec colère et rage. Manifestations devant le siège du club, à Ibrox Park, insultes envers la nouvelle recrue et les dirigeants. Quand ils ne décident pas de brûler leur écharpe et leur maillot des Rangers en signe de protestation. Le décor est déjà planté.

Sectarisme et coup de tête

Mo Johnston se doute bien que la chose va déranger, et il s’attendait aux réactions épidermiques de la part des fans de sa nouvelle formation, peut-être moins à ce que certains déchirent même leur carte d’abonné au stade. Pourtant il sait qu’il n’est pas le premier joueur pour qui on manifeste un tel rejet, et plusieurs opérations de transferts ont même capoté quand certains fans qualifiés "extrémistes" tenaient des discours mêlant haine et dégoût.
A Glasgow, c’est le "sectarisme" religieux et identitaire qui est mis en avant, alors que l’on préfère par pudeur parler de respect des traditions. Mais c’est un fait et un constat implacable : les Gers n’avaient jamais accueilli, depuis la fin de la Première Guerre mondiale, un joueur de confession catholique. A l’inverse, il n’en existait qu’un, protestant, à avoir osé traverser la ville. Alfie Conn Jr, milieu et international écossais à deux reprises, avait en effet passé six ans aux Rangers avant de rejoindre le rival éternel en 1977, après une parenthèse de trois ans à Tottenham. Surtout, le premier à avoir disputé le Old Firm pour les deux géants de Glasgow.
Côté Rangers, plusieurs fans affirment même aux médias locaux qu’ils étaient prêts à tolérer un catholique étranger. Mais ici tout est différent. Mo Johnston est écossais, qui plus est un vrai gars de Glasgow, né en 1963 dans le district de Springburn, ancienne paroisse civile d’Ecosse. L’attaquant a toujours été baigné dans cette atmosphère, et les supporters les plus véhéments n’ont pas hésité à jeter en pâture l’image de Johnston lorsque celui-ci avait déclaré dans sa jeunesse que son rêve serait de "jouer un jour pour le Celtic".
Un ancien du voisin honni, portant trois ans les couleurs des Bhoys de 1984 à 1987, et les supporters des Gers n’ont surtout pas oublié son coup de tête dans le Old Firm d’octobre 1986 sur Stuart Munro, défenseur des Rangers, lors de la finale Coupe de la League écossaise (2-1 pour les Rangers). Un affront de plus, avant son départ pour le championnat de France et le FC Nantes neuf mois plus tard.

Négociations secrètes

La question sur la portée exceptionnelle de ce transfert va trouver également sa réponse dans l’attitude et le profil de Mo Johnston. Des facteurs qui uniront, fait rarissime, les fans du Celtic et des Rangers, dans leur rejet du transgresseur, buteur avec l’Ecosse quelques mois plus tôt avant son transfert face aux Bleus en qualifications pour la Coupe du monde 1990. Un "traitre" pour les uns, un "mercenaire" pour les autres, et la simple conviction pour les fans des Bhoys qu’on a pu "jouer" avec l’institution Celtic.
Plusieurs semaines plus tôt avant le transfert tant décrié, Johnston a fait savoir aux dirigeants nantais lors d’une conférence de presse qu’il souhaitait quitter le club de Loire-Atlantique, après deux saisons moyennes (22 buts en 66 matches disputés), pour rentrer au pays, et plus précisément au Celtic. Malgré une saison de contrat restante, un accord est alors trouvé, autour de 16 millions de francs, un acompte du quart de la somme versé et le come-back de l’attaquant programmé. Terminé ? Non, l’avant-centre fait volte-face ! Entre-temps, le grand à la tignasse blonde négocie en secret avec les Rangers, qui versent la somme prévue, lui offrant un salaire bien plus alléchant que l’offre initiale du Celtic.
Face à l’imbroglio, la FIFA s’en mêle et demande à Johnston de respecter l’accord prévu avec les Bhoys, qui, vexés, renonceront ensuite à accueillir le joueur face à ces conditions exceptionnelles. Le nouveau paria sait que la portée symbolique de l’opération et les circonstances de sa venue du côté bleu de Glasgow enclencheront des réactions hostiles.
Chants offensants lors de sa présentation, insultes des fans du Celtic qualifiant Johnston de "petite merde" (en français, référence à ses deux années passées en France), jusqu’au cocktail molotov lancé dans le jardin de sa villa et aux menaces de mort qui aboutiront à l’engagement de deux gardes du corps à ses côtés. La presse écossaise s’y met également, le journal Scotland on Sunday n’hésite pas à qualifier Mo de "Salman Rushdie du foot écossais" pour avoir réussi l’exploit d’offenser tous "les fondamentalistes du ballon rond à Glasgow", alors que le magasinier, dès ses premiers pas à Ibrox, le snobe et refuse de lui fournir son équipement, l’obligeant à se servir lui-même.

La fin des dogmes

Mais Johnston peut compter sur l’ensemble de la direction et du staff des Rangers qui n’hésite pas à le soutenir. De fait, son comportement est souligné de manière positive, tant à l’entraînement qu’en match. Puis, les fans des Gers acceptent peu à peu "l’intru au sein des protestants", et le déclic a lieu le 4 novembre 1989 lors de la rencontre qui ne s’apprêtait qu’à l’expiation footballistique, le Old Firm.
Un but décisif de Johnston à la 89e minute (1-0) et le soulagement pour Graeme Souness, son coach, qui déclara après la rencontre sur Sky Sports : "Ma femme est catholique et je ne pensais pas que l’aspect religieux pouvait avoir autant d’importance pour les personnes". Le transfert de Mo Johnston est surtout précurseur : Souness et David Murray, le propriétaire et président des Rangers, veulent élargir les critères de recrutement, dans la logique de faire plaisir aux nombreux sponsors.
La suite va dans ce sens, et la venue de joueurs n’appartenant pas à la communauté protestante va s’intensifier. Kenny Miller, Steven Pressley ou encore Mark Brown, trois Ecossais, vont même suivre l’exemple du grand Mo et jouer pour le compte des deux clubs dans les deux décennies suivantes. 1989, où la fin de certains dogmes, coïncidant avec le début de la supériorité sportive des Rangers. Clin d’œil de l’histoire : dix ans après le transfert de Johnston, l’Italien Lorenzo Amoruso, idole des Rangers, devient le premier catholique à porter le brassard du club !
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