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Ligue 1 - Le sacre de Bordeaux devant l'OM du 29 mai 1999 : soirée unique, interminable polémique

Vincent Bregevin

Mis à jour 29/05/2019 à 09:08 GMT+2

Le 29 mai 1999, Bordeaux était sacré champion de France devant Marseille au bout d'une saison de folie, ponctuée par un scénario rocambolesque avec la victoire dans les derniers instants des Girondins à Paris (2-3). Sur fond de rivalité PSG-OM, cette soirée unique, dans une ambiance surréaliste au Parc des Princes, restera pour dans les mémoires pour toujours.

Sylvain Wiltord et Pascal Feindouno fêtent le titre de Bordeaux à Paris, le 29 mai 1999

Crédit: Getty Images

Le temps s'est figé à 21h46. À Paris, à Nantes et dans tous ces foyers de France rythmés par la petite musique des multiplex de Canal +. Cette fois, il n'y a pas d'alerte. C'est du direct. Il n'est plus question d'avoir un œil sur tous les terrains. Tous les regards sont rivés sur le Parc des Princes. Sur ce carré de pelouse trouvé par Lilian Laslandes d'un ballon dosé au millimètre entre Eric Rabesandratana et Bernard Lama. Sur ce jeune Guinéen à peine majeur, tout juste entré en jeu pour devenir le premier rôle le plus improbable de la soirée la plus incroyable de l'histoire du championnat. Personne ne connaissait Pascal Feindouno. Personne ne pourra plus jamais l'oublier.
Feindouno devance la sortie de Lama. Son tir du gauche vient mourir au fond des filets du PSG. 3-2 pour Bordeaux, à la 89e minute de jeu. Le Parc des Princes explose. À Nantes, un regard noir de Laurent Paganelli suffit à Rolland Courbis. L'entraîneur de l'OM réalise ce qui vient de se passer. Son sourire est désabusé. Le couperet est tombé et Marseille l'a pris en pleine gorge. Il a perdu le titre de champion de France. La couronne est pour Bordeaux. En ce 29 mai 1999, Feindouno a écrit le dernier mot d'un scénario qui restera éternellement dans les mémoires.
C'est l'histoire d'un soir. Mais c'est d'abord l'épilogue du roman le plus passionnant que le championnat de France ait pu offrir. 1998-1999, c'était une saison de fous et un duel haletant de bout en bout. Bordeaux a été leader 19 fois. Marseille à 14 reprises. Jamais l'écart entre les deux équipes n'a dépassé les quatre points. Les passations de pouvoir se sont succédé jusqu'à la 32e journée. L'autre soir. Celui du 4 mai 1999. Celui où l'OM a compté virtuellement cinq points d'avance sur Bordeaux. Celui qu'il a bouclé avec une longueur de retard sur les Bordelais. Celui où tout a basculé.
Il était écrit 25 jours plus tôt que le happy-end ne serait pas marseillais. Que les dernières minutes de ce scénario hitchcockien souriraient aux Girondins. C'était un signe. Les buts de Marco Simone et Bruno Rodriguez pour donner la victoire à Paris face à l'OM. Ceux de Sylvain Wiltord et Johan Micoud pour sceller celle de Bordeaux dans le Nord. Tous inscrits dans les dix dernières minutes. Comme pour annoncer que le suspense allait durer jusqu'au bout entre les deux superbes protagonistes de cette course-poursuite insoutenable. Mais les Girondins avaient pris l'avantage. Et cela a tout changé.

Un fantasme de supporters

Un duel serré jusqu'au bout de ce 29 mai 1999, ce n'était pas la seule promesse faite par cette soirée du 4 mai. Il y en avait une autre désormais. La perspective de voir l'équipe bordelaise avoir son destin entre ses mains pour jouer le match du titre au Parc, dans l'antre de l'ennemi juré des Marseillais. Elle n'a pas été contrariée par la 33e journée où l'OM et Bordeaux ont gagné à domicile respectivement face à Auxerre (1-0) et Lyon (1-0). Les Girondins allaient bien à Paris en position de force. Et la thèse du complot a fatalement pu commencer à germer dans les têtes marseillaises.
Le concept de rivalité s'est immiscé dans ce duel sportif. Comme un fantasme de supporters. Le pas est franchi pour imaginer que cela devienne le facteur décisif de la course au titre. Que la volonté des fans prenne le pas sur la conscience professionnelle des joueurs. C'est bien ce que voulaient les supporters parisiens, au Parc des Princes ou ailleurs. Il ne leur restait que cette mince satisfaction pour sauver leur saison. Et cela s'est clairement senti durant tout le match. "L'ambiance était un peu particulière", se souvient Eric Rabesandratana, titulaire dans la défense centrale parisienne ce soir-là.
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Des supporters du PSG au Parc des Princes, le soir du PSG-Bordeaux du 29 mai 1999

Crédit: Getty Images

Le début de la soirée incite forcément à la polémique. Lancé par Michel Pavon, Sylvain Wiltord profite d'un alignement catastrophique de l'arrière-garde du PSG pour se présenter seul devant le but et ajuster Bernard Lama. La réaction du public du Parc ne trompe pas. "Quand on prenait un but, les supporters n'étaient pas spécialement fâchés ou tristes, reconnaît Rabesandratana. Par rapport aux autres matches, ce n'était pas une catastrophe pour eux. On ressentait bien qu'ils avaient presque envie d'applaudir Bordeaux pour que Marseille ne soit champion."
À un peu moins de 400 kilomètres de là, la défense nantaise n'offre pas beaucoup plus de garanties que celle du Paris Saint-Germain. Au milieu de terrain, Robert Pirès est loin de subir un pressing insoutenable des Canaris pour enclencher une double une-deux avec Titi Camara, tromper Mickaël Landreau et faire virer Marseille en tête à quelques minutes de la pause. "Il ne fallait pas penser que l'OM allait perdre à Nantes, se rappelle Elie Baup, entraîneur de Bordeaux à l'époque. Ils avaient la qualité, l'équipe, beaucoup d'internationaux pour faire le sprint final et être champions."

Le titre sur un plateau

L'idée de voir Nantes lever le pied contre Marseille pour contrarier les plans bordelais avait du sens. Dans un style différent, les Nantais et les Bordelais entretiennent une rivalité au même titre que les Parisiens et les Marseillais. Même si les Olympiens n'ont manifestement pas ressenti une éventuelle complaisance dans les tribunes de la Beaujoire. "Le public était pro-bordelais", a même affirmé Pires dans les colonnes du JDD dix ans plus tard. Ce qui n'a pas empêché l'OM d'imposer sa domination sur le terrain et de remporter un match à sens unique.
S'il faut parler de docilité parisienne, impossible de ne pas évoquer celle des Canaris. Elle est légitimée par la situation sportive. Pour le PSG comme pour Nantes, cette dernière journée se ressemble. C'est le dernier match avant les vacances. Paris pointe à la 9e place du classement et n'a plus rien à craindre ou à espérer. Le FCN, septième, a déjà assuré sa place européenne quinze jours plus tôt en venant à bout de Sedan en finale de la Coupe de France (1-0). Ces deux équipes sont dans une situation classique lors d'une dernière journée de championnat : celle de disputer un match sans enjeu.
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Ali Benarbia entre Eric Rabesandratana et Francis Llace, lors du PSG-Bordeaux du 29 mai 1999

Crédit: Getty Images

Pour cela, bien plus que pour le concept de rivalités, la motivation qui anime les joueurs de Bordeaux et de Marseille n'a rien de comparable avec celle des Parisiens et des Nantais. "C'était un match juste avant les vacances, le club n'avait plus rien à espérer et on l'a joué comme ça, confirme Rabesandratana. On n'était pas "à 2000" mais on n'était pas là pour prendre une casquette. On a fait ce qu'on a pu. La réaction du public, cela n'a pas impacté l'équipe. Il n'y avait pas d'enjeu. Le seul enjeu, à la limite, c'était que l'on ne nous prenne pas pour des mecs qui faussent le championnat."
Paradoxalement, et quitte à faire le jeu de l'OM, Paris a respecté cet enjeu. C'est impossible d'affirmer le contraire sur le scénario de la seconde période. Les Parisiens sont revenus une première fois au score par Bruno Rodriguez, juste avant l'heure de jeu, moment choisi par Wiltord pour redonner l'avantage aux Bordelais. Puis une deuxième, quand Adailton est venu fusiller Ulrich Ramé de la tête. À la 77e minute de jeu. À moins d'un quart d'heure du verdict. Tout le monde voyait le PSG lever le pied. Mais à ce moment-là, c'est bien à son rival marseillais qu'il sert le titre sur un plateau.

"Si Micoud n'avait pas été suspendu…"

Difficile de ne pas constater que le PSG a poussé Bordeaux dans ses derniers retranchements. Heureusement. Sans la réaction parisienne, cette soirée du 29 mai 1999 n'aurait jamais eu la même saveur. Il n'y aurait jamais eu ce dernier quart d'heure. "Les anecdotes autour de l'ambiance, comme quoi le Parc était pour nous… Franchement, le match n'était pas facile, souffle encore Baup. On savait qu'il fallait gagner mais on n'arrivait pas à prendre l'ascendant. On voulait arriver à nos fins et il y avait l'angoisse de ne pas y arriver à quelques minutes de la fin."
L'entraîneur bordelais n'a plus le choix. Il joue le tout pour le tout. Il a déjà lancé l'attaquant espagnol Ivan juste après la première égalisation parisienne. Après la deuxième, Il ne lui reste plus qu'une cartouche offensive. Et si elle est là, c'est d'abord le fruit d'un concours de circonstances. "Si Micoud n'avait pas été suspendu, Pascal n'aurait peut-être même pas fait le déplacement à Paris", rappellera Baup dix ans plus tard dans le JDD. Quand Feindouno remplace Diabaté à la 83e minute de jeu, Bordeaux se retrouve avec quatre attaquants de pointe, soutenus par Benarbia.
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Elie Baup célèbre le titre de champion avec Sylvain Wiltord, le 29 mai 1999

Crédit: Getty Images

Le pressing girondin est insoutenable. Mais Paris résiste. Bernard Lama a déjà réussi quelques parades déterminantes jusque-là. Et quand Ivan s'élève au cœur des six mètres pour reprendre un centre de Feindouno, le but bordelais semble inévitable. Mais le gardien parisien est encore sur la trajectoire. Il est 21h43, on joue la 85e minute et Bordeaux n'y arrive toujours pas. Marseille y croit plus que jamais. Il n'est plus question de soupçonner le PSG de quoi que ce soit cet instant précis. La thèse du complot a fait long feu. Jusqu'au dernier coup de théâtre.

21h46, coup d'envoi de l'interminable polémique

Ce 29 mai 1999 à 21h46, c'était la première minute de vingt ans de polémique. Mais c'était d'abord et avant tout la consécration d'une formidable équipe bordelaise et son football tout feu tout flamme. "On réactualise tout cela à chaque fois parce qu'il y a deux ou trois joueurs qui parlent… Mais franchement, il faut voir la saison, insiste Baup. Elle est de grande qualité avec un jeu de folie, un 4-4-2 avec deux meneurs, deux attaquants, des latéraux qui montaient plus un milieu comme Pavon qui participait au jeu… Quand on parle de jeu, on a une équipe qui jouait et qui a fait des résultats."
Bordeaux régalait. Comme peu de champions ont su régaler. Ces Girondins ont fait le spectacle de la première à la dernière minute d'une saison. Ils n'ont pas seulement mérité leur sacre. Ils sont allés le chercher avec leur talent et avec leurs tripes. Et ils ont été célébrés comme il se doit. Au Parc des Princes par les nombreux supporters qui s'étaient déplacés dans la capitale. Puis par une foule de 40 000 Bordelais venue attendre Baup et ses hommes pour fêter le titre dans un stade Chaban-Delmas incandescent. Rien ne pourra leur enlever les souvenirs du 29 mai 1999. Rien ne pourra faire oublier leur soir de gloire.
Rien. Même pas tout ce qui a pu se dire après. Marseille n'a jamais vraiment reconnu le mérite, même la supériorité bordelaise illustrée par la démonstration des hommes de Baup lors du match retour entre les deux équipes en Gironde (4-1). Son échec, l'OM l'a mis sur le dos du PSG. "Ce qui s'est passé à Paris était très, très bizarre, estimait encore Pires dix ans après, dans les colonnes du JDD. Excusez-nous d'avoir un doute, mais quand on connaît la rivalité entre le PSG et l'OM, on est obligé de penser que les Parisiens n'ont pas joué à fond face à Bordeaux. Certains comportements étaient suspects".

Accusations faciles

"On n’était pas à 100 % motivé pour faire un résultat contre Bordeaux, a reconnu Francis Llacer, joueur formé au PSG entré en jeu ce soir-là, sur RMC en 2011. Je n’étais pas le seul. Après, peut-être que cela a dû se voir chez moi plus que chez les autres… Etant vraiment frappé de l’empreinte du club et étant né à Paris, je voyais d’un meilleur œil le fait que le titre de champion aille à Bordeaux. Il m’est arrivé pendant ce match d’avoir quelques absences. Je n’ai pas donné tout ce que j’aurais pu. Je suis sûr que si cela avait été l’inverse, les Marseillais auraient eu la même réaction que moi."
Llacer a peut-être joué contre l'OM. Mais cette thèse est difficile à étendre à l'ensemble de l'effectif parisien. Pour Paris, c'était juste un match sans enjeu. Dans n'importe quel autre contexte, il n'y aurait rien eu à redire sur la prestation du PSG face à Bordeaux. Même si celui du 29 mai 1999 est unique, les accusations de tricherie peuvent sembler injustes. Ou injustifiées. Mais surtout faciles. "C'est facile pour les Marseillais de reprocher aux Parisiens de ne pas avoir fait le travail alors qu'eux ne l'ont pas fait, rétorque Rabesandratana. Ce sont des excuses derrière lesquelles les Marseillais se cachent alors qu'ils n'ont pas été capables de battre Bordeaux et Paris. C'est la facilité."
La défaite de Marseille à Paris 25 jours plus tôt n'était pas logique. Celle des Parisiens contre Bordeaux ce 29 mai 1999 l'était beaucoup plus. Pas parce que le public voulait voir les Girondins priver l'OM du titre. Juste parce que l'équipe de Baup était bien meilleure et beaucoup plus motivée qu'un PSG démobilisé à la veille des vacances. Paris était dans le ventre mou du classement. Il avait le 12e bilan à domicile parmi les 18 équipes qui composaient l'élite cette saison-là. "Il suffit de voir la physionomie de match pour voir qu'on a fait le job, souligne Rabesandratana. On a fait ce qu'on a pu avec les moyens du moment parce qu'on était en difficultés cette saison-là. Il n'y pas de culpabilité à avoir."
Chacun a vu la bonne ou la mauvaise foi selon son point de vue depuis vingt ans. Chacun continuera à la voir dans un sens ou dans l'autre pour les années à venir. Rien ne changera la donne. Ce 29 mai 1999 restera éternellement l'un des épisodes de la rivalité PSG-Marseille. C'est pour ce côté folklorique qu'on en parle encore, vingt ans plus tard. Mais l'essentiel était ailleurs. Il était dans la consécration bordelaise. Il était surtout dans ce scénario incroyable, comme seul le football peut en offrir pour faire chavirer les cœurs de ses plus grands passionnés. C'est bien cette histoire qu'il faut retenir. C'est bien elle la plus belle.
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Les supporters de Bordeaux au Parc des Princes, le 29 mai 1999

Crédit: Getty Images

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