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Benzema, Nasri ou Ben Arfa : "Avec la génération 1987, ça a toujours été tout noir ou tout blanc"

Cyril Morin

Mis à jour 19/11/2020 à 16:08 GMT+1

Dans "1987, Génération Sacrifiée", Maxime Masson revient en longueur sur le destin des champions d’Europe U17 2004, appelés à dominer le football français pour finalement échouer durablement dans cette mission. Des "Quatre fantastiques" (Benzema, Nasri, Ben Arfa, Ménez) aux échecs de certains en pros, le panel est large et évoque, en creux, un gâchis qui doit servir d’exemple. Entretien.

Jérémy Ménez, Karim Benzema, Samir Nasri et Hatem Ben Arfa, les "Quatre Fantastiques" de la génération 1987 (Visuel : Quentin Guichard)

Crédit: Eurosport

Pourquoi avoir choisi le titre "1987, Génération Sacrifiée ?" ?
Maxime Masson : Au départ, le titre devait être "Génération 87, leurs vérités". Mais, au fur et à mesure des interviews, je me suis rendu compte que ça tournait beaucoup autour des facteurs de réussite d’une carrière. Des facteurs qui ne sont pas forcément sportifs, d’ailleurs. Donc je l’ai tourné comme ça pour rouvrir le débat et poser la question.
Votre livre présente de nombreux portraits de joueurs annoncés comme des cracks qui auront du mal à trouver leur place dans le monde pro. Quelle histoire vous a le plus interpellé ?
M.M : Celui qui m’a le plus marqué, c’est celui qui illustre le premier chapitre, à savoir Steven Thicot. Il était capitaine à l’époque, il était vu, avec Gérard Piqué, comme le défenseur central promis à un grand avenir. Il le dit lui-même, ces deux gars-là aurait dû se recroiser sur les terrains, pas lors d’un Hibernian-Barça (Thicot a joué au Hibernian FC lors de la saison 2011-12, NDLR) mais dans un choc européen majeur, en demie ou en finale de C1. Sous le prisme de sa carrière, on voit que le talent et les aptitudes en jeunes ne font pas tout dans une carrière.
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De Ménez à Benzema en passant par Yahiaoui : Génération 1987, que sont-ils devenus ?

La trajectoire d’Ahmed Yahiaoui, minot promis à un avenir radieux aux côtés de son pote Samir Nasri, illustre aussi ce décalage entre promesses initiales et carrière finale décevante. Est-il le symbole de cet emballement autour de cette génération ?
M.M : Ahmed le dit lui-même, il a un peu déconné parfois et sa non-réussite au plus haut niveau vient aussi de là. Quand on en parle aujourd’hui avec ceux qui l’ont connu, tous ses collègues jugent que le plus gros gâchis, c’est lui. C’est peut-être celui qui a le plus gros décalage entre son potentiel de départ et sa trajectoire de carrière. Entre le fait de venir de Marseille, ce qui n’est pas facile de base, de l’extra sportif et un ou deux mauvais choix et tu cours après quelque chose que tu ne rattraperas plus jamais. Alors que, quelques mois avant, José Mourinho t’invite à Chelsea…
Benzema est celui qui a le plus travaillé
Certains évoquent d’ailleurs cette cour des plus grands clubs très rapidement…
M.M : Oui, Serge Akakpo le résume bien. Ils ont tous été invités dans les plus grands clubs très tôt mais beaucoup pensaient faire le bon choix en restant dans leur club formateur. En tout cas, c’est ce qu’on leur a conseillé à l’époque, qui venait juste après Anthony Le Tallec et Florent Sinama-Pongolle qui avaient rejoint Liverpool sans trop s’imposer. Mais, au final, ils ne sont pas nombreux, ceux qui se sont épanouis dans leur club formateur.
Si on faisait du football-fiction et qu’on transposait cette génération en 2020, où le modèle des clubs français a profondément changé, quelle serait la place laissée à ces jeunes ?
M.M : Pour moi, les dix-huit auraient eu un contrat pro, peut-être même avant l’Euro U17. Est-ce que tous seraient titulaires ? C’est difficile à dire. Certains cracks actuels pointent le bout de leur nez sans forcément être titulaires. Par exemple, devant lui à Nantes, Thicot avait Pascal Delhommeau, Nicolas Savinaud, Nicolas Gillet qui sont des joueurs très respectables qui ont fait des bonnes carrières hexagonales. Mais le talent intrinsèque de Steven… Il était au niveau. Aujourd’hui, à mon avis, il serait titulaire à Nantes. Pareil pour Akakpo à Auxerre.
Et si on renverse le prisme, on se pose une autre question : est-ce que Camavinga, à 17 ans, aurait joué à Rennes en 2005 ? Est-ce qu’il aurait eu autant de temps de jeu ? Quand on voit que même Menez, Ben Arfa, Nasri ou Benzema ont dû attendre une ou deux années pour s’imposer, parfois même modestement, dans leur club formateur...
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Edouardo Camavinga

Crédit: Getty Images

Justement, des "Quatre Fantastiques", un seul a réussi à devenir l’un des meilleurs joueurs au monde durablement, à savoir Karim Benzema. Pourquoi ?
M.M : Je pense que Benzema est celui qui a le plus travaillé. Il y a tout un lot de facteurs mais celui-là est sans doute le plus prégnant. Jérémy Menez le dit mais ce n’est pas le seul. Ses premiers mois compliqués au Real ne l’ont pas enfoncé alors que Mourinho l’a tancé publiquement, qu’il est tombé derrière Higuain. Mais, au final, il a réussi à se réinventer, à ne jamais baisser les bras, à changer aussi, je pense, son hygiène de vie globale. On le voit aujourd’hui dans une forme, sur les dernières années écoulées, qu’il n’a pas eu entre ses 20 et ses 25 ans. Cette petite révolution lui a permis de tenir presque dix ans au Real et c’est ce qui fait la différence avec les trois autres.
Pourtant, des quatre, c’est celui qui surgit le plus tard chronologiquement dans cette équipe. D’ailleurs, il n’est même pas titulaire lors de la finale face à l’Espagne..
M.M : Il arrive juste avant le championnat d’Europe. C’est René Girard qui le repère lors d’un tournoi auquel participe Lyon. Lui est en équipe de France U16 et appelle Bergeroo, sélectionneur des U17, pour lui dire d’absolument tester Benzema avant la compétition. Il le fait venir et, en un entraînement, son arrivée dans le groupe est scellée. Il a très peu de temps de jeu dans cette compétition et reste très longtemps numéro 3 de cette équipe-là. C’est finalement en U18, U19 qu’il va finir titulaire et qu’il commence à tout casser, en parallèle de son ascension à l’OL.
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Karim Benzema avec l'OL lors de la saison 2004-2005

Crédit: Getty Images

L’histoire de cette génération, c’est aussi l’échec en Bleus. Selon vous, quel a été le tournant décisif les concernant ?
M.M : L’Euro 2012 est un virage raté. Surtout pour Nasri, qui devait incarner le renouveau d’après 2010 et avait les cartes en main pour prendre le pouvoir en Bleu. Il a tenté de le faire mais ça n’a pas marché, pour pleins de raisons, et son comportement a été vite ciblé. La relation avec la presse et cette guerre ouverte avec les journalistes n’ont pas aidé. Pour Benzema, je reste persuadé que les choses auraient pu tourner d’une façon diamétralement opposée si Manuel Neuer ne repousse pas sa frappe en quart de finale 2014. S’il égalise là, il prend un autre poids. Ménez et Ben Arfa n’ont jamais véritablement pu être des patrons des ces Bleus, même si on les a un peu vus avec Laurent Blanc.
Est-ce que cette génération-là n’est pas aussi tombée dans un "creux générationnel" ?
Finalement, c’est peut-être Nasri qui passe le plus à côté d’une carrière internationale qui aurait pu le couronner…
M.M : Oui, il y a cet Euro 2012. L’autre tournant, c’est aussi le match aller France-Ukraine. Le match est raté par toute l’équipe mais le système est construit pour lui et il passe à côté. Derrière, au match retour, il est remplaçant alors que c’est un moment d’histoire. Elle s’écrit sans lui. Donc ça a été d’autant plus facile de l'écarter derrière.
Et Benzema ?
M.M : Sa fin en équipe de France n’est plus une question de niveau de jeu mais de faits divers. Mais il aura quand même son nom dans le classement des buteurs. Il passe un peu à côté en 2008, comme tous les Bleus. Mais, ça fait surgir une autre question. Est-ce que cette génération-là n’est pas aussi tombée dans un "creux générationnel", avec des grands guillemets vu les joueurs passés en équipe de France ? Sur une génération qui n’était pas la plus talentueuse des trente dernières années. Quand eux partent, c’est l’avènement des 1993, où il y un regain de talents net en France.
Votre ouvrage se penche aussi sur le rôle de la presse dans leur carrière. A quel point a-t-elle influencé leur carrière ?
M.M : Je rejoins l’analyse de Mathieu Grégoire dans le livre (journaliste L’Equipe, NDLR) dans le sens où j’ai l’impression que c’est une vaste incompréhension. Il y a deux blocs. D’un côté, les journalistes qui ont parfois tiré à boulets rouges ou construit des personnages qui ne représentent pas les personnes telles qu’elles sont. Ménez est, par exemple, charmant en civil mais jouit d’une réputation complètement différente. Son cas est intéressant. Pendant longtemps, il s’en fichait de l’image qu’il pouvait renvoyer. Avec le recul, il essaye de la policer et a expliqué qu’il aurait peut-être dû s’ouvrir un peu plus. Ce sont des prises de conscience tardives mais, 28 ans, dans une vie, ce n’est pas tard. En football, oui.
En réalité, les concernant, ça a souvent été tout noir ou tout blanc. Et eux l’ont aussi peut-être vécu comme ça. Nasri, à ses débuts est charmeur et adoré de tous. Mais des critiques vont arriver, elles vont atteindre des membres de son entourage. Derrière, l’orgueil et l’égo ont été touchés. Quand d’autres personnes sont touchées…
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Face à l'Angleterre, Samir Nasri marque pour le premier match de l'équipe de France à l'Euro 2012 et s'adresse aussitôt aux journalistes présents en tribune de presse.

Crédit: AFP

A partir de là, les choses ont basculé ?
M.M : Les joueurs ont estimé qu’ils n’avaient plus forcément besoin des journalistes pour communiquer. Les journalistes ont continué à écrire sur eux, mais sans eux, donc le biais est différent sans ce contact. Ma vision du truc, c’est que si chacun avait été un peu plus rond, des deux côtés, on aurait évité certains soucis.
C’est une "Génération sacrifiée" mais n’a-t-elle pas finalement servi d’exemples aux jeunes joueurs d’aujourd’hui ?
M.M : Peut-être que certains dans les entourages des joueurs actuels ont pris conscience qu’il fallait mieux protéger les joueurs. Mais l’opération de charme est totalement différente. En 2018, les 23 ont réussi à drainer tout le monde, on avait envie d’être potes avec eux. Sur d’autres compétitions, on a moins ressenti ça. Je pense que la génération 1993 s’en est servi. Ceux que j’ai interrogé en tout cas m’ont tous parlé de ça. La semaine dernière, Rémy Riou me disait : "J’espère que ces histoires-là vont servir aux plus jeunes."

"1987, Génération sacrifiée ?", par Maxime Masson, Exuvie Editions

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