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Aux obsèques de Defferre, il signait des autographes : Bernard Tapie ou l'animal politique

Béatrice Houchard

Mis à jour 04/10/2021 à 23:09 GMT+2

Passionnée de cyclisme, Béatrice Houchard use de sa plume sur Eurosport pour évoquer son amour de la petite reine. Mais elle a passé l'essentiel de sa carrière de journaliste à couvrir la vie politique française. C'est dans ce cadre qu'elle a longtemps côtoyé Bernard Tapie. Elle évoque ici ses souvenirs de l'animal politique, notamment à Marseille.

Bernard Tapie et Gaston Defferre, quelques semaines avant la mort de l'emblématique maire de Marseille.

Crédit: Getty Images

La première fois que j’ai vu Bernard Tapie, c'était à Marseille. Sur le vieux port écrasé de soleil et de chagrin, ce 12 mai 1986, la ville rendait hommage à son maire, Gaston Defferre, mort le 7 mai. Un mois plus tôt, le 12 avril, Bernard Tapie avait signé le rachat de l’Olympique de Marseille, qui lui avait été suggéré par la femme de Defferre, l'écrivaine Edmonde Charles-Roux, lors d'un dîner à l'ambassade d'URSS en l’honneur de Mikhaïl Gorbatchev.
Ce matin-là, Bernard Tapie n'a pas pris place parmi les personnalités, en tête desquelles se trouve le président de la République, François Mitterrand. Il est debout, face à la mairie, dans les tribunes spécialement installées pour la circonstance. Alors que résonne la marche funèbre de Chopin et que le cercueil de Defferre prend le chemin de la cathédrale La Major (là-même où doivent avoir lieu ses propres obsèques), Bernard Tapie… signe des autographes à de jeunes supporters de l'OM. Spectacle incongru.
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Les obsèques de Gaston Defferre en 1986 à Marseille.

Crédit: Getty Images

Auparavant, je connaissais Tapie acheteur éphémère des châteaux de Bokassa dans le Loir-et-Cher, Tapie repreneur d’entreprises et surtout Tapie investissant dans le cyclisme, offrant une seconde carrière à Bernard Hinault puis un couronnement à Greg LeMond. Un Tapie bousculant ce milieu plein de conservatisme, faisant exploser le montant des salaires et organisant à l’occasion des scènes de fraternité bien négociées, comme on le verrait le 21 juillet 1986 au sommet de L’Alpe d’Huez avec l’accolade faussement spontanée entre Hinault et LeMond.
C’est encore à Marseille que je retrouve Bernard Tapie deux ans plus tard : il est candidat du PS aux élections législatives. Il annonce haut et fort qu’il est le seul à venir défier Jean-Marie Le Pen, qui a des ambitions dans la ville et la région. Le Pen répond sur le même ton, sur l’air de "même pas peur". Les deux oublient de dire qu’ils ne se présentent pas dans la même circonscription…
En campagne dans la ville, tour à tour enjôleur et menaçant, Tapie n’aime pas toujours voir les journalistes prendre sa roue et n’hésite pas à surgir de sa voiture pour leur dire que, s’ils continuent, il pourrait leur "péter la gueule". Il faut dire que la "meute" est nombreuse. Un hôtel du centre de Marseille s’est même spécialisé en offrant 20% de réduction aux journalistes, qui s’y bousculent et, d’un rendez-vous à l’autre, se croisent dans les couloirs du métro, transformant la ville en une immense salle de rédaction. Plus encore que Le Pen, c’est Tapie qui est l’attraction.
Bernard Tapie et Jean-Marie Le Pen seront battus tous les deux en 1988 mais Tapie l’emportera lors d’une élection partielle en 1989, devenant député. On parle alors de lui comme on parle ces jours-ci d’Éric Zemmour : il va renverser la table, bousculer le jeu, pulvériser façon puzzle la vieille politique française sur le grand air de la "société civile". Si les chaînes d’info avaient existé, elles l’auraient suivi pas à pas et organisé des débats non-stop sur sa personne. C’est sûr, il sera maire de Marseille, président de la région PACA. Et pourquoi pas président de la République ? Tapie se contentera, c’était déjà beaucoup, d’être député des Bouches-du-Rhône, élu à Marseille puis à Gardanne, et ministre de la Ville, bluffant François Mitterrand autant qu’il était fasciné par lui.
Tapie, ultime rempart contre la montée de Jean-Marie Le Pen et du Front National ? Oui et non. Oui, quand il mouille la chemise en allant défier ses adversaires dans leurs propres meetings et traite leurs électeurs de "salauds", qualificatif qu’il ne voudra jamais retirer. Oui, quand il débat avec Le Pen dans un programme de télévision qui fait autant de bruit que le Mélenchon-Zemmour de 2021. Mais non, quand il négocie dans le repaire lepéniste de Montretout sa réélection en 1993, obtenant de Jean-Marie Le Pen qu’il maintienne son candidat dans une circonscription où une triangulaire va permettre la victoire de Tapie…
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Bernard Tapie et Jean-Marie Le Pen avant leur "fameux" débat sur TF1, en décembre 1989.

Crédit: Getty Images

Consécration pour l’époque, Bernard Tapie finit par être l’invité de L’Heure de vérité, "la" grande émission politique de l’époque sur France 2 (alors Antenne 2), le 12 juin 1990. L’événement est tel que la chaîne organise quelques jours plus tôt, au Pavillon Gabriel cher à Michel Drucker, une conférence de presse de Tapie face aux journalistes qui suivent les médias et les programmes télé.
Pour les séduire, Tapie en fait des tonnes et ose même une fausse confidence : il apprécie beaucoup, dit-il, les journalistes qui lui font face, contrairement aux journalistes politiques dont il dit qu'il faut parfois leur donner une liasse de billets pour avoir un bon papier en échange. Lui fait-on une remarque pour lui demander des preuves et s'étonner (!) de n'avoir rien touché ? Bernard Tapie lance un gros clin d’œil : "C'était sympa, notre échange, non ?" D'un air de dire : oui, c'est faux, mais quelle importance ?
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