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Comment l’Argentine a vécu sept mois sans football en raison de la pandémie de Covid-19

Elias Baillif

Mis à jour 30/10/2020 à 19:29 GMT+1

Absent depuis la mi-mars, le football de clubs reprend ce vendredi en Argentine. Entre problèmes économiques, incertitude et absence de public, comment le pays le plus passionné au monde par le jeu a-t-il vécu ce sevrage ?

La Bombonera, le stade de Boca Juniors en Argentine.

Crédit: Getty Images

À l’heure de déterminer quel est le pays au monde le plus passionné par le football, l’Argentine fait souvent office de candidat numéro un. Là-bas, on parle du sport roi dans les transports, dans la rue, à l’université, avec ses parents, avec l’épicier du coin... Mais depuis la mi-mars et la suspension des compétitions à l’échelle nationale, les discussions de la vie de tous les jours autour du football ont été supplantées par les conversations traitant de la pandémie, qui en plus de frapper le pays plus durement qu’ailleurs, est venue se coupler à une crise économique vieille de plus de deux ans.
Prenant fin vendredi (le jour du soixantième anniversaire de Maradona) avec le retour de la compétition pour les équipes de première division, ces sept mois sans football ont été vécus comme une éternité. "Comme jamais, on a compris que le football n’était pas prioritaire et qu’il y avait des choses plus importantes. En Argentine, le football a souvent la priorité sur tout le reste, peu importe ce qu’il se passe. Mais là, ça a été intelligent et juste de faire de la place à ce qui était le plus important : préserver la santé de tous", juge Juan Furlanich, commentateur pour la chaîne DirectTV Sports.
Une fois n’est pas coutume, la raison a primé sur la passion. Journaliste et professeur, Leonardo Albajari résume la situation avec philosophie : "Il y a cette phrase de Valdano qui dit ‘le football est la chose la plus importante des choses les moins importantes’. Dans cet ordre d’importance, le football était pratiquement dernier."

L'aide des clubs à la société

Leur activité footballistique à l’arrêt, les clubs argentins ne sont pourtant pas restés sur la touche. Racing, Lanus, River et plusieurs autres ont ouvert leurs installations afin de procéder à des distributions de nourriture et d’habits. Même le CSD Yupanqui, surnommé par certains "le plus petit club du pays", a réalisé des actions solidaires en distribuant des vivres. Pour quantité de citoyens qui gagnent leur argent au jour le jour, le confinement a supposé une perte totale de revenus. Plus que jamais, l’importance sociale des clubs en Argentine (les clubs argentins sont des clubs de quartier) s’est vérifiée.
Situé en face d’une favela, lieu où la contagion est particulièrement élevée, le stade de San Lorenzo a fait office de lieu d’accueil pour malades du Covid, soulageant ainsi le système de santé. Boca et Newell’s ont fait de même. Rosario Central est pour sa part allé encore plus loin en mettant à disposition ses équipes médicales. "En tant qu’Argentins, cela ne nous surprend pas. Les clubs ont toujours été la base et le fondement pour l’amélioration de la société. Dans un cas pareil, ils n’allaient pas rester fermés", affirme Leonardo Albajari.
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Carlos Tevez avec Boca Juniors

Crédit: Getty Images

Si les clubs ont permis de rendre la vie plus facile à beaucoup d’Argentins, eux aussi ont été menacés de chavirement durant la traversée de la pandémie. Entre les paiements que les chaînes de télévision ont décidé d’honorer, les aides d’États, la vente de joueurs, l’ingénierie financière et une fidélité remarquable de la majorité des socios (90% des socios des cinq grands clubs ont continuer de payer leur cotisation, tandis que chez les plus petits, on se situe dans les 60-75% de fidélité), les clubs ont pu rester à flots… non sans quelques trous dans la coque pour certains, à l’image de Banfield. Premiers touchés, les employés du club, joueurs compris. "Je suis parti de Banfield, le club dans lequel je pensais prendre ma retraite, et je suis parti avec une dette de 18 mois", regrette le défenseur Renato Civelli, qui porte désormais les couleurs d'Hurracan.
"Durant un mois et demi, je n'ai rien fait. Rien de rien"
L’ancien central de l’OM attire au passage l’attention sur la situation des joueurs argentins : "Quand on parle des footballeurs, les gens pensent à Messi ou Ronaldo. Et la réalité, c’est qu’il y a une majorité de gens dans le football professionnel – le football professionnel ce n’est pas que la D1 – qui ne sont pas étrangers à ce problème économique. Les clubs arrêtent de payer dans certains cas. Dans d’autres, ils paient moins. Ceux qui sont plus âgés et qui ont eu la possibilité de jouer à l’étranger, nous sommes plus aisés. Mais la grande majorité des gars qui jouent au foot en Argentine, ils ne sont pas payés un mois, deux mois, et ils ne bouclent plus leurs fins de mois."
Un mois et demi, c’est la période durant laquelle le football impliquant les équipes de première division a été mis sur pause. Durant cette période, les joueurs poursuivaient les entraînements, chez eux. Puis, le 28 avril, le fútbol a été suspendu jusqu’à nouvel avis en Argentine. "Ça a été des mois personnellement difficiles. S’entraîner coûtait, la nourriture constituait un attrait particulier, on pouvait finir par boire un peu plus qu’un sportif quand il est en activité, mais on se pesait toujours car on sait que si on revient avec beaucoup de kilos en trop, ça va être dur, se remémore Renato Civelli, également passé par le LOSC. Trouver la motivation a été très difficile. Durant un mois et demi, je n’ai rien fait. Rien de rien."
Du côté des médias, on a aussi dû s'adapter. Quand le football était absent dans le monde entier, les chaînes de télévision ont fait appel aux images du passé. On a revu les grands matches de la Sélection, refait l'Histoire, débattu sur quel ídolo était meilleur qu'un autre. Et lorsque le football a repris en Europe, on a pu revenir au présent. "Quand le football international a repris, la focale s’est portée davantage sur l’Europe : Messi, Agüero, les Argentins qui jouent en Europe. Ça, ça pas mal diverti le public, prenant en compte le fait qu’il ne pouvait pas sortir de chez lui. Être confiné et privé de football, c’en était trop pour un Argentin, qui a besoin de ce lieu de décharge émotionnelle qu’est la passion pour le football", s’amuse Juan Furlanich.
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Renato Civelli avec Banfield contre Boca Juniors

Crédit: Getty Images

Retour paradoxal

Pour sa part, Leonardo Albajari est plus critique : "Ceux qui ont vécu bien plus tranquillement, ce sont les dirigeants du football argentin, qui n’ont pas présenté de protocoles pour un retour du football. Le gouvernement argentin a imposé un confinement très strict, et évidemment, les dirigeants du football argentin, très liés à la politique argentine, n’ont voulu s’opposer au gouvernement sous aucun prétexte." Pour le professeur, la reprise du football local ce vendredi s’explique uniquement par le retour de la Copa Libertadores, qui, elle, a repris ses droits fin septembre. Les matches disputés sur le sol argentin par Boca, River, Defensa y Justicia et Racing ont montré qu’il était possible de rejouer. "Tout ce que les dirigeants ont fait c’est de laisser passer le temps, avec la contradiction que nous sommes dans la période où il y a le plus de cas et que c’est maintenant que le football va revenir. C’est paradoxal."
Si la date de la reprise a été la source d’heures de polémiques, tout comme le format du nouveau tournoi*, la présence ou non de la VAR ainsi que l'annulation des relégations jusqu'à 2022, le retour du football constitue un soulagement autant pour les joueurs ("on s’entraîne depuis le premier juillet" confie Renato Civelli) que pour les hinchas. "Le fait qu’il n’y ait pas de football chaque week-end, c’était comme s’il manquait quelque chose au pays. Le folklore de chaque dimanche, la passion que génère le football argentin, tout ça nous a manqué", reconnaît Juan Furlanich.
Reste un élément à digérer, l’absence de public. "Dans beaucoup de cas, les supporters argentins profitons davantage de nos tribunes que de ce qui se passe sur le terrain. Un football sans public, c’est comme un opéra sans volume. Ça n’a pas beaucoup de sens", conclut Leonardo Albajari.
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La Bombonera, le stade culte de Boca Juniors.

Crédit: Getty Images

*le nouveau tournoi, appelé Coupe de la Ligue Professionnelle, voit les 24 équipes de première division réparties en six groupes. Elles s’affronteront en aller-retour et les deux premiers de chaque groupe accèderont à une nouvelle phase : les équipes y seront réparties en deux groupes de six et les vainqueurs de chaque groupe s’affronteront dans une finale permettant au gagnant de décrocher l’ultime place restante pour la Copa Libertadores 2021.
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