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Contre le racisme dans le football : les pistes à explorer

Sport et Citoyenneté

Publié 20/11/2020 à 00:50 GMT+1

Alors que la FIFA, l'UEFA ou encore les fédérations et les ligues s'activent depuis des années contre les discriminations, l'impact de leurs actions sont limitées. Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management et auteur d'un rapport pour l'UNESCO sur la lutte contre le racisme et la discrimination dans le football, donne quelques pistes pour essayer de changer les choses.

Paul Pogba takes a knee to show support for the Black Lives Matter movement and protest against racism during the English Premier League football match

Crédit: Getty Images

  • Albrecht Sonntag, membre du conseil scientifique de SPORT & CITOYENNETÉ, professeur à l’ESSCA Ecole de Management.
Sport et Citoyenneté
Les incidents de racisme et de discrimination dans le football reviennent dans l’actualité avec une régularité consternante. S’ils suscitent une incompréhension et une indignation grandissante, c’est que la société a évolué dans ses normes de comportement et de langage. Elle n’est plus prête à tolérer qu’un sport, qui se veut populaire au meilleur sens du terme et se réclame de valeurs humanistes et universelles, applique des standards différents dès qu’on franchit le seuil du stade, du terrain ou du vestiaire.
Le monde du football a pris conscience qu’il n’évolue pas dans une bulle à part, mais au milieu d’une société qui bouge. La FIFA et l’UEFA luttent depuis des années contre les discriminations, elles sont à l'origine de politiques crédibles et d'initiatives innovantes, mais dont l’impact est réduit par une indéniable perte de leur légitimité institutionnelle. Pour des raisons diverses, et parfois de manière injuste, les deux organismes souffrent d’un manque de confiance du public – et notamment des supporters – en la sincérité de leur dirigeants.
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Liverpool fans display a banner in the crowd prior to the UEFA Champions League group E match between KRC Genk and Liverpool FC at Luminus Arena on October 23, 2019 in Genk, Belgium

Crédit: Getty Images

Mettre l’emphase sur les bienfaits de la diversité et l’inclusion de tous

Ceci dit, les bonnes initiatives ne manquent pas non plus sur le niveau des fédérations et ligues nationales. Qu’il s’agisse de partenariats étroits entre clubs et organisations de la société civile comme "Kick It Out" en Angleterre, de la mise en place d’autorités de surveillance officielle des incidents de discrimination et de racisme comme on peut en trouver en Italie, en Espagne ou au Brésil, de prix récompensant tous les ans des formes d’engagement remarquables en faveur de la tolérance comme en Allemagne, ou encore de nombreuses actions ponctuelles et décentralisées, la prise de conscience se traduit sur le terrain et autour.
Et on change de vocabulaire : condamner les attitudes et propos racistes enferme dans un registre de langage négatif. A l’opposé, mettre l’emphase sur les bienfaits de la diversité et l’inclusion de tous donne un cap positif et est davantage en phase avec la capacité du football de jouer un rôle dynamique d’outil éducatif. La popularité, l'accessibilité et la simplicité de ce sport transforment chaque terrain et stade de foot en un espace potentiel d'instruction civique.
En France, la FFF ne se trompe pas en insistant, dans son travail de prévention avec les clubs amateurs, sur des expressions comme "mixité", "acceptation des différences", "s’enrichir de la diversité". Et elle va encore plus loin dans sa "fiche de référence" à l’intention des jeunes, en appliquant les leçons tirées par les linguistes et les sociologues : "il ne faut pas laisser les insultes et les préjugés s’installer dans notre langage", ou "l’humour n’est jamais une excuse pour tenir des propose insultants".
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General view inside the stadium as a No Room for Racism message is shown on the big screen during the Premier League match between Chelsea FC and Newcastle United at Stamford Bridge

Crédit: Getty Images

Le caractère problématique des sanctions collectives

La pédagogie est un travail de longue haleine (et c’est un prof qui vous le dit). Elle payera à long terme, car les jeunes joueurs ainsi sensibilisés seront aussi les spectateurs plus sensibles dans les stades de demain. Aucun instrument de répression ne sera jamais plus efficace que l’autorégulation des supporters. Au moment où celui qui profère des propos discriminatoires se fait recadrer par son entourage de tribune, on aura fait une bonne partie du chemin. Dans certains stades, dans plusieurs pays d’Europe, c’est déjà le cas.
Bien sûr, l’éducation (et l’auto-éducation) doivent être accompagnées d’outils appropriés de répression en cas de comportement inadéquat. Le rapport UNESCO sur la lutte contre le racisme et la discrimination que nous avons publié en 2015, insistait sur le caractère hautement problématique des sanctions collectives, contraires à l’éthique, toujours controversées et finalement contreproductives. Il plaida pour l’instauration systématique de sanctions individuelles, idéalement sous forme de travaux d’intérêt général. Une grande partie de la responsabilité repose sur les épaules des clubs, non seulement des petits clubs formateurs, mais surtout des clubs professionnels, locomotives du football et théâtre des incidents les plus spectaculaires.

Un label, comme solution ?

Le rapport UNESCO préconisait de développer, au sein des clubs professionnels, le concept de "gestion de marque citoyenne". Les clubs professionnels doivent accorder davantage d'attention à la responsabilité sociétale des entreprises qui accompagnent leur transformation en acteurs économiques à part entière, opérant certes sur un marché, mais aussi dans un environnement compose de parties prenantes ("stakeholders") très diverses et dont il convient de reconcilier les intérêts.
Est-il naïf d’imaginer l’introduction d’un label de qualité "club citoyen", élaboré par quelques clubs pionniers avec le concours de groupes de supporters, d’ambassadeurs de marque et des chercheurs spécialistes dans le domaine ? Label qui serait octroyé après un processus d’audit indépendant et à renouveler périodiquement. On parle beaucoup de développement durable, en associant spontanément à cet impératif de notre époque une dimension à la fois environnementale et sociale. Il serait temps qu’on prenne davantage conscience que le développement durable comporte une dimension éthique et citoyenne tout aussi importante.
Beaucoup d’acteurs du football, amateurs et professionnels confondus, l’ont déjà compris. Ils finiront par faire basculer la majorité dans leur camp. Et la pression normative d’une société plus sensible finira par s’exercer au sein des stades aussi. S’il est vrai qu’il n’y a en ce moment pas beaucoup d’indicateurs qui suscitent une grande confiance pour l’avenir du football, la lutte pour la diversité et l’inclusion, contre le racisme et la discrimination, fait partie de celles qui rendent prudemment optimiste.
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