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Avant Brésil-Pérou : La ginga, genèse du football brésilien

Antoine Donnarieix

Mis à jour 07/07/2019 à 17:48 GMT+2

Qualifié en finale de sa Copa América, le Brésil va affronter le Pérou au Maracanã où les hôtes de la compétition seront les grandissimes favoris. Mais attention : pour ne pas subir de mauvaise surprise au moment de passer la dernière marche, les Auriverdes vont devoir trouver la faille dans la défense adverse grâce à leur propre histoire, symbolisée par la ginga. La quoi ?

La joie des Brésiliens face à l'Argentine

Crédit: Getty Images

2 juillet 2019, sur les coups de 21h50 au Mineirão de Belo Horizonte. La demi-finale de la Copa América entre le Brésil et l’Argentine vient de commencer depuis un gros quart d’heure, et les secousses physiques ont largement pris l’ascendant sur l’aspect technique. Au milieu de cette bataille de gladiateurs disséquée par une arène spectatrice, un footballeur de la sélection brésilienne va prouver sa capacité à débloquer ce classique d’Amérique du sud en faveur de sa propre équipe : Dani Alves.
Après avoir récupéré le ballon sur son côté droit suite à un duel avec Lautaro Martínez dans la moitié de terrain adverse, le capitaine de la Canarinha se sent pousser des ailes : coup du sombrero sur Marcos Acuña, crochet intérieur sur Leandro Paredes puis passe aveugle en direction de Roberto Firmino. Derrière cet exploit individuel, l’habituel avant-centre de Liverpool centre directement le ballon à ras de terre vers Gabriel Jesus pour l’ouverture du score. Si la conclusion de cette action semble banale, l’origine du décalage effectué par Dani Alves trouve sa source dans la ginga, une part importante de l’ADN du Brésil.

L’esprit de la capoeira

Pour comprendre la force du lien qui unit le Brésil au football, il faut s’intéresser à l’autre grande discipline nationale : la capoeira. Régulièrement perçue en Europe comme une danse traditionnelle ludique et acrobatique, la vérité est en réalité tout autre. Non, la capoeira n’est pas une danse, mais un art martial issu du colonialisme. Au XVIe siècle, les esclaves venus d’Afrique débarquent sur les terres sud-américaines et sont volontairement séparés par les colons portugais désireux d’éviter toute possibilité de rébellion. Cependant, la généralisation de l’esclavage pour générer du commerce oblige certaines ethnies africaines à cohabiter entre elles à l’échelle géographique, et c’est ainsi que naissent les premiers échanges culturels entre les différentes communautés issues de l’esclavagisme installées au Brésil.
Dès lors, le sentiment de révolte est unilatéral chez les esclaves, et la capoeira devient un formidable outil pour parvenir à leurs fins. Afin de duper les colons, les premiers pratiquants s'entrainent à lutter en cachant leur apprentissage du combat sous l'apparence d'un jeu. Ainsi, les maîtres d’esclaves se retrouvaient trompés, pensant que la musique et les chants lancés par leurs serviteurs étaient de simples illustrations pour servir la cause de l’amusement général en période de repos. Cette facette de la capoeira par ce jeu d’apparence enfantin (aussi appelé brincadeira) via les gestes acrobatiques et la malice va servir sur le long terme à l’élaboration de la pratique du football au sein du pays.
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Samba et capoeira lors de la cérémonie d'ouverture du Mondial 2014

Crédit: Panoramic

De 1950 à 1958, la remise en cause avant la consécration

Suite à la révolte populaire qui amène à la fin de l’esclavagisme des noirs par la loi d’Or du 13 mai 1888, ces hommes devenus libres dégagent des aptitudes avancées pour le football, un sport bientôt placé en tête d’affiche avec l’instauration de ce sport venu d’Europe par l’anglo-brésilien Charles William Miller, dès 1894 à São Paulo. La qualité majeure des joueurs de couleur ? Leur jeu de jambes, plus communément appelé la ginga, un mouvement de base originaire de la fameuse capoeira. La ginga peut également s’accompagner de jeu de bras, de balancement et de negaça, un ensemble de mouvement de feintes et d’esquives destiné à troubler l’adversaire et le vaincre par surprise. Vous l’aurez donc compris : la ginga est une méthode révolutionnaire pour permettre au footballeur brésilien d’avoir accès à un panel de dribbles en un contre un, notamment dans les feintes de corps.
Si la sélection nationale peine d’abord à régner sur le continent à cause de la forte concurrence de l’Argentine et l’Uruguay, l’avènement du football brésilien va naître à travers deux étapes : la première, c’est la fameuse défaite contre l’Uruguay lors du Mondial 1950 au Brésil (1-2). Cet échec, cumulé à celui de la bataille de Berne en 1954 où le Brésil est éliminé dès les quarts de finale par la Hongrie (2-4), va instaurer une période de flou dans l’esprit de la fédération brésilienne de football. Faut-il s’acclimater au style de jeu européen pour remporter la Coupe du monde ou le Brésil doit-il croire en sa propre philosophie ? En cela, le Mondial 1958 en Suède devient capital dans l’avenir du sport national.
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Finale 1958 : Pelé en larmes dans les bras de Gilmar.

Crédit: AFP

Garrincha, Pelé, Vavá : les pères fondateurs

Tombé dans un groupe relevé avec l’Autriche, l’Angleterre et l’URSS championne olympique en titre, le Brésil parvient à obtenir sa qualification dans le dernier match face aux Soviétiques grâce à un système où Vavá, Garrincha et Pelé, âgé de seulement dix-sept ans, se retrouvent titulaires. Ensemble, les trois acolytes vont dérouter les défenses adverses à l’aide de dribbles magnifiées comme le coup du sombrero, le crochet ou la feinte de frappe. Vainqueur du Pays de Galles en quart de finale (1-0), de la France en demi-finale (5-2) et de l’hôte suédois en finale (5-2), le Brésil remporte sa toute première Coupe du monde et devient la première nation non-européenne à remporter le prestigieux tournoi sur le Vieux Continent. L’Histoire est en marche.
Depuis cette finale du 29 juin 1958, le Brésil s’est octroyé quatre nouveaux titres mondiaux en 1962, 1970, 1994 et 2002. De Pelé à Neymar en passant par Romário, Rivaldo ou Ronaldinho, les maîtres à jouer de la Seleção se sont inspirés de cet esprit de liberté créative pour faire la différence et récolter des trophées sous le maillot auriverde. Ce que Dani Alves a réalisé contre l’Argentine mardi soir à Belo Horizonte, Philippe Coutinho, Everton Soares, Gabriel Jesus ou Roberto Firmino devront le réitérer pour glaner la neuvième Copa América de l’histoire du Brésil. Même sans Neymar et avec le fardeau d’une philosophie bafouée par le dogme tactique dans le football contemporain, la sélection nationale peut renouer avec ses gènes pour ériger le joga bonito en fierté nationale. Pour l’aider dans sa quête, le Brésil peut enfin s’appuyer sur un fait historique : en quatre éditions de la Copa América organisées sur leur territoire, les Brésiliens en ont gagné... quatre. Difficile de faire mieux.
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