Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

Coupe du monde 2014 - Brésil : Là où est la Seleçao, Dieu n'est jamais très loin

Laurent Vergne

Mis à jour 17/06/2014 à 12:00 GMT+2

Football et religion ont toujours été intimement liés au Brésil. Mais depuis un quart de siècle, elle a pris une place prépondérante au sein de la Seleçao, notamment par le biais des évangélistes.

La très "religieuse" célébration de la finale du Mondial 2002

Crédit: Panoramic

Ils étaient tous là. Joueurs, bien sûr, mais aussi membres du staff et de la délégation. Au total, 50 personnes, formant un cercle au milieu du terrain et se tenant la main. La première prière footballistique en mondovision, devant deux milliards de téléspectateurs. C'était le 30 juin 2002, quelques minutes après la victoire du Brésil face à l'Allemagne en finale de la Coupe du monde. Leur victoire, évidemment, mais aussi celle de Dieu. Quelques instants plus tôt, Kaka, Edmilson et Lucio et quelques autres avaient arboré leur T-Shirt "I love Jesus" ou "Dieu vous aime". Ces images avaient fait le tour du monde.
Depuis toujours, au Brésil, la religion n'est jamais loin du football. Ensemble, avec le carnaval (ou la caïpirinha, selon les goûts), ils forment la Saint-Trinité de la culture brésilienne, dit-on. Jeudi, aux abords de l'Arena Corinthians, nombreux étaient encore les groupes à faire du prosélytisme avant le match d'ouverture, distribuant tracts et programmes. La Seleçao n'a jamais échappé à cet aspect fondamental de la société. Le match qui a mené au tout premier titre planétaire des Brésiliens y est même étroitement lié. En 1958, le Brésil affronte la Suède en finale du Mondial. Dans les rangs auriverde, c'est la panique. La Suède, jouant chez elle, va évoluer dans ses traditionnelles couleurs jaunes. La Seleçao, qui a disputé tous ses matches en or, se voit contrainte de passer au bleu. Certains joueurs, comme Vava, Didi ou bien encore le capitaine, Belletti, sont réellement angoissés.
picture

Aux abords de l'Arena Corinthians, jeudi 12 juin, jour du match d'ouverture de la Coupe du monde 2014.

Crédit: Eurosport

Le tournant des Athlètes du Christ

C'est l'intervention de Paulo Machado, le responsable de la délégation brésilienne, qui ramènera le calme. Comment? Entrant dans le vestiaire, il trouve le message d'apaisement idéal: "Le bleu, c'est la couleur de notre protectrice", leur dit-il. Notre-Dame d'Aparecida, la Sainte-Patronne du Brésil, est effectivement représentée le plus souvent avec un grand manteau bleu la recouvrant. "C'est un message que nous envoie le tout-puissant", conclut Machado. Il n'en faudra pas plus pour galvaniser les troupes. Le Brésil passera cinq buts aux Suédois pour s'installer sur le toit du monde. Alléluia.
Mais au-delà des anecdotes, c'est plus bien tard, trois décennies plus loin, que le rapport religion-équipe nationale va prendre sa dimension la plus significative au point de devenir, par-delà les croyances de chacun, un élément à part entière de la préparation. On ne parle évidemment pas là de superstitions ou gestes individuels, du joueur qui se signe en rentrant sur le terrain ou après avoir marqué un but, mais bien de pratiques collectives qui finissent par devenir un des fondements du groupe.
Ce phénomène, on le doit essentiellement à un homme, Alex Ribeiro. Cet ancien pilote a effectué une brève carrière en F1, disputant vingt courses dans la seconde moitié des années 70 sans jamais marquer le moindre point. Mais il se fait alors remarquer par sa foi prononcée et, surtout, affichée, via l'inscription "Salva Cristo" sur son casque. Ribeiro passe gentiment pour un excentrique dans le paddock. Mais il va vite une prendre une place capitale en devenant le directeur exécutif (gourou, disent ses détracteurs) des "Athlètes du Christ", une association évangélique fondée en 1984 qui regroupe des sportifs du monde entier. Elle revendique aujourd'hui environ 5000 membres. Selon ses préceptes, l'athlète ne peut donner sa pleine mesure s'il n'est pas spirituellement en accord avec son corps.

En 2009, la FIFA met le holà

En 1990, pour la première fois, Alex Ribeiro accompagne la Seleçao lors de la Coupe du monde en Italie, pour "aider spirituellement les joueurs". A l'époque, ils ne sont pourtant qu'une poignée (Paulo Silas, Luis Müller et Jorginho) à compter parmi les Athlètes du Christ. Malgré un retentissant échec sportif (élimination en huitièmes de finale), l'expérience est prolongée en 1994. Les ADC ont gagné du terrain et cette fois, le Brésil va au bout, mettant fin à vingt-quatre années de sevrage pour remporter son quatrième titre. Dans la foulée, Ribeiro écrit un livre "Qui a gagné la Coupe du monde 1994?" où il explique sans détour que l'évangélisation au sein du groupe a été l'élément fédérateur décisif. D'ailleurs, sans être aussi prononcées qu'en 2002, les célébrations sur la pelouse du Rose Bowl de Pasadena empruntaient déjà au rituel religieux.
Au fil des ans, les Athlètes du Christ n'ont cessé de prendre une place de plus en plus forte au sein de la Seleçao, sous l'influence de Ribeiro, avec des relais très forts sur le terrain, comme Kaka est le symbole, pour culminer dans les années 2000. La finale du Mondial 2002 en est l'exemple le plus marquant. "C'est moi qui avait préparé les T-shirts "I belong to Jesus", se félicite Ribeiro. Magistral "coup de pub". Mais en haut lieu, les démonstrations brésiliennes vont finir par agacer. Après la victoire de la Seleçao lors de la Coupe des confédérations 2009, marquée par de nouvelles démonstrations évangéliques, la FIFA décide de mettre le holà, bannissant le prosélytisme religieux des terrains.
Si quelqu'un veut prier, aucun problème, mais c'est dans sa chambre
Un coup de frein bientôt suivi de deux autres. Après l'échec au Mondial 2010, il s'est murmuré que le groupe était miné par les divisions liées à la religion, les catholiques étant fatigués de l'influence des évangélistes. Du coup, la fédération brésilienne a dit au revoir à l'aumônier et le nouveau sélectionneur, Mano Menezes, sans appliquer la laïcité à la française (nous sommes au Brésil) a demandé la fin de l'évangélisation du vestiaire. Puis, il y a un an et demi, c'est Andres Sanchez, l'ancien président des Corinthians devenu directeur des équipes nationales, qui a porté le coup supposé fatal : allant plus loin que la FIFA, il a non seulement demandé la fin des prières collectives sur le terrain mais aussi en dehors. "Si quelqu'un veut prier, aucun problème, mais c'est dans sa chambre. Avec moi, personne n'invitera personne à prier", avait-il lancé.
Cette ligne dure tiendra-t-elle jusqu'à la fin du Mondial? Il n'y a officiellement que quatre membres des Athlètes du Christ dans le groupe des 23 Brésiliens, dont Fred, "évangélisé" en 2006 en Allemagne. Mais le retour du duo Luiz Felipe Scolari-Carlos Parreira intrigue. Même s'ils sont catholiques et non évangélistes, ils sont les deux sélectionneurs des deux derniers titres et, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils ne se plaignaient pas de la religiosité affichée du groupe. Il y a vingt ans, Parreira avait même affirmé qu'il aimait avoir des Athlètes du Christ avec lui, car, avait-il déclaré, "ce sont toujours des joueurs rigoureux et disciplinés". Personne n'a oublié le pèlerinage de Scolari après le titre 2002. Si, le 13 juillet, le Brésil soulève le trophée au Maracana, il n'est pas certain que les joueurs attendent d'être rentrés chez eux pour remercier Jésus. Même une prière géante version Yokohama parait exclue. Amen.
picture

David Luiz

Crédit: Imago

Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Partager cet article
Publicité
Publicité