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Coupe du monde 2014 : Faire rêver, ce n'est plus le problème du Brésil

Laurent Vergne

Mis à jour 17/06/2014 à 12:05 GMT+2

Contrairement à une idée reçue, le "Joga Bonito" a vécu en équipe du Brésil. Souvent plus conservatrice qu'audacieuse, plus pragmatique qu'enchanteresse, la Seleçao s'est éloignée depuis près de trente ans de ce qui la rendait absolument unique. Reportage sur la terre d'un football resté ambitieux mais devenu défenseur d'un jeu très rigoureux.

Zico, Ronaldo, Ronaldinho, Neymar : stars brésiliennes au Mondial

Crédit: Eurosport

Avec le Brésil, il convient de sortir le détecteur de clichés, menace qui guette de façon quasi-permanente. Les plages, la samba, le carnaval, les caïpirinha, le football… Justement, le football. Un autre cliché a la vie dure, celui d'un Brésil synonyme de foot qui confinerait à l'oeuvre d'art, d'un jeu source de rêves, d'épure et de technique pure. Si vous demandez aux quatre coins de la planète foot quelle équipe nationale de football, dans l'esprit des gens, incarne le mieux le "beau jeu", avec tout ce que cette notion contient de vague, il y a de bonnes chances pour que "le Brésil" soit une réponse assez fréquente. Là encore, alerte cliché.
En l'occurrence, il faut le reconnaitre, l'image d'Epinal s'appuie sur quelques décennies de vérité. Si l'Angleterre a inventé le football, le Brésil a créé Son football. Le futebol. Il a donné sa propre identité à ce jeu, l'emmenant dans des contrées où personne ne s'était jamais aventuré. C'est pour cela que chacun, qu'il vienne d'Europe, d'Afrique ou d'ailleurs, se sent d'une certaine manière attiré par le football brésilien.

La dernière référence: l'équipe de 1982

La Seleçao a offert quelques-unes des plus grandes équipes de l'histoire, que son destin fut glorieux ou frustrant. Et cet héritage est si puissant, les souvenirs si forts, que beaucoup croient encore que le Brésil est synonyme de plaisir des yeux. Jeudi soir, lors du match d'ouverture, ça a recommencé, beaucoup regrettant, notamment sur Twitter, que Neymar et Cie ne "fassent pas rêver". Il est, malheureusement, temps de se réveiller pour regarder la réalité. Il y a longtemps qu'en Coupe du monde, le Brésil a oublié de faire rêver. Ou plutôt, qu'il a choisi de ne plus se donner cette peine. Pas question de le lui reprocher (encore que...), simplement d'arrêter de faire semblant de continuer à croire le contraire.
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Socrates, parfaite incarnation de la classe sur un terrain.

Crédit: Panoramic

Depuis quand la Seleçao n'a-t-elle pas été fidèle à l'image qu'on se fait de cet idéal ? Probablement depuis les années 80 et l'époque Tele Santana. Elle était, bien sûr, portée par des joueurs d'exception, de Zico à Socrates en passant par Falcao, Eder ou Junior. Elle a enchanté tout le monde, procurant un plaisir inouï en 1982. Mais en Espagne, elle a échoué aux portes du dernier carré. Quatre ans plus tard, rebelote, toujours avec Tele Santana, un Zico et un Socrates vieillissant mais quelques pousses plus jeunes remarquables (Julio Cesar, Josimar, Careca). Et une défaite en quarts face à la France. Que ce Brésil-là n'ait pas rapporté la Coupe à la maison confine à l'irréparable injustice.

Le fruit d'un double héritage : un échec, puis une réussite

Après ça, Tele Santana est parti et son jeu avec lui. C'est peu dire que le Brésil a changé ensuite. Et c'est finalement avec une équipe et un jeu nettement moins sexy que la Seleçao a mis fin à quasiment un quart de siècle d'attente pour conquérir sa quatrième couronne en 1994. Lors de la World Cup américaine, c'est avec un milieu de terrain à vocation quasiment exclusivement défensive qu'elle a raflé la mise, laissant la doublette Romario-Bebeto se charger du reste. C'était le Brésil de Dunga, plus celui de Zico. Celui de Carlos Alberto Parreira, pas celui de Santana. Mais il a gagné. Nous payons donc aujourd'hui un double héritage. Celui d'un échec, puis d'une réussite.
Grâce aux trois "R" (Rivaldo, Ronaldinho, Ronaldo), l'équipe sacrée au Japon huit ans plus tard était moins rigide dans son expression et fut considérée comme un champion plutôt plaisant. Mais elle bénéficiait surtout d'une comparaison flatteuse avec celle de 1994. Reste que, globalement, depuis maintenant quasiment trente ans, aucune Seleçao n'a affiché ce pouvoir enchanteur de certaines de ses devancières. Comme le virage a été globalement payant en termes de résultats, difficile d'en vouloir aux Brésiliens. Le spectateur, lui, vit dans une forme d'illusion. D'où la déception par rapport aux attentes alors que, précisément, d'attentes il ne devrait pas (plus) y avoir.
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Rivaldo et Ronaldo lors du sacre brésilien en 2002

Crédit: Imago

Un jeu devenu "bureaucratique" ?

Il reste des footballeurs brésiliens à part. De purs artistes capables, eux, d'enchanter. Mais en termes collectifs, cette expression particulière s'est considérablement estompée. De la machine à rêve, subsiste surtout la machine. Le grand Socrates, qui n'avait pas manqué de dire publiquement tout le mal qu'il pensait de l'équipe titrée aux Etats-Unis (il avait traité Parreira de "traitre" pour ses conceptions de jeu), avait pointé le mal il y a une quinzaine d'années. Pour lui, la formation n'était plus à la hauteur. Elle enfermait les joueurs dans un carcan. "Les gamins apprennent la tactique avant même d'apprendre à s'amuser", regrettait-il. La créativité des jeunes brésiliens est toujours là, jugeait-il, mais on l'empêche de s'exprimer. Pour qualifier ce qu'était devenu de son point de vue le jeu brésilien, il avait employé ce mot : bureaucratique.
La charge était appuyée, peut-être même un peu trop sévère. Il y a des jeux bien plus bureaucratiques sur la planète football que celui du Brésil. Il génère toujours de grands joueurs, des joueurs qui n'appartiennent qu'à lui, de Ronaldo à Neymar, de Ronaldinho à Kaka. Mais quelques pépites ne font pas une mine d'or. Longtemps, le Brésil a su gagner ET enchanter, ce double exploit touchant son Everest avec l'équipe de 1970. Depuis, il a fait l'un ou l'autre. Surtout l'un, d'ailleurs, depuis Tele Santana. Le Brésil s'est mis à ressembler aux autres, quand on aurait rêvé que les autres lui ressemblent. Et si le pragmatisme d'un Parreira ou d'un Scolari a incontestablement ses vertus en termes d'efficacité, il a aussi ses limites. La Seleçao n'est plus une marchande de bonheur. C'est comme ça. Tant pis pour nous. Tant pis pour les clichés.
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