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Avec Osorio à la baguette, le Mexique a-t-il enfin un mental d'acier ?

Thomas Goubin

Mis à jour 23/06/2018 à 18:16 GMT+2

COUPE DU MONDE - En dominant l'Allemagne (1-0) lors de son entrée en lice, le Mexique a étonné le monde. Il a surtout vaincu ses propres complexes. Le fruit d'un travail mental initié par son sélectionneur, Juan Carlos Osorio.

Le sélectionneur du Mexique Juan Carlos Osorio avec ses joueurs et son staffe à l'entraînement

Crédit: Getty Images

Avec le but d'Hirving “El Chucky” Lozano, c'est sans doute la vidéo qui a tourné le plus sur les réseaux sociaux mexicains depuis la victoire d'El Tri face à l'Allemagne. Javier "El Chicharito" Hernandez fait face à un journaliste d'ESPN, David Faitelson, sceptique sur le discours ambitieux de l'avant-centre de West Ham. "Et pourquoi ne serait-on pas la Grèce de l'Euro (2004), ou le Leicester de la Premier League (2016-2017) ?", amorce Chicharito, qui a déjà déclaré à plusieurs reprises que le Mexique pouvait être champion du monde.
"Nous sommes conscients de nos carences, mais nous irons en Russie pour tirer le maximum de notre potentiel". La conviction de Chicharito est palpable, et sa voix déraille même un peu quand il dit ceci : "Imaginons des choses géniales, bordel !". Depuis dimanche dernier, cette phrase est devenue une sorte de slogan viral pour un pays qui a retrouvé une certaine foi en sa sélection.
La conviction de Chicharito n'est pas seulement celle d'un individu, d'un joueur souvent décrit comme "limité" au Mexique, et qui est, malgré tout, devenu l'élément phare de sa génération, après avoir multiplié les buts à Manchester United et au Bayer Leverkusen. La conviction d'Hernandez est collective. Elle est notamment le fruit d'une volonté du sélectionneur, Juan Carlos Osorio, de muscler le mental d'une équipe trop souvent trahie par ses nerfs. Un travail de fond initié au lendemain d'une expérience traumatique.

Les bons tuyaux de Bielsa

Le 18 juin 2016, le Mexique essuyait la plus humiliante défaite de son histoire : 0-7 face au Chili, en quart de finale de la Copa América. Mené 0-2 au repos, El Tri s'était effondré en deuxième période. Violemment critiqué après cette déroute, Juan Carlos Osorio va d'abord chercher de l'aide pour se convaincre qu'il peut faire rebondir son équipe. Le Colombien contacte notamment Marcelo Bielsa, un sélectionneur qui après avoir fait face à un terrible échec, l'élimination de l'Albiceleste au premier tour de la Coupe du Monde (2002), avait su trouver les clés pour que ses joueurs continuent d'adhérer à son discours. Osorio et El Loco passeront une petite semaine ensemble au Brésil, où l'ex-entraîneur de l'OM se trouvait pour des raisons personnelles. Depuis, ils entretiennent un dialogue régulier.
Après la déroute de la Copa América, le Mexique n'avait pas tardé à se ressaisir. Il avait ainsi amorcé la dernière phase de ses éliminatoires en l'emportant pour la première fois depuis trente-deux ans aux Etats-Unis (1-2). A ce moment, Manu Ibarrondo, coach mental sportif espagnol, venait d'intégrer le staff d'El Tri. Depuis, il est devenu un membre permanent de l'équipe de travail d'Osorio. Le Colombien n'a toutefois pas commencé à s'intéresser à la préparation mentale face à la difficulté. Cet entraîneur à la mentalité de chercheur avait déjà beaucoup lu sur la question.

Turnover permanent

En interview, le sélectionneur peut même se lancer dans de longs développements à propos du "cerveau reptilien", lié aux comportements primitifs, aux réflexes innés, et à l'instinct de survie. "Dans toutes les activités, l'être humain s'améliore à travers la compétition, dit-il, et un joueur est d'autant plus capable d'assumer le poids émotionnel d'un match quand il a déjà vécu et participé à nombre de ce genre de matches (…), et tout cela est directement lié au cerveau reptilien. Il est donc prouvé scientifiquement que la meilleure manière de s'améliorer est à travers la compétition".
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Le sélectionneur mexicain Juan Carlos Osorio

Crédit: Getty Images

Même s'il ne dispose d'aucun footballeur employé par un club du gotha européen, Osorio fonde ainsi ses espoirs sur l'expérience de son groupe : Chicharito, Moreno, et Giovani participent à leur troisième Coupe du monde, Guardado et Ochoa à leur quatrième, et Marquez est même devenu le troisième joueur de l'histoire aux cinq Coupes du monde. La déclaration d'Osorio permet aussi de mieux comprendre sa politique de turn-over, qui lui vaut les foudres de ses nombreux détracteurs au Mexique. Pour qu'El Tri repousse ses limites, le sélectionneur ne mise ainsi pas sur un onze-type, mais sur vingt-deux joueurs mis en concurrence, afin que tous se sentent impliqués et soient convaincus de pouvoir rendre service à l'équipe.
Samedi, face à la Corée du Sud, au moins deux joueurs titulaires face l'Allemagne devraient débuter sur le banc. Lors des éliminatoires, qu'El Tri a traversé sereinement, ses onze pouvaient varier de moitié d'un match à l'autre.

"La partie mentale, c'est ce qu'il y a de plus important"

Dimanche dernier, face à l'Allemagne, Osorio a gagné la bataille tactique face à Joachim Löw, mais a aussi remporté une bataille, interne, celle-là, en faisait oublier ses complexes à une sélection qui a joué pour "l'amour de la victoire", comme le Colombien l'avait demandé. La maxime populaire "on a joué comme jamais, mais perdu comme toujours" ne s'est, cette fois, pas vérifiée. Même l'affaire de l'orgie n'est pas parvenue à déstabiliser le groupe. Malgré les moult conjectures sur ses conséquences, c'est un visage particulièrement solidaire et lucide qu'a affiché El Tri.
Pour contribuer à éteindre le feu, Osorio s'était présenté au lendemain de la révélation de la soirée avec un tee-shirt qui affichait un message explicite sur son recto : "On peut se tromper seul, mais on doit corriger ensemble". Ce n'était pas le premier tee-shirt à message qu'il utilisait : "zéro excuses", "improbable de gagner si nous n'assumons pas la possibilité de perdre", sont quelques-uns des slogans qu'il a pu afficher sur son torse. Osorio refuse de se priver du moindre outil pour muscler le mental de ses troupes. En finir avec les complexes d'une sélection éliminée six fois de rang en huitièmes de finale de Coupe du monde est devenu un chantier prioritaire pour celui qui dirigeait le Sao Paulo FC, avant de prendre les commandes d'El Tri à l'automne 2015. "Pour moi, la partie mentale n'est pas importante, c'est ce qu'il y a de plus important", avait-t-il d'ailleurs revendiqué en mars dernier, dans une interview à Imagen TV.

Vaincre enfin la malédiction des huitièmes

Au Mexique, malgré la première victoire de l'histoire du Tri face à l'Allemagne, un certain scepticisme prédomine encore. Après avoir bien joué et gagné face à un grand, Chicharito et consorts ne risquent-ils pas de retomber dans leurs travers et de se montrer médiocres face à un plus petit ? Plutôt que dans l'euphorie, c'est ainsi qu'est abordé ce deuxième rendez-vous russe. Un peuple ne chasse pas si facilement les fantômes qui ont hanté trop de ses nuits mondialistes.
Mais, pour Osorio, l'important est ailleurs : malgré les critiques envers son travail, comparables dans leur violence à celles dont faisait l'objet Aimé Jacquet, en France, avant la Coupe du monde 1998, il a su convaincre ses joueurs qu'il était l'homme de situation. "Personne ne mérite autant cette victoire qu'une seule personne et elle n'est pas mexicaine", avait ainsi tweeté, dimanche, le vétéran, Oribe Peralta, resté sur le banc face à l'Allemagne. Alors, Osorio sera-t-il le sélectionneur qui aidera le Mexique à franchir le cap des huitièmes, et à se qualifier pour "le cinquième match" (quart de finale), une obsession nationale ?
A l'instar de Chicharito, les joueurs, eux, n'évoquent pas cet objectif. Ils ne veulent plus se poser de limites et ambitionnent le sixième, voir le septième match. Avant de se projeter aussi loin, El Tri devra déjà éviter de dilapider face à la Corée du Sud les gains de son succès face à l'Allemagne.
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chicharito

Crédit: Getty Images

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