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La possession, agonie d’un modèle après les éliminations de l'Espagne et de l'Allemagne

Louis Pillot

Mis à jour 04/07/2018 à 22:47 GMT+2

COUPE DU MONDE - Avec les éliminations de l’Allemagne au premier tour, et de l’Espagne en huitièmes de finale, le football de possession a subi un nouveau camouflet. Banale fin de cycle, ou dernier soupir d’une idéologie ?

Gerard Piqué, Sergio Busquets, David Silva et Daniel Carvajal lors d'Espagne-Maroc / Coupe du monde 2018

Crédit: Getty Images

"Celui qui a le ballon a peur. Celui qui ne l’a pas est donc plus fort." En 2014, une biographie édictait les sept principaux commandements régissant le football de José Mourinho. Fidèle à ses principes, le Special One y niait l’importance supposée de la possession de balle. Longtemps, un certain Pep Guardiola s’est amusé à lui donner tort. En 2008, le Catalan transformait le Barça, et avec lui toute la face du jeu. Naissait, ou renaissait, le tiki-taka, ce football de possession magnifié qui a inspiré non seulement la sélection espagnole, mais également nombre d’équipes à travers le globe.
Le temps a finalement donné raison à Mourinho. Dix ans plus tard, le tiki-taka est mort avec un record. Contre la Russie, en huitièmes de finale de Coupe du monde dimanche, l’Espagne a complété 1029 passes. Le sommet est inédit dans l’ère des statistiques. Il n’a pas empêché la Roja de se précipiter dans l’abîme, et d’être éliminée de la compétition. Comme l’Allemagne un peu plus tôt, pourtant victorieuse du Mondial 2014 en ayant la plupart du temps le ballon. Tout semble l’indiquer : le football de possession a poussé son dernier soupir en Russie. Son agonie a pourtant débuté il y a quelques temps déjà.

L’agonie a duré quatre ans

La chute de l’Espagne, déjà, au Mondial 2014 avait mis la puce à l’oreille. Nous écrivions alors, dans ces colonnes : "Le tiki-taka qui a fait la force du football espagnol entre 2008 et 2012 semble en faire la faiblesse depuis deux ans.(...) Le fiasco de l'équipe de Vicente del Bosque lors de cette Coupe du monde marque un nouvel échec du football de possession." Nouvel échec en effet, puisqu’il se faisait l’écho de la chute mémorable du FC Barcelone face au Bayern Munich en C1 un an plus tôt (4-0, 3-0), et de celle du Bayern de Guardiola face au Real Madrid (1-0, 4-0) quelques semaines auparavant.
La victoire de l’Allemagne quelques jours plus tard, dans cette même Coupe du monde, avait nuancé ce constat. La Mannschaft était en effet montée sur le toit du monde en ayant, la plupart du temps, le ballon, même si son utilisation était différente de celle de la Roja. Pour autant, les échecs du jeu de possession se sont multipliés depuis. Le Barça n’arrive plus à monter sur le toit de l’Europe depuis 2015, le PSG n’a pas passé de cap en C1, et le Portugal a gagné l’Euro 2016 avec 44% de possession en moyenne à compter des huitièmes de finale.
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Gerard Piqué, Sergio Busquets, David Silva et Daniel Carvajal lors d'Espagne-Maroc / Coupe du monde 2018

Crédit: Getty Images

"Supposition erronée"

Lors de l’édition russe, l’impuissance du jeu de possession s’est fait encore plus évidente. Trois équipes ont eu le ballon plus de 65% du temps en moyenne durant la compétition jusqu’ici : l’Allemagne, l’Espagne et l’Argentine. La première est sortie au premier tour, les deux autres l’ont suivie dès les huitièmes. Des cinq premières équipes avec le meilleur pourcentage, seul le Brésil est toujours en course. L’Arabie Saoudite, cinquième de ce classement, a explosé en ouverture contre la Russie en encaissant cinq buts.
Au contraire, la très grande majorité des équipes qui impressionnent jusqu’ici ne tiennent pas particulièrement à avoir le ballon. Citons la France et l’Uruguay, opposés vendredi en quarts de finale. Jorge Sampaoli, le sélectionneur de l’Argentine, avait prévenu avant son huitième contre les Bleus vouloir se battre pour le contrôle du ballon : son équipe a explosé devant les attaques rapides françaises. Oscar Tabarez, coach de la Celeste, a lui été clair : "Je pense que, la plupart du temps, on fait cette supposition erronée que seule la possession de balle offre des opportunités de marquer. Mais même si vous n’avez pas le ballon, vous pouvez quand même faire mal à l’adversaire de manière différente." Le paradigme est totalement renversé.

"Rien ne se passe"

S’il a pu l’être ces derniers temps, influencé par les idéaux de Guardiola, le football n’est plus aujourd’hui une bataille pour le contrôle du cuir. C’est devenu -en tout cas, dans ce Mondial- un jeu fondé sur la connaissance de l’adversaire. Avec 22% de possession, l’Islande avait préparé le plan parfait pour gêner l’Argentine (1-1). Quant à l’Allemagne, elle a subi face au Mexique (défaite 1-0) ce qu’avait subi l’Espagne de 2014 contre les Pays-Bas (défaite 5-1) : une déroute face à un adversaire préparé, qui profite de la passivité du jeu de possession pour contrer rapidement, en ayant ciblé les points faibles défensifs - ici les boulevards dans le couloir droit allemand, entre autres choses.
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Lozano s'apprête à marquer pour le Mexique contre l'Allemagne, devant Kroos et Özil

Crédit: Getty Images

De manière générale, le football de possession s’est essoufflé. Différents facteurs entrent évidemment en compte. La retraite ou la méforme des joueurs ayant été le symbole de cette manière de jouer en est évidemment un. Contre la Russie, il a manqué à l’Espagne un Iniesta à son apogée, ou un Xavi, capable de sortir cette équipe de son schéma de passe à dix perpétuelle. La Roja a, également, oublié de mettre les ingrédients ayant mené le foot de possession à son zénith : pressing haut, et surtout mouvement et prise de risque entre les lignes adverses.
Sur la BBC, Cesc Fabregas, champion du monde avec la Roja en 2010, disait : "Rien ne se passe. (...) Tout ce qu'ils font, c'est qu'ils reviennent, ils reviennent, et ils veulent juste la possession. Et je pense que c'est plus une possession pour ne pas défendre, plus que pour attaquer. Cela devrait être le contraire." Par conséquent, l’Espagne comme l’Allemagne n’étaient pas préparés à la perte, et ont été plus vulnérables que jamais en contre.

Le temps du pragmatisme ?

Bien sûr, il existe des exceptions. En premier lieu, le Manchester City de Pep Guardiola, champion d’Angleterre avec près de 60% de possession de balle sur la saison. En Russie, le Brésil impressionne également avec le cuir. Mais avec un jeu, comme celui des Cityzens, différent, plus porté sur les côtés qu’auparavant, et reposant sur les qualités individuelles des ailiers (Sané, Sterling, Neymar, Willian). Tout cela, car les adversaires se sont adaptés à la possession à outrance, n’hésitant plus à renforcer l’axe. "Il faut savoir ce que l’adversaire fait pour mieux attaquer, et pour mieux défendre", disait Guardiola à SFR Sport cette saison. L’adaptation est devenu le maître mot.
Comme le catenaccio ou le football total en leur temps, le football de possession est ainsi condamné à évoluer pour subsister. Car voici venu le temps des pragmatiques. L’hégémonie en Europe du Real de Zinedine Zidane, protéiforme comme peu d’équipes l’ont été dans l’histoire, en est évidemment la preuve. Le tiki-taka va rester un idéal : l’Espagne, comme l’Allemagne, ne devraient pas revoir tout leur système de formation. Rien ne dit que le football de possession ne remportera pas d’autre victoire : le Brésil est toujours favori en Russie. Il n’est, simplement, plus un modèle.
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