COUPE DU MONDE 2022 - Avant Angleterre - Sénégal : L'Angleterre dans le flou

COUPE DU MONDE – L'Angleterre, qui affronte le Sénégal (20h00) ce dimanche en huitièmes de finale du Mondial 2022, se présente avec peu de certitudes même si les Anglais n'ont pas perdu en phase de poules. Les protégés de Gareth Southgate affichent régulièrement des périodes d'apathie. Zoom sur ce mal anglais, qui semble surtout mental.

Gareth Southgate et Harry Kane

Crédit: Getty Images

Quand on lit dans le bulletin scolaire d'un élève: "doué, notes satisfaisantes, mais peut mieux faire", c'est presque toujours parce que cet élève ne produit pas les efforts dont il est cru capable. Pourtant, si les notes de l'élève anglais oscillent entre le 14 et le 16 sur 20 dans les grands tournois depuis que Gareth Southgate tient la classe (le zéro pointé dans la dernière Ligue des Nations était un accident de parcours, pas un révélateur), ce n'est certainement pas parce que cette Angleterre serait rétive à la dépense d'énergie sur le terrain. C'est vrai qu'elle est parfois sujette à des crises d'apathie qui font désespérer ses supporters, mais ce qui lui manque alors n'est pas désir de produire des efforts. C'est une étrange paralysie mentale dont la cause demeure inconnue, qui existait déjà du temps d'Eriksson et de Capello, une sorte de mal anglais, de spleen, qui plombe la sélection depuis un demi-siècle.
Cette Angleterre-là, c'est celle que l'on vit après qu'elle avait ouvert la marque contre l'Italie en finale de l'Euro, par exemple; ou, mutatis mutandis, lors de ce Mondial, dans un match nul crispant contre les USA et une première mi-temps soporifique contre le Pays de Galles.
Est-ce si grave? A moins qu'on considère que seule la victoire finale a une valeur, les faits bruts semblent indiquer que non. Invaincus au sortir de la phase de poule, avec la meilleure différence de buts de toutes les équipes qualifiées pour les huitièmes de finale, les Anglais ont géré leurs trois premiers matches avec le bon sens requis pour aller le plus loin possible dans une Coupe du monde.

Les Three Lions tendent à s'assoupir

Ils ont su exploiter l'explosion psychologique des Iraniens - qui avaient la tête à tout sauf au football à ce moment-là - au stade international Khalifa, sans forcer outre mesure, malgré ce que l'ampleur du score pourrait faire croire. Face à des Américains agressifs et talentueux, ils ont fait le dos rond, sachant qu'un point leur suffirait pour sortir du groupe. Enfin, contre des Gallois dont les stars montraient leur âge, un coup d'accélérateur en seconde période a suffi pour s'assurer de la première place du groupe.
Et pourtant, passé ces trois rencontres, on ne sait rien d'autre de cette équipe qu'on ne savait déjà auparavant. Autrement dit, elle demeure frustrante, nimbée d'un curieux flou. Elle manque de définition, au sens où l'entendrait un photographe. On peut voir à qui l'on a affaire, on reconnait les visages, mais vaguement. Qu'entend-on donc nous montrer?
On pourrait appeler ça une absence de 'style'. Bien malin qui pourrait aujourd'hui décrire le 'jeu à l'anglaise' autrement qu'en faisant la liste de caractéristiques supposées qui, lorsqu'on les ajoute l'une à l'autre, ne constituent pas vraiment une identité - comme l'Espagne... ou le Sénégal en possèdent une. Ce qu'on voit est un agrégat de qualités, parfois contradictoires, de plus.
Un exemple? Peu d'équipes (sans doute aucune, en fait) disposent d'autant de 'joueurs' que l'Angleterre: Saka, Foden, Grealish, Rashford, Maddison, Sterling, Mount, Kane, Wilson, Gallagher. Bellingham! Mais personne ne se risquerait à parler d'une Angleterre 'joueuse', malgré neuf buts, certains magnifiques, marqués en phase de groupes. Ces Three Lions-là sont impitoyables lorsque la proie est à leur merci; quand elle ne l'est pas, ils tendent à s'assoupir.
Ceci, dira-t-on, est la conséquence du 'pragmatisme' qui caractérise l'approche de Southgate, et qui leur a tout de même permis d'atteindre les demi-finales de la Coupe du monde de 2018 et la finale de l'Euro 2020. Selon le Larousse, le pragmatisme est une "doctrine qui prend pour critère de vérité le fait de fonctionner réellement, de réussir pratiquement". La preuve est dans le pudding, donc, quel que soit son goût, et tant pis s'il lui arrive d'être insipide.
Le "pragmatisme" de Southgate est néanmoins d'un tout autre genre de celui de Didier Deschamps ou de Carlos Alberto Parreira, lequel trouva le moyen de nous endormir au Mondial de 1994 avec une équipe dans laquelle on trouvait Bebeto, Romario et Rai...mais aussi Dunga. Six ans et deux mois après son entrée en fonction, Southgate n'a toujours pas - pas encore? - de formule-type. A quoi voudrait-il que son Angleterre ressemble au bout du compte, on l'ignore toujours.
picture

Marcus Rashford

Crédit: Getty Images

Des choix plus réactifs qu'autre chose

Ceci vaut d'abord pour le choix des attaquants associés à Harry Kane. Le dispositif était identique contre l'Iran et les USA, avec Bukayo Saka et Raheem Sterling sur les flancs et Mason Mount dans un rôle a priori plus libre derrière l'avant-centre des Spurs. Un modèle à suivre? Non, car ce qui avait si joliment fonctionné contre des Iraniens en perdition déçut face aux Américains. Aussi, face aux Gallois, all change! Rashford et Foden, jusque-là utilisés comme remplaçants, prenaient les places de Saka et Sterling, tandis que Mount faisait les frais du passage de 4-2-3-1 en 4-3-3, dans lequel Jude Bellingham était l'élément le plus avancé du milieu de terrain. Jack Grealish, lui, conservait son rôle de joker, entrant en jeu dans le dernier tiers ou quart des matches pour aller provoquer des adversaires émoussés par les efforts consentis.
Sur le papier - et au vu des résultats acquis -, cette rotation avait du sens. Préserver les organismes dans un tournoi dont on espère qu'il durera cinq semaines est une nécessité. Il n'empêche que le profil offensif de l'Angleterre souffre d'une certaine indétermination, et que les choix de Southgate ont paru plus réactifs qu'autre chose.
Ce n'est pas un mal en soi, et la richesse des Anglais dans le secteur offensif fait que, quelle que soit la situation d'un match, leur manager ne manquera pas de solutions pour redresser la barre si besoin est. Mais, dès le choc contre le Sénégal, les Anglais devront prouver qu'ils ont un système cohérent en place, et pas seulement un groupe d'individualités d'exception auxquelles faire appel en fonction de la physionomie d'un match.

Aveu de tâtonnements, plus que l'expression de certitudes

On attendra surtout de voir si Southgate écoutera à nouveau sa prudence naturelle, laquelle l'a toujours poussé à aligner un back three ou back five lorsque l'adversaire était plus relevé, plutôt que le back four qu'il mit en place contre l'Iran, et les USA et le Pays de Galles durant ce Mondial. Pour lui, plus qu'un raffinement tactique, le passage à une défense à trois ou cinq constitue une assurance tout-risque, destinée à se donner la meilleure chance de ne pas perdre, pas à s'imposer comme le maître du jeu.
Certes, la capacité d'adaptation est un atout de prix, et le fait est que la plupart des joueurs du groupe de Southgate travaillent au jour le jour avec des entraîneurs de club qui exigent d'eux qu'ils puissent se fondre dans différents moules tactiques sans que leur rendement en souffre; mais on peut aussi être polymorphe par hésitation, voire par crainte; les différentes formes adoptées peuvent demeurer au stade d'ébauches, l'aveu de tâtonnements, plus que l'expression de certitudes.
Et qu'est-ce que le 'pragmatisme'? Lors de la finale de l'Euro 2020, il aurait sans doute été plus 'pragmatique' pour les Anglais, qui avaient pris l'ascendant dans le jeu et l'avantage à la marque, de continuer à presser des Italiens qu'on sentait vaciller. Au lieu de quoi ils se recroquevillèrent, et finirent par en payer le prix. L'image demeure floue, et on attend toujours de voir comment le brouillard qui l'enveloppe pourrait se dissiper.
Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Partager cet article
Publicité
Publicité