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Coupe du monde 2022 - Le Pays de Galles, la sélection qui ne ressemble à aucune autre

Philippe Auclair

Mis à jour 29/11/2022 à 18:42 GMT+1

COUPE DU MONDE 2022 - Le pays de Galles n'avait plus joué de Coupe du monde depuis 1958. En 2022, il est de retour sur la plus grande scène planétaire, avec ses spécificités. La bande de Gareth Bale, soucieuse de mettre en avant et en valeur ses racines profondes, défie l'Angleterre pour une place en huitièmes de finale de la Coupe du monde.

"Southgate se passe de ses meilleurs improvisateurs"

Il y a déjà des pays pour lesquels cette Coupe du monde demeurera inoubliable, malgré tout ce qu'on voudrait pouvoir en oublier: l'Arabie Saoudite, le Japon et, malgré une douloureuse défaite dans les arrêts de jeu face à l'Iran vendredi dernier : le Pays de Galles.
Pour les Gallois, elle l'était même avant que Gareth Bale ne marque le penalty qui leur donna le nul 1-1 contre les Etats-Unis lundi dernier. Cela faisait soixante-quatre ans que la sélection du dragon attendait de participer à ce qui devrait être la plus grande fête du football mondial, depuis qu'une équipe à qui on n'avait pas donné la moindre chance avant le tournoi était parvenue en quarts de finale, où l'attendait le Brésil d'un adolescent nommé Pelé (*).
Vous l'avez vu lors du match contre les USA: pour ce qui est de communier avec leur équipe, les 3 000 supporters qui sont venus encourager le Pays de Galles au Qatar ne craignent personne, et ce n'est pas la confiscation de leurs chapeaux décorés d'un anneau arc-en-ciel alors qu'ils arrivaient au stade qui allait atténuer leur ferveur, d'autant plus que la moitié d'entre eux avaient auparavant pris part à une fête organisée par l'association Gol Cymru à l'Intercontinental de Doha, au cours de laquelle ils épuisèrent les ressources de bière pression de l'hôtel.
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Les Gallois, heureux, après l'égalisation de Bale

Crédit: Getty Images

Mais la fin d'un sommeil long de soixante-quatre années n'explique pas complètement en quoi et pourquoi le Pays de Galles est un cas à part dans cette Coupe du monde et, en fait, peut-être dans le football de sélection mondial tout entier. Relevés par le regretté Gary Speed, emmenés par Chris Coleman en demi-finale de l'Euro 2016, Y Dreigiau, ne sont pas "more than a national team". Ils sont autre chose. Ils sont autres.

Cymru

Au Royaume-Uni, il y en a quelques-uns qui se sont moqués - gentiment, le plus souvent, mais pas toujours - du désir exprimé par la sélection que lorsqu'on se réfère à elle, on ne serve pas de l'anglais Wales, mais du Gallois Cymru (prononcé: com-ri). On s'est étonné que le sélectionneur Rob Page annonce la liste de son squad pour le Qatar au Welfare Hall de Tylertstown, le dernier des foyers communautaires des mineurs gallois, et que le défenseur Ben Davies tienne une conférence de presse dans la langue de son pays natal. On aurait plutôt dû se demander pourquoi; et si on l'avait fait, on aurait compris que l'enthousiasme qui anime les Gallois, joueurs comme fans, a des racines qui plongent beaucoup plus profond que le seul football.
Il suffisait pour cela de traduire les paroles de ce qui est désormais l'hymne de la sélection, Yma o Hyd ("Nous sommes toujours là"), écrit et enregistré par le folk singer Dafydd Iwan (*) en 1983. Iwan, qui a 79 ans, est au Qatar en ce moment, et surprit les 1600 fans réunis à l'Intercontinental en s'emparant du micro et en entonnant son air le plus fameux.
Nous sommes toujours là,
Nous sommes toujours là,
Malgré tous et malgré tout,
Malgré tous et malgré tout,
Malgré tous et malgré tout,
Nous sommes toujours là.
[...] Et nous crierons devant toutes les nations,
"Nous serons là jusqu'au Jour du Jugement !"
Malgré tous les traîtres,
Malgré la vieille Maggie et son équipe,
Nous serons là jusqu'à la fin du temps,
Et la langue galloise vivra !
Maggie est Margaret Thatcher, évidemment.
Et pour ceux qui n'auraient pas compris le sens politique de cette chanson, la fédération galloise l'a accompagnée d'une vidéo qui intègre des images de la grève des mineurs de 1985, des manifestations des associations de défense de la langue galloise dans les années 1960, et de la statue de Betty Campbell, l'activiste disparue il y a cinq ans, une directrice d'école issue de Tiger Bay, l'une des communautés multiraciales les plus anciennes du Royaume-Uni. Peut-être faudrait-il envoyer une traduction de ces paroles à la FIFA, d'ordinaire si chatouilleuse quand on ose mêler la politique au football.
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Les fans à la fête

Crédit: AFP

Ce sont les joueurs eux-mêmes, et en particulier le défenseur de AFC Wimbledon Chris Gunter, qui ont été les initiateurs de l'adoption de Yma o Hyd (**), que Dafydd Iwan chanta sur la pelouse du Cardiff City Stadium avant la victoire 2-1 sur l'Autriche en barrage des qualifications pour le Mondial de 2022; mais c'est bien Cymdeithas Bêl-droed Cymru - la fédération galloise - qui prit la décision d'en faire l'hymne de la sélection, de son plein gré.

Un club plus qu'une sélection

C'est que cette fédération, présidée par Steve Williams depuis juin 2021, est sans doute, de toutes les fédérations européennes non scandinaves, celle qui entretient les rapports les plus proches avec la base dont sont issus ses nouveaux dirigeants, dont trois des quatre les plus hauts placés dans la hiérarchie ne sont devenus des administrateurs qu'au milieu des années 2010. Ceci explique cela.
Cymru, en fait, ferait plutôt penser à un club qu'à une sélection, et pas à n'importe quel club - un Union Berlin ou un Saint-Pauli, pas un Manchester City - et ses supporters aux Ultras qui les accompagnent. De la même façon que tout Berlin et (surtout) tout Hambourg ne se reconnaissent pas dans Union ou Saint-Pauli, il se peut que bien des Gallois restés au pays aient du mal à accepter le message culturel et politique dont leur sélection est devenue le vecteur. En cela encore, Cymru est unique, qui fédère ses fans autour d'une identité qui demeure linguistiquement minoritaire et d'un credo politique en contradiction avec près de la moitié de l'électorat gallois (***).
Cela dit, il est probable que ces ambiguïtés passeront au second plan mardi prochain, quel que soit le résultat de la confrontation avec un Iran blessé dans sa fierté.
Sauf quand c'est l'Angleterre qui est en face, évidemment, quand ce genre de question ne se pose plus. C'est un peuple tout entier qui reprendra Yma o Hyd ce soir.
(*) Les Gallois étaient sortis de leur groupe en alignant trois nuls en trois rencontres, puis en battant la Hongrie 2-1 en match de barrage, avant de s'incliner 0-1 en quarts, Pelé marquant le premier de ses douze buts en Coupe du Monde. Ils étaient privés ce jour-là de John Charles, l'un des plus grands joueurs de leur histoire, qui s'était blessé face aux Hongrois. "Avec lui dans l'équipe, nous aurions pu gagner", dit ensuite leur manager Jimmy Murphy, le bras droit de Matt Busby à Manchester United, qui avait peut-être dû la vie sauve à son équipe nationale. Celle-ci joua en effet un match de barrage contre Israël à Cardiff le 6 février 1958. Murphy n'était donc pas dans l'avion qui s'écrasa sur la piste enneigée de l'aéroport de Munich ce soir-là.
(*) Iwan fut aussi le président du parti nationaliste de gauche gallois Plaid Cumry de 2003 à 2010.
(*) Selon les dernières études gouvernementales, 16,2% des Gallois (âgés de plus de 3 ans) parlent gallois tous les jours, et 33% le comprennent. Et si les partis d'opposition ont recueilli la majorité des voix lors des dernières législatives, en 2019, les Travaillistes, parti numéro 1, ont perdu 8% de leurs voix par rapport au scrutin précédent.
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