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Coupe du monde - Mondial tous les deux ans, une formalité pour la FIFA ? Non, la drôle de guerre est déclarée

Philippe Auclair

Mis à jour 17/09/2021 à 18:35 GMT+2

COUPE DU MONDE - Alors que la Fifa, soutenue notamment par quelques grandes stars, fait la promotion de son projet de Coupe du monde tous les deux ans, la résistance s'organise. Menée par l'UEFA, elle promet une "drôle de guerre" selon notre chroniqueur Philippe Auclair. Retour sur un projet qui pourrait bien mettre le feu au football mondial entre jeux de pouvoirs et intérêts financiers.

Gianni Infantino et Aleksander Ceferin lors du 63e congrès de la FIFA

Crédit: Getty Images

Brian Glanville, le doyen des 'écrivains de football' britanniques, avait pour coutume de dire: "Sepp Blatter a dix idées par jour, et onze d'entre elles sont mauvaises". L'une de ces idées, que l'ancien président de la Fifa avait jeté à la volée comme une poignée de confettis vite dispersés par le vent, était de changer la périodicité de la Coupe du Monde de quatre à deux ans. "Je veux un championnat du monde de football tous les deux ans", avait-il lancé en janvier 1999. "Les équipes nationales seront alors classées comme elles le méritent. [La formule] existante d'un tournoi tous les quatre ans est périmée. Elle date des années 1930, quand les équipes allaient d'un continent à l'autre par bateau".
Le bateau sur lequel Blatter s'était lui-même embarqué en proposant d'en finir avec une compétition quadriennale disparut sans laisser de trace. Croyait-on. Car voici que, vingt-trois ans plus tard, il a ressurgi de la brume où on le croyait perdu, avec Arsène Wenger au gouvernail de cette Marie-Céleste, sous le regard bienveillant du capitaine Gianni Infantino.
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La Coupe du monde tous les deux ans ? "On passe du caviar au Big Mac"

L'ancien entraîneur d'Arsenal, devenu 'directeur du développement du football mondial de la Fifa' en novembre 2019, s'exprima sur le sujet pour la première fois en mars 2021. "Est-ce raisonnable", avait-il dit, "[...] de multiplier les voyages pour les trêves internationales? [...] Il faut réorganiser tout cela, regrouper les dates internationales. Une des solutions est sans doute d'organiser la Coupe du Monde et l'Euro tous les deux ans et d'arrêter tout le reste". Le sujet lui tenait visiblement à coeur, puisqu'il y revint fréquemment dans les mois qui suivirent, la dernière fois ce 3 septembre. "Le principe serait un regroupement des qualifications, tous les ans", suggéra-t-il, "et en fin de saison une grande compétition, Coupe du monde ou championnat continental". D'évidence, ce bateau-là n'était pas près de disparaître à l'horizon.

Un chemin pas nécessairement pavé de bonnes intentions

Il n'est pas question de discuter ici des mérites de la suggestion de Wenger. Son rôle, après tout, est aussi d'ouvrir des débats au sein de la communauté du football, qu'il s'agisse de la vidéo-assistance, de la loi du hors-jeu ou du calendrier international. Mais son insistance - et le timing de ses interventions - obligent à se demander si sa mission ne revêt pas un tout autre caractère dans ce cas précis, sans que cela mette nécessairement en doute la sincérité de sa réflexion.
C'est que l'idée d'un Mondial biennal a fait son chemin depuis mars dernier, un chemin qui n'est pas nécessairement pavé de bonnes intentions, et dont le tracé révèle combien, dans le football de 2021 et la Fifa de Gianni Infantino, tout, absolument tout, acquiert une dimension politique, où l'on choisit son camp non pas au regard de la valeur intrinsèque des propositions et du bien commun, mais de son propre intérêt, en termes de pouvoir et d'argent.
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Arsène Wenger et Gianni Infantino

Crédit: Getty Images

De ce point de vue, on aura rarement vu un tel ballet diplomatique au sein des instances du football mondial, pas même lorsque le pétard mouillé de la Super League fit long feu en l'espace de moins d'une semaine en avril dernier, un ballet dont le chorégraphe n'est autre que le président de la Fifa lui-même.
Tout le monde y est allé de ses prises de position, souvent contradictoires, parfois presque belliqueuses. AFC, CAF, UEFA, CONMEBOL, ECA, FIFPro, Ligues européennes, fédérations, 'légendes' de la Fifa, tous se sont exprimés et continueront de la faire au cours des mois à venir, des mois qui "s'annoncent très tendus', selon le secrétaire-général de la FIFPro - le syndicat mondial des joueurs et joueuses professionnels - Jonas Baer-Hoffmann qui, s'adressant ce mercredi à un groupe de journalistes (parmi lesquels Eurosport était représenté), avait même parlé du risque qu'on atteigne un "point de rupture" dans le football mondial si un véritable dialogue ne s'établissait pas entre toutes les parties.

Les supporters n'en veulent pas ? Et alors ?

Les fans? La Fifa a publié aujourd'hui les grandes lignes d'un sondage réalisé en ligne auprès de 15 000 personnes "identifiées comme ayant un intérêt pour le football" qui, surprise, surprise, suggère que la majorité d'entre elles sont en faveur de, surprise, surprise, faire se tenir la Coupe du Monde...tous les deux ans. Le moins qu'on puisse dire est que ces premières conclusions (d'autres études sont en cours) risquent d'être accueillies avec un certain scepticisme dans le monde du supportérisme, qui est farouchement opposé à cette réforme. De toute façon, avait-on demandé leur avis aux fans quand il s'était agi de faire passer le nombre de nations présentes à un Mondial à quarante-huit, comme ce sera le cas dès 2026? Cela signifie-t-il qu'il faille déjà se résigner à la perspective d'une Coupe du monde biennale, car ce que Fifa veut, Fifa obtient?
La réponse est non. La résistance s'est organisée depuis que la fédération saoudienne, avec laquelle la Fifa entretient des rapports des plus amicaux, avait proposé, de son propre chef ou d'un autre, qu'on procède à une 'étude de faisabilité' d'une Coupe du Monde biennale lors du 71ème Congrès de la Fifa en mai dernier. La proposition, que Gianni Infantino avait alors qualifiée de 'détaillée et éloquente', avait alors été ratifiée par 166 des délégués, 22 seulement se prononçant contre la motion des Saoudiens.
La tactique n'avait rien d'inédit, et est même un outil familier à la disposition des grands pouvoirs: pour faire adopter une mesure qui risque d'être impopulaire, commencez par demander à quelqu'un d'autre de la proposer; or les candidats ne manquaient pas pour dire la bonne parole. L'avant-garde de l'offensive de la Fifa fut le Comité Exécutif de la Confédération africaine, la CAF, dont le nouveau président Patrice Motsepe est un allié des plus proches du président de la Fifa, qui annonça son soutien à une réforme de la périodicité de la Coupe du Monde dès le 16 juillet.
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Gianni Infantino

Crédit: Getty Images

Deux fois plus de Coupes du monde, c'est quasiment deux fois plus de revenus pour la Fifa

Plusieurs 'légendes' de la Fifa, ce groupe d'anciens joueurs dont Gianni Infantino aime être accompagné - surtout lorsqu'il a un message à faire passer -, se sont relayées pour soutenir le projet d'un Mondial tous les deux ans lors d'un récent passage à Doha. Peter Schmeichel, Gary Cahill, Ronaldo 'fenomeno' et d'autres ont vanté les mérites de la proposition. La CFU, qui regroupe les fédérations des Caraïbes, a fait de même le 12 septembre, ce qui fit dire à un observateur chevronné de la région que les membres de cette association, dont 27 ont le droit de vote au Congrès de la Fifa, "aboieraient en sautant sur une jambe s'ils pensaient que c'est ce que désire Infantino". Quatre fédérations asiatiques (Népal, Bangladesh, Maldives et Sri Lanka) les avaient précédés de onze jours. Le Mexique et Costa Rica ont laissé entendre que l'idée ne leur déplaisait pas.
L'attitude de ces associations nationales se comprend. Deux fois plus de Coupes du monde, c'est quasiment deux fois plus de revenus pour la Fifa, dont plus de 90% dérivent de son plus grand tournoi, des revenus dont une partie conséquente est redistribuée aux 211 membres de l'organisation. Dans le contexte actuel, quand la pandémie a saigné les ressources de tant de fédérations qui dépendent de la manne de Zurich, qui dirait non à la voir être doublée? Or la CAF, à elle seule, 'pèse' 54 voix, quand 106 suffiraient à avaliser le passage à un Mondial biennal par le Congrès de la Fifa. Plus 27 pour la CFU, plus l'Arabie Saoudite, le Népal...
Une formalité, alors? Loin de là. Ce à quoi on assiste, c'est à l'ouverture d'un nouveau front dans le combat qui oppose la Fifa aux deux Confédérations qui monopolisent le titre depuis la tenue du premier Mondial en Uruguay, en 1930 : l'UEFA et son principal allié, la CONMEBOL sud-américaine (qui s'est alignée sur la position européenne après avoir été partisane d'une Coupe du monde biennale). Aussi, quand le président de l'UEFA, Aleksander Čeferin, agite le spectre d'un boycott possible du Mondial par les géants des footballs européen et sud-américain (et qu'est-ce qui les empêcherait d'organiser leur propre tournoi, au juste?), et que l'ECA et tous les grands championnats, sans exception, font connaître leur opposition absolue au projet, cela donne à réfléchir.
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Gianni Infantino et Aleksander Ceferin lors d'un match de foot

Crédit: Getty Images

La menace de Ceferin qui change tout

Et réfléchir est exactement ce que les partisans avoués de cette refonte fondamentale du calendrier font aujourd'hui. Leur ton a bien changé depuis quelques jours - depuis, en fait, que Čeferin a lancé sa menace de boycott dans un entretien accordé au Times. La CAF a fait machine arrière. Elle ne parle plus de son soutien à une Coupe du monde organisée tous les vingt-quatre mois, non. Elle "est d’avis qu’à ce stade, le plus important est que les discussions et les délibérations continuent d’avoir lieu d’une manière ouverte et avec l’objectif de faire ce qui est dans le meilleur intérêt de toutes les Associations Membres, les confédérations, joueurs de football et autres parties prenantes du monde entier".
C'est loin d'être la même chose. L'AFC, la confédération asiatique (47 membres, 47 votants), dont font partie le Népal et ses amis, "se félicite du processus de consultation extensive initié et guidé par la Fifa pour examiner les options d'optimisation du calendrier international". Mais pas plus.
Aussi, quand on parle de 'guerre' dans le football mondial, entre la Fifa et ses alliés d'une part, et l'axe UEFA-CONMEBOL de l'autre, doit-on préciser qu'il s'agit d'une guerre de position, voire d'une drôle de guerre. On a lancé quelques fusées éclairantes. Mais l'offensive, la vraie, attendra encore.
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