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Mondial au Qatar - "Cette Coupe du monde symbolise les dérives de l'industrie du sport-spectacle"

Cyril Morin

Mis à jour 16/11/2022 à 08:31 GMT+1

COUPE DU MONDE – C'est l'heure pour le Qatar. Désigné en 2010 par la FIFA pour organiser le Mondial 2022, le pays du Golfe accueille à partir de dimanche le grand raout du football mondial. Mais les critiques autour des conditions d'attribution et d'organisation se multiplient au niveau occidental, au point que le boycott soit devenu une vraie question géopolitique.

Une réplique de la Coupe du monde devant le chantier du Khalifa International Stadium, le 31 janvier 2016 à Doha, capitale du Qatar.

Crédit: Getty Images

Rarement une Coupe du monde n'a semblé faire autant l'unanimité contre elle. Et pourtant… Ce dimanche, le Qatar accueille la 22e édition de la Coupe du monde malgré un contexte géopolitique tendu et une opinion publique occidentale qui s'émeut des nombreux dossiers entourant le choix, en 2010, de l'état du Golfe comme pays organisateur : décalage culturel, aberration écologique, scandales autour des droits de l'Homme.
Ces dernières semaines, l'hypothèse d'un boycott de la Coupe du monde a agité les débats. Pour revenir en détail sur ce Mondial et sa portée géopolitique, Eurosport a interrogé Kevin Veyssière, auteur du tome 2 de "Mondial : Football Club Geopolitics, 22 histoires insolites sur la Coupe du monde de football" et créateur du compte Twitter @FCGeopolitics.
Ces dernières semaines, l'hypothèse d'un boycott du Qatar a pris du poids dans l'opinion publique occidentale. Est-ce un projet tenable ?
Kévin Veyssière : Boycotter la Coupe du monde n'est pas une bonne solution. Boycotter ce Mondial reviendrait à boycotter tout le Qatar et presque une partie du monde arabo-musulman, ou en tout cas leur valeur. Ce serait se voiler la face et ne pas révéler les problèmes inhérents au Qatar. Les rares révélations qu'il y a eu autour des conditions d'organisation n'ont pu être obtenues que par les ONG ou les journalistes qui sont allés là-bas pour révéler les conditions des travailleurs migrants pour construire les stades ou pour calculer le coût écologique de l'événement. C'est notamment ça qui a permis quelques évolutions comme la fin du système de la "kafala", sorte de mise sous tutelle de migrants travailleurs par des locaux qatariens, et l'instauration d'un salaire minimum.
Comment expliquer que ce mouvement arrive aussi tard ?
K.V : C'est l'autre souci. Même les révélations du Guardian arrivent "seulement" un an avant le début de la compétition. Il aurait pu être plus efficace de tenter de faire pression de manière plus importante par le passé puisqu'il y a eu douze ans entre 2010, l'attribution du Mondial au Qatar, et 2022. Avant les révélations du Guardian en 2021, il y avait déjà eu des informations données par des ONG ou d'autres médias en 2015, en 2016. Mais l'opinion publique occidentale ne s'est pas énormément mobilisée à l'époque. C'est normal : plus l'événement se rapproche, plus ça fait parler.
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Comment le Mondial va-t-il impacter physiquement et mentalement les clubs ?

Est-ce la Coupe du monde la plus critiquée de l'histoire ?
K.V : Il faut se souvenir de la Coupe du monde de 2018 : il y avait aussi des critiques mais de manière moins virulente parce que l'organisation était aussi moins liée à des changements, comme le fait de la faire en hiver. Là, ça s'inscrit dans un contexte d'urgence climatique. Finalement, organiser une Coupe du monde au Qatar, même en hiver, avec des stades sortis de sol dans un pays de 3 millions d'habitants : tout ça caractérise les dérives de l'industrie sportive et du sport spectacle.
Qui est coupable de cette dérive ?
K.V : Le seul organe qui peut affecter ces conditions, c'est la FIFA. Même si c'est une organisation très importante qui pèse près de six milliards de dollars, elle défend le fait d'être une organisation à but non lucratif et qu'elle n'a pas à s'immiscer dans la vie politique des autres pays. Mais elle en profite toujours autant. Le souci de ce fonctionnement, c'est qu'une fois qu'elle attribue une compétition à un pays, elle le laisse gérer comme il le souhaite, sans prendre en compte les considérations écologiques ou des droits de l'Homme. Et même quand les polémiques finissent par prendre le dessus, la FIFA ne fait rien. Finalement, cette Coupe du monde est à l'image de la construction du Qatar.
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Une réplique de la Coupe du Monde avec la skyline de Doha en fond

Crédit: Getty Images

Est-ce possible de réellement mettre la pression sur la FIFA pour changer les choses ?
K.V : C'est la grande question. Il y a très peu de leviers de contre-pouvoir pour challenger la FIFA sur ces questions-là. Il suffit de prendre l'exemple de Gianni Infantino, actuel président de la FIFA : par ses précédentes déclarations, on se rend compte que la FIFA n'a pas du tout ces considérations-là en tête. A titre d'exemple, on peut même observer une certaine collusion entre les pays organisateurs et la FIFA : on l'avait vu avec Infantino et Poutine en Russie, là on voit qu'Infantino séjourne depuis le début d'année à Doha avec sa famille, capitale du Qatar. Ça, c'est du jamais-vu. Quant à ses déclarations, c'est un peu la même chose. Son discours est de dire que, grâce à l'organisation de la Coupe du monde, les travailleurs migrants vont s'émanciper par le travail. Soit il n'a pas vu les reportages sur les conditions de travail des migrants, loin des strasses et de paillettes de Doha. Soit il ne prend juste pas cette question-là en compte.
Donc cela aurait été à la FIFA de faire bouger les choses ?
K.V : La FIFA a essayé de bouger, un peu, sur le fonds d'indemnisation vis-à-vis des travailleurs migrants. Mais là encore : ils ont dit qu'ils y réfléchissaient, ils ont donné leur position au Qatar et le Qatar n'en a pas voulu. Derrière, la FIFA n'a pas forcément poussé plus, pour garder cette position "apolitique". Le dernier exemple, c'est en mai dernier. Gianni Infantino a présenté une green card, un carton vert, pour promouvoir l'organisation d'événements footballistiques avec un bilan carbone neutre. La communication faite autour du Mondial au Qatar est de dire que cette Coupe du monde a bien un bilan carbone neutre mais on a construit six stades, voire huit si on prend le temps long, pour ce Mondial dans un pays qui ne compte que 3 millions d'habitants et qui va devoir accueillir 1,5 million de supporters, dont certains viendront là par un système de navettes en avion…
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Conteneurs éphémères, tente ou diamant : tour d'horizon des 8 stades du Mondial

Pourquoi les fédérations internationales ne prennent pas davantage position, à l'image d'une FFF trop discrète sur le sujet ?
K.V : Il y a un lien de subordination entre ces fédérations et la FIFA, surtout financier. Donc la FIFA a presque tous les pouvoirs. On pourrait se dire que le CIO pourrait tenter de changer la donne de son côté mais il est finalement soumis aux mêmes contraintes de la FIFA, avec un volet apolitique du sport. Ils doivent aussi faire face à un retrait des pays traditionnels pour organiser ces évènements car ils coûtent trop chers et qu'ils entraînent trop de pressions sociales et populaires. Donc ils doivent se tourner vers des pays qui n'ont pas ces considérations-là, qui n'ont pas peur de sortir la planche à billets.
Les Etats peuvent-ils mettre leur nez dans ces décisions ?
K.V : Ce serait le dernier levier, avec des Etats qui viendraient interférer dans les affaires de la FIFA. Mais je ne vois pas leur intérêt de rentrer dans ces considérations-là sachant qu'ils ont d'autres leviers que le simple volet sportif. Si on prend l'exemple du Qatar : il n'y aura pas de boycott diplomatique parce que la plupart des pays ont des bonnes relations avec le Qatar. Avec la guerre en Ukraine et la crise énergétique, on peut même dire que le Qatar sera encore plus renforcé géopolitiquement au sortir de ce Mondial.
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Gianni Infantino et le Cheikh Tamim bin Hamad al-Thani

Crédit: Getty Images

Et les joueurs là-dedans ?
K.V : En fait, pour moi, c'est l'ultime levier, je l'évoque dans mon livre lors du dernier chapitre. Ce qu'on retient des événements sportifs au niveau politique, ce sont les gestes forts. Il suffit de reprendre l'exemple des JO de Mexico en 1968. Pour capter l'attention de la FIFA, des sponsors, des responsables politiques ou des supporters, il faut un geste fort des principaux acteurs du football. Mais il faut qu'ils aient un impact médiatique assez fort, comme Mbappé, Messi ou CR7. Pour l'instant, les seules prises de position fortes sur le sujet viennent de nations mineures, comme l'Australie ou le Danemark. La pression commence à augmenter avec les fédérations européennes, hormis celle de la France et de l'Espagne, qui ont fait un communiqué pour répondre à la FIFA qui leur demandait d'uniquement se concentrer sur le sportif. Mais le plus gros impact viendra forcément des joueurs. Après, si le Costa Rica fait une action, ça aurait fatalement beaucoup de moins de résonance que si Mbappé le fait…
Pour 2030, on annonce déjà une candidature commune de l'Egypte, la Grèce et surtout l'Arabie Saoudite avec cette dernière qui assumerait une grande partie des coûts d'organisation. Faut-il s'habituer à ça ?
K.V : Quand on a expliqué tout ça, qu'on rappelle que Gianni Infantino risque d'être le seul candidat à sa réélection, je vois peu de changements à l'avenir. On va aller vers des compétitions qui font de plus en plus d'argent, avec 48 pays qualifiés donc il faudra encore plus de stades, plus d'infrastructures pour accueillir les équipes et les supporters. On va arriver à des formats de compétitions fatalement coorganisés mais ça sera encore la question financière qui va primer. Les nations qui auront le moins de scrupules à mettre des milliards pour organiser ces compétitions, comme les pays du Golfe qui misent sur le sport pour laver leurs images, risquent de remporter ces compétitions. Donc une Coupe du monde en Arabie Saoudite ou en Chine, la question n'est pas de savoir si ça aura lieu mais plutôt quand…
Pour aller plus loin, "Mondial : Football Club Geopolitics, 22 histoires insolites sur la Coupe du monde de football", par Kévin Veyssière, éditions Max Milo, préface de Romain Molina.
"Mondial : Football Club Geopolitics, 22 histoires insolites sur la Coupe du monde de football", par Kévin Veyssière, éditions Max Milo
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