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Entre espoir et crainte, la Bundesliga avance vers la reprise sur un fil

David Lortholary

Mis à jour 15/05/2020 à 20:22 GMT+2

BUNDESLIGA - Suivant un protocole extrêmement strict et précis, slalomant entre les écueils comme la mise en quarantaine d'une équipe entière, à Dresde, les décideurs de la Bundesliga et du football professionnel allemand ont opté pour une reprise le samedi 16 mai. Non sans les protestations d'une opposition forcément critique et d'une opinion publique très partagée.

Corentin Tolisso, Thiago Alcantara, Alvaro Odriozola et Lucas Hernandez au centre d'entraînement du Bayern Munich le 13 mai 2020

Crédit: Getty Images

Il fallait s'y attendre, et c'est l'exemple parfait d'une opinion divisée. La césure est nette entre les "pour" et les "contre", et seul un retour réussi ces prochaines semaines au quotidien du football pourra, peut-être, l'atténuer. Une (grosse) moitié des Allemands sont favorables à la reprise de la Bundesliga telle qu'elle a été préparée par ses dirigeants, une (petite) moitié, au sein de laquelle des politiques, des acteurs du corps médical et notamment des virologues, est contre. Un flagrant décalage avec le monde du sport de haut niveau, au sein duquel la grande majorité appelle un retour du jeu de ses vœux, tous sports confondus.
"Le ballon doit absolument rouler de nouveau !", s'exclame ainsi l'ancien champion du monde de natation Thomas Rupprath. "Poursuivre la saison, très clairement, oui !", lui fait écho dans les colonnes de l'hebdomadaire Sport Bild Steffen Baumgart, le très respectable et très impliqué entraîneur de Paderborn. Il en va notamment de l'avenir immédiat d'environ 50 000 personnes dont l'activité professionnelle est liée au football de l'élite en Allemagne.
Mais cet impact direct s'accompagne, estime le technicien de 48 ans, d'un impact indirect : "Je suis convaincu que nous devons envoyer un signal", affirme-t-il. "Un signal que, malgré le coronavirus, la vie continue dans ce pays." Ce qu'un Lothar Matthäus a, quant à lui, traduit en termes thérapeutiques : "Le football fait du bien au pyschisme des gens." Leur offre donc, en des temps de fortes contraintes politiques, sociales, économiques et morales, une soupape de sécurité.

Subotic : "Les joueurs n'ont pas eu voix au chapitre"

Sauf que de la théorie à la pratique, il y a souvent un pas et, ici, il est gigantesque. "Le sujet est complexe et toujours source de controverses, non seulement dans la société, mais aussi dans le secteur du football. Certains joueurs se sentent comme des marionnettes", expose le dernier podcast en date du très influent quotidien munichois Süddeutsche Zeitung. Tel Neven Subotic : "Les joueurs n'ont pas eu voix au chapitre dans les décisions", a constaté le taulier de l'Union Berlin.
À l'échelle des clubs, c'est surtout le Werder Brême, qui a subi plus de contraintes que les autres dans la reprise de l'entraînement collectif, qui s'est prononcé en défaveur d'une reprise à la mi-mai, trop précoce selon lui. En vain : les contraintes diverses selon les Länder, et leur assouplissement progressif non harmonisé, sont de la responsabilité du politique, région par région. Le plan de reprise présenté par la ligue est "une construction fragile", résume ainsi le journaliste Claudio Catuogno.
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Neven Subotic (Union Berlin)

Crédit: Getty Images

La DFL (Deutsche Fussball Liga), qui a créé avec la fédération (DFB) une “Corona Task Force” pour l'occasion, n'en a pas moins convaincu les politiques de son concept. Ceux-ci ont donné leur feu vert car la précision du projet de quarante-et-une pages a impressionné, s'appuyant sur une segmentation stricte - 300 personnes au maximum par match, réparties en trois zones distinctes de 100 personnes maximum allant de la tribune de presse au terrain en passant par les coursives, trois photographes et quatre ramasseurs de balle seulement par match - et surtout une expertise médicale et hygiénique responsable, même si la démarche est empirique et peut donc être améliorée, par petites touches, jusqu'à la reprise des matches ce 16 mai.
Le protocole, logiquement, cherche à empêcher la pénétration du virus dans l'enceinte des stades et minimiser les risques de contamination, y compris sur le terrain : test avant et après la rencontre, membres des staffs masqués, distanciation sur les bancs de touche, pas de contact entre les acteurs du match en dehors des faits normaux de jeu... La ténacité de Christian Seifert, le boss de la ligue, qui incarne cet ambitieux projet, a été de ce point de vue largement saluée. Avec de solides arguments pour balayer le reproche selon lequel le football serait un cas à part et bénéficierait d'un traitement de faveur au sein de la société.
Le nombre de tests nécessaires pour la bonne marche de la compétition, les deux divisions confondues et pour les neuf journées restantes, est estimé à environ 20 000. Autant de tests qui feraient défaut au personnel hospitalier par ailleurs ? Que nenni : rien que dans la troisième semaine d'avril, 380 000 tests supplémentaires étaient en mesure d'être menés dans le pays.

Kalou dans la bergerie

L'enfer, dit-on pourtant, est pavé de bonnes intentions. Fin avril, une vidéo virale de l'attaquant ivoirien du Hertha Berlin Salomon Kalou a attisé les braises d'un débat frénétique. L'intrépide trentenaire, coutumier d'attitudes rock'n roll que l'on peut légitimement, d'ordinaire, considérer comme rafraîchissantes, s'est ici fait immédiatement et sévèrement rappeler à l'ordre. Le petit film montre notamment notre protagoniste, dans le vestiaire, serrer la main de son compère de l'attaque Vedad Ibisevic. Une communication susceptible de ruiner, de quelques plans furtifs, tous les efforts liés aux consignes sanitaires consentis depuis deux mois à peu près partout dans le monde. Les plus farouchement opposés à une reprise de l'activité ont évidemment bondi sur l'occasion pour qualifier de chimère toute esquisse d'un football protégé du virus.
À la réflexion, la vidéo a aussi eu un aspect positif, celui de simplement montrer, à temps, la réalité concrète d'un vestiaire. Le projet de la DFL demande ainsi aux joueurs de respecter un protocole strict de distanciation également dans leur entourage, et jusqu'au sein de leur foyer, afin de ne pas compromettre la bonne marche de la fin de l'exercice 2019-2020. "Évidemment que nous devons tous faire attention à ce que nous faisons", acquiesce Steffen Baumgart. "Mais il faut aussi avancer". Quitte à réquisitionner tout l'étage d'un hôtel, voire l'hôtel entier, avec là aussi des mesures drastiques comme la suppression du service d'étage, pour la mise au vert des équipes.
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Salomon Kalou (Hertha BSC)

Crédit: Getty Images

Pour autant, les questions demeurent légion et les débats âpres. Que se passera-t-il si un test positif est constaté dans le cadre d'un match ? Jusqu'à combien d'équipes en quarantaine peut-on aller avant de mettre en péril la tenue de la compétition - soit 82 matches pour la seule première division - jusqu'à son terme ? Les deux cas positifs au Dynamo Dresde et la mise en quarantaine pour deux semaines de l'équipe entière, samedi dernier, ont montré à quel point il sera difficile de préserver une équité dans l'épreuve. Les deux premiers matches du club de Saxe sont d'ores et déjà reportés, mais qu'adviendra-t-il ensuite ? Il est inconcevable que les professionnels de l'effectif passent directement du vélo d'appartement à un match sans intermédiaire. Et combien de temps la Bundesliga pourra-t-elle se dérouler suivant un calendrier éparpillé façon puzzle ? Pour le chef de la ligue, il y a des limites à ces expérimentations, dont il est responsable, mais il ne les a, jusqu'ici, pas définies.
Pour éviter un imbroglio juridique tel que celui qui déchire actuellement les voisins néerlandais, disputer la saison prochaine un championnat à dix-neuf équipes au lieu de dix-huit, dans le cas par exemple où Dresde ne pourrait pas jouer d'ici là, fait partie des options. Mais il s'agit là de la deuxième division, et les contours de cette solution seraient indubitablement plus tranchants à l'étage au-dessus, quand par exemple une qualification à la lucrative Ligue des champions est en jeu...
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Un tiers des clubs menacé de banqueroute

Dans cette construction sont d'autre part mis de côté – pour des raisons évidentes – les supporters. Ces derniers accepteront-ils des conditions de jeu, notamment le huis clos systématique, aussi contraignantes à moyen terme ? Il leur faut consentir, au moins un temps, l'abandon de tout romantisme et l'engouement essentiel qu'il peut y avoir dans et autour d'un stade, tout particulièrement en Bundesliga, qui est à l'amateur de sport en Allemagne ce que le Tour de France est à son homologue français : une priorité, sinon une religion. Avec un certain Dortmund-Schalke, dès ce samedi, devant 81 000 places vides. "Les matches sans spectateurs ne sont pas une perspective qui nous réjouit", concède le directeur opérationnel du FC Cologne Alexander Wehrle dans une chronique du bi-hebdomadaire kicker, "mais ils permettent de planifier les prochains mois avec une certaine sécurité financière".
Le football est un jeu, universel, essentiel, tandis que le football professionnel, le championnat, la ligue, sont des produits, des entreprises, un business. Dans ce cadre, un gros tiers des 36 clubs de Bundesliga, trop dépendants des droits télévisés, pour ne pas dire en perfusion à ces derniers, est directement menacé de faillite. En particulier Schalke 04. Logique, dès lors, qu'à l'exception du Werder Brême, les autres se soient prononcés en faveur de la reprise de l'activité mi-mai. "Sur la durée, les clubs de football ne peuvent exister que s'ils offrent du football", synthétise Alexander Wehrle d'une implacable lapalissade.
FC Schalke 04 - Borussia Dortmund
Pour cela, le maintien en forme des joueurs n'aura pas été une mince affaire mais, si l'on en croit les entraîneurs et leurs préparateurs physiques, pas un défi insurmontable non plus. "Pour moi, se préparer à la reprise n'est pas compliqué", témoigne Steffen Baumgart. "Nous avions des directives précises à suivre. Travailler en petits groupes, renoncer pendant un temps aux duels, travailler spécifiquement, poste par poste, chercher à s'améliorer individuellement sur des points précis... Ce n'est pas le football au quotidien que nous connaissons, mais nous essayons de tirer le meilleur de la situation." L'observateur de la Bundesliga aura ainsi vu, au cours des deux derniers mois, tel de ses joueurs favoris se faire livrer du matériel à la maison, tel autre travailler sa forme avec son enfant en bas âge sur le dos, tel autre encore répéter ses gammes dans son jardin. Le rythme soutenu infligé aux joueurs par le calendrier mis en place, cependant, ouvre une inconnue sur leur capacité à encaisser en n'ayant pas joué en compétition depuis début mars.

"Accentuer l'effort sur la formation"

Au-delà de ces considérations on ne peut plus concrètes, qui ne manqueront pas d'occuper les discussions des prochaines journées sur le thème de l'équité de la compétition, les instances du football allemand se projettent déjà dans l'après. "Le directoire de la DFL est d'accord sur ce point : on ne peut pas se permettre de continuer sur le modèle actuel sans réfléchir", assène Alexander Wehrle. "En Allemagne, par exemple, nous devrions accentuer notre effort sur la formation". D'ici là, et les responsables du football professionnel allemand en sont conscients, il faudra gérer les éventuelles tensions susceptibles de surgir, à l'abord des toutes dernières journées du championnat, autour des matches à gros enjeu – notamment ceux pouvant impliquer une relégation. L'éternelle incertitude du sport.
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