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Eric Bauthéac, l'idylle australienne

Jérémy Satis

Mis à jour 31/01/2019 à 14:27 GMT+1

FOOTBALL D'AILLEURS - Un an après sa signature surprise à Brisbane, dans le championnat australien, Eric Bauthéac a tourné la page du loft lillois où il avait été placé par Marcelo Bielsa. Le Français s'est parfaitement fondu dans un nouveau pays qui lui ressemble beaucoup. On l'a retrouvé juste avant les fêtes, plus Australien que jamais, pour une plongée dans son quotidien.

Eric Bauthéac avec le maillot du Brisbane Roar FC

Crédit: Getty Images

La plaie est encore béante, le nez cabossé et la mine défaite. Sous une bruine persistante qui ne semble pas impacter les sourires du staff, qui apprendra pourtant son limogeage une semaine plus tard, Eric Bauthéac vient de quitter l'entraînement, fracassant furieusement le premier ballon qui eut le malheur de se trouver sur son chemin, après avoir reçu de l'un de ses coéquipiers un violent coup sur le nez. Le diagnostic physique est léger, mais le ras le bol est grand.
Il faut dire que 72 heures plut tôt, déjà, lors de la défaite de son équipe face au Melbourne Victory (2-4) de Keisuke Honda, à la mi-décembre, l'ancien Niçois s'était fait découper d'entrée, et son agresseur s'en était sorti miraculeusement sans la moindre sanction. Excédé, le Français avait alors décidé de se faire justice lui-même en cisaillant son ancien coéquipier Corey Brown, et en giflant Ola Toivonen, une autre vieille connaissance de la Ligue 1, venu le prendre à partie dans le prolongement de l'action.
Résultat ? Deux cartons jaunes et un retour prématuré aux vestiaires après 21 minutes de jeu. "J'ai pété un câble parce que je me fais attraper toutes les semaines. Les tacles restent trop souvent impunis. Un jour, ça va mal tourner et on va me casser la jambe", s'inquiète-t-il. Trois jours après la rencontre, son short blanc et ses chaussettes courtes laissent toujours entrevoir une belle entaille croûtée d'une petite dizaine de centimètres sur la cheville.
Le niveau ? Entre la Ligue 1 et la Ligue 2
Le Français doit faire face à un nouveau statut : il a été désigné "marquee player" de son équipe l'été dernier, ce qui signifie que son salaire échappe aux règles du salary cap. De quoi créer des jalousies dans le vestiaire ? "Pas du tout. En France, scruter les salaires des coéquipiers, comparer et avoir des états d'âme est quelque chose de très fréquent. Ici pas du tout. Au contraire. Les joueurs font tout pour que tu te sentes à l'aise. Ils te voient comme l'élément susceptible de faire basculer les matches". Mais de fait, il est devenu l'homme à abattre pour ses adversaires. "C'est normal, il faut assumer cela..."
"Au classement, on n'est pas très bien, mais on a une belle équipe et je suis positif pour la suite !". Le Brisbane Roar est embourbé à la 9e place (sur 10) en ayant gagné un seul de ses seize derniers matches. La ligue étant fermée et le public très bon enfant, le Français est loin des atmosphères à pression et son club restera en D1. Quoi qu'il arrive. "C'est un football très physique. Il y a une semaine (le 9 décembre), face à Newcastle, j'ai pris un taquet dès la 5e minute et derrière j'ai été diminué pendant une heure... c'est souvent comme ça", regrette-t-il. "Il y a énormément de fautes, ça me permet de durcir mon jeu et d'apprendre à encaisser".
Sans surprise, le championnat offre un bagage technique et tactique moins important qu'en France par exemple, mais le spectacle est au rendez-vous grâce aux nombreux espaces causés par les défaillances tactiques. Et grâce, aussi, à la volonté de toutes les équipes d'attaquer en permanence, quitte à prendre des risques parfois inconsidérés. "En termes de niveau pur, je situerais la A-League entre la Ligue 1 et la Ligue 2", juge Bauthéac, qui apprécie les pelouses et les stades, souvent magnifiques.
"A Brisbane, on a une moyenne de 10 000 spectateurs par match, mais dans les grandes villes du pays, on peut jouer devant 25 ou 30 000 personnes". Certains stades sont partagés avec le footy (foot australien) ou le cricket pour le Sydney Cricket Ground voire même le rugby pour l'AAMI Park de Melbourne. "Cela nous permet de jouer dans des enceintes de 50 000 places remplies à 50%", savoure Bauthéac. Sur le terrain, l'ancien Niçois a le jeu pour briller, en dépit de son petit gabarit.
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Eric Bauthéac

Crédit: Getty Images

Aligné sur un côté, mais adepte d'une position souvent reculée, en chef d'orchestre de l'équipe, il distille centre sur centre avec sa patte gauche, notamment à destination d'Adam Taggart (10 buts), l'avant-centre et meilleur buteur de Brisbane. "Je devrais avoir au moins cinq passes décisives de plus, sourit-il. Mais on vendange beaucoup devant". C'est même un euphémisme, quand on sait que "Bauthé" est l'un des six joueurs qui, à la mi-décembre, avait créé le plus d'occasions en A-League. Le Français n'a signé qu'un but et trois passes décisives depuis le début de l'exercice. Toutefois, son style de jeu et son tempérament plaisent aux supporters, qui l'ont élu trois fois de suite meilleur joueur du club en octobre, novembre et décembre.
Victime préférentielle des défenseurs adverses ou pas, il ne regrette pas son choix d'avoir rejoint le pays-continent. A Brisbane, la vie est belle. "C'était avant tout un choix familial, justifie-t-il. Mes enfants sont en sécurité ici. Le cadre est extraordinaire. Tout est vraiment simple. C'est impossible de ne pas se plaire dans une ville comme celle-là". L'océan est à bonne température : bien trop froid pour les méduses mortelles (!) et les crocodiles énervés du nord du pays mais bien plus chaud qu'à Sydney et Melbourne, où le temps est plus versatile. Byron Bay, le temple du surf, n'est qu'à 2 heures de route.
Gold Coast, le petit Miami australien, à 1 heure. Le Français s'y rend d'ailleurs régulièrement pour profiter de week-ends en famille. "La météo est extraordinaire ici, grâce au climat subtropical. C'est encore mieux que sur la Côte d'Azur. Il fait 20-25°C en hiver et on n'avait pas vu la pluie depuis plus de six mois", lâche l'ancien Niçois, conquis. Visiblement, nous avons mal choisi nos jours. "Il pleut quatre jours par an ici. C'est dommage d'être venu à ce moment-là !", chambre-t-il.
Les Australiens sont tellement tranquilles qu'ils font leurs courses pieds nus
Il est midi et l'entraînement, très léger, n'a duré qu'une heure. Il s'est terminé sur un exercice analytique, basé sur des duels en un-contre-un après une longue phase globale de conservation du ballon sous pression... registre dans lequel l'équipe a péché face au Victory. C'est l'heure de quitter le Logan Metro Sports Complex, en périphérie sud-est de la ville dans la localité d'Heritage Park. Ce lundi, Eric Bauthéac n'ira pas déjeuner avec ses coéquipiers, comme il en a quelques fois l'habitude. Il va plutôt retrouver Adrien, un ami français rencontré dès son arrivée, par le biais d'une connaissance commune.
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Eric Bautheac

Crédit: Eurosport

Depuis plusieurs mois, ils pratiquent le golf ensemble et se retrouvent une fois par semaine pour taper la petite balle blanche sur la colline de Victoria Park, au cœur d'un parcours magnifique niché sur les hauteurs de la ville, avec une vue plongeante sur le CBD (quartier d'affaires). Avant de rejoindre le fairway, les deux amis s'attablent au restaurant du golf, pour déguster une pizza. Le prix ? 18 dollars (12 euros). Pas d'extravagance. Ce serait mal connaître le bonhomme. Au moment de commander, l'ailier de Brisbane fait étalage de son aisance en Anglais. "Ça change de tes premiers mois ici où tu ne comprenais rien. Qu'est-ce qu'on s'est moqué de toi...", se marre Adrien, qui regretterait presque les fous rires engendrés par les débuts hésitants de son ami.
Le Français est désormais pleinement intégré. Il faut dire que sa personnalité colle parfaitement à la ville principale du Queensland, capitale de la coolitude australienne. "Brisbane est une ville où tout le monde est vraiment très relax. Tu peux profiter de ta vie très simplement, encore plus que dans les autres grandes villes du pays. Eric s'y retrouve parfaitement car il aime les choses simples", explique Adrien, présent en Australie depuis deux ans et demi. Le footballeur confirme : "J'adore la manière de vivre des gens ici. Ils ne se posent pas de question. Ils se contentent de peu. Certains sont tellement tranquilles qu'ils font leurs courses pieds nus. Pieds nus ! Comme si c'était normal (rires) ! Ils accordent très peu d'importance au paraître et à la manière dont ils s'habillent en journée".
Ici, le Français est plutôt tranquille, le football n'ayant pas du tout la même caisse de résonance qu'en Europe. "Il arrive qu'on me reconnaisse, mais beaucoup moins qu'en France", précise ce papa-poule de deux garçons de 4 et 7 ans. Les pizzas ont mis du temps à arriver et le repas a duré une heure, sans que personne ne vienne lui demander la moindre photo. "En fait, ce sont surtout les Français, dont la communauté est importante en Australie, qui le reconnaissent", explique son pote.
"Adri, il est 13h58, il nous reste deux minutes pour aller sur le parcours !", coupe le footballeur. Sport ultra-populaire chez les footballeurs en France, notamment chez ceux qui ont raccroché les crampons, le golf n'est étrangement entré dans sa vie que récemment, en Australie. C'est avec des coéquipiers qu'il a lâché son premier swing, à Brisbane. Jack Hingert, latéral droit de Brisbane et proche du Français dans le vestiaire, était là et s'en souvient très bien : "Au début il n'était vraiment pas bon, s'esclaffe-t-il, toujours prêt à chambrer. Honnêtement, c'était un peu embarrassant de le voir jouer (il se marre, encore). Avec les gars de l'équipe, on l'a pas mal chambré, mais il est plein d'autodérision. On aime se taquiner entre nous, et Eric est très bon à ce petit jeu là d'ailleurs. Après, c'est un vrai compétiteur. Il a acheté son matériel et désormais il s'entraîne toutes les semaines".

Vegedream dans le vestiaire

"C'est devenu un Australien à part entière", explique même Jack. Et quand on demande au latéral droit de Brisbane ce que le "Frenchie" doit encore faire pour devenir pleinement un "Aussie", il n'hésite pas une seule seconde : "Changer de petit dej' ! En mise au vert ou à l'hôtel, il ne peut pas s'empêcher de prendre un croissant et un chocolat chaud, pendant qu'on mange salé. Sauf que c'est LE petit déjeuner d'enfant par excellence ici. Du coup, on ne se gêne pas pour le lui rappeler". Mais il y a pire affront encore. Les Australiens ont l'habitude de boire le café avant de passer à table, et non après, comme en Europe. "Ça le rend fou quand on fait ça, raconte Jack. Il fait de la résistance et continue de le boire après le repas, comme en France. Il ne changera jamais là-dessus, mais on continuera de lui proposer tous les jours parce que ça nous fait bien rire".
De son côté, Eric Bauthéac tente de transmettre un peu de sa culture, lui aussi : "Il m'a fait découvrir pas mal de musique française, notamment du rap" témoigne Jack Hingert. Après la Coupe du monde, il mettait souvent la chanson de Vegedream ("Ramenez la coupe à la maison") dans le vestiaire". Le lien avec la France n'a ainsi jamais été rompu. De là à envisager un retour en Ligue 1 ? "Je n'en sais rien. Je suis en fin de contrat à la fin de la saison et j'ai des contacts plus ou moins réguliers avec certains clubs français. J'ai joué dix-sept ans en France, est-ce que je n'ai pas fait le tour de la question ? Je n'en sais rien, je reste à l'écoute. J'adore ma vie ici, je suis attaché au club. Mais si je suis amené à partir, ce ne sera que pour une nouvelle aventure, pas dans la démarche de quitter l'Australie pour la quitter". En attendant, le Français de 31 ans n'hésite pas à jouer les VRP de luxe auprès de certains joueurs français, qui l'appellent pour le sonder sur le championnat et sur la vie ici. Signe que le Français aura beaucoup de mal à quitter ce qu'il n'hésite désormais plus à appeler son "pays d'adoption".
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