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Il y a vingt ans, les Bleus gagnaient l'Euro, 1998 - 2000 : Naissance d'une "machine de guerre"

Maxime Dupuis

Mis à jour 30/06/2020 à 11:42 GMT+2

Le 2 juillet 2000, l'équipe de France remportait l'Euro, au terme d'une finale d'exception et d'un tournoi abouti comme peu d'autres dans l'histoire. Deux ans après le triomphe du 12 juillet 1998, les Bleus sont allés encore plus haut et ont marqué leur ère, au-delà de leur palmarès. Voici le chapitre 1, sur la construction de cette équipe pas comme les autres.

Premier chapitre - La symphonie bleue

Crédit: Eurosport

Cette histoire commence par une victoire. Pas n'importe laquelle. Mais pas celle que vous imaginez. Si elle revêt un caractère unique, parce qu'inédite, elle n’est pas datée du 12 juillet 1998 et ne porte pas le sceau de l'éternité. Pour autant, avec le triomphe du Stade de France, elle partage celui de l'excellence.
Nous sommes le 10 février 1999 et, si l'on sait depuis le doux été 1998 que plus rien ne sera comme avant parce que le football français est entré dans une nouvelle ère, cette soirée d'hiver va transformer le visage de ces Bleus champions du monde, presque naturellement. Parce que le talent ne demande pas de permission. Il s'impose.
Ce 10 février 1999 donc, ce talent porte le visage d'un jeune attaquant nommé Nicolas Anelka. Pas encore 20 ans, resté au pas de la porte avant le Mondial 1998 avec cinq autres malheureux moins talentueux que lui, le joueur d'Arsenal ne s'en est pas offusqué le moins du monde et a poursuivi sa route, comme si de rien n'était. En ce début d'année, il est convié à Wembley pour une soirée de gala, avec les champions du monde.

Le centre de gravité s’est déplacé

Lui, le gamin qui fait vibrer Highbury va taper un immense coup au cœur de l’honorable enceinte. Wembley, il connaît déjà pour y avoir joué à cinq reprises. Il y a déjà marqué, d'ailleurs, avec Arsenal, en finale de Cup. Il va remettre le couvert. Deux fois. Deux fois et demi, serait-on tenté de dire. Parce que son premier coup d'éclat, ce pétard sur la barre, avait bel et bien franchi la ligne de Nigel Martyn. Partie remise.
Quelques minutes plus tard, Anelka va définitivement martyriser ses copains de la défense d'Arsenal, qui constituent les trois quarts de l'arrière-garde anglaise. Un doublé pour une page d'histoire : la France ne s’était jamais imposée sur le sol anglais. A quelques encablures de la fin d'un siècle qui a fini par être le leur, les Bleus ont, enfin, fait de l’île un territoire conquis.
Ajoutez à cela que, et c’est sans doute le plus important à défaut d’être le plus symbolique, l’équipe de France, qui roulait déjà sur l'or, a dégoté “son” Ronaldo, dixit Didier Deschamps. L’avenir et les accomplissements d’Anelka sous le maillot bleu se chargeront de tempérer la prophétie du futur sélectionneur de l’équipe de France. Il n’empêche, il s’est passé quelque chose à Wembley ce soir-là : le centre de gravité s'est déplacé. Irrésistiblement attirés vers l'avant, les Bleus ne pourront plus faire marche arrière.
Février 1999 : Zinédine Zidane a compris : à Wembley, il pointe du doigt le maillot du nouveau buteur des Bleus, Nicolas Anelka, qui vient de marquer un doublé face à l'Angleterre
Un autre événement, passé inaperçu, aura des répercussions XXL sur le football français : Sylvain Wiltord honore sa première cape sous le maillot bleu et, en pleine bourre avec les futurs champions de France bordelais, incarne lui aussi la richesse du réservoir dont disposent les Tricolores.
La France est une équipe qui a gagné la Coupe du monde avec un avant-centre à zéro but. Elle se retrouve quelques mois plus tard avec une pelletée d'attaquants à faire pâlir la planète entière et donner des sueurs froides aux défenses du reste du monde : si David Trezeguet et Thierry Henry ont un peu de mal à digérer le Mondial - le second ne jouera d'ailleurs pas une fois avec les Bleus en 1999 - et repassent même par la case Espoirs au moment où Nicolas Anelka prend son envol, le temps parle pour eux et les deux ex-compères monégasques reviendront en temps et en heure pour muscler une armada d'exception, dont Christophe Dugarry fait également partie.
Cette équipe est là pour casser les couilles de pas mal d'adversaires…
"1998 avait des caractéristiques plus défensives. 2000, des caractéristiques plus offensives. Ça s’est fait naturellement car il y avait plus de potentiel offensif, nous confie Bixente Lizarazu, acteur majeur des deux sacres. Il s’était développé car nous avions plus de joueurs et de maturité chez certains jeunes : Trezeguet, Henry, Anelka. Sylvain Wiltord nous a aussi rejoints. Ajoutez à cela que d’autres joueurs avaient pris plus d'épaisseur, comme Robert Pires. Et, évidemment, nous avions toujours Zizou et Youri en chefs d'orchestre. On s’est retrouvé avec un potentiel offensif plus développé".
Un potentiel offensif démultiplié et une confiance en soi décuplée. Le 12 juillet 1998 y est évidemment pour beaucoup. Il fait tout, même. Parce que la bande à Aimé Jacquet, qu'on vouait aux gémonies en cas d'échec à domicile, s'est hissée au sommet du monde et, instantanément, est devenue une autre équipe. Elle dégage une confiance exceptionnelle, sans les excès qui viendront border son chemin et ses sorties successives dès la deuxième moitié de l'année 2001. Les Bleus ne prennent pas encore pour les Beatles et ne font pas encore rimer confiance et suffisance.
Zizou a ses fans
Emmanuel Petit, cadre de ces Bleus dont l'Euro sera en partie gâché par des crises de paludisme, était au premier rang. Lui aussi a senti que cette équipe s'était transformée et avait encore plus à donner : "Gagner une Coupe du monde, ça pose le cadre. Mais en même temps, on était une génération qui n'avait pas atteint sa plénitude. Ça laissait présager de belles choses, d'autant qu'on était dans les meilleurs clubs européens et qu'on était performants pour la plupart. A ce moment précis, tu peux te dire que cette équipe est là pour casser les couilles de pas mal d'adversaires…"
Certes, les qualifications pour l'Euro ne sont pas un long fleuve tranquille. Souvenez-vous d'Andorre. Le traquenard. L'expulsion de Dugarry. Le penalty de Leboeuf. Rappelez-vous, aussi, que le couperet passe près lors de la dernière journée quand, au coup d'envoi d’un France - Islande au couteau, comme à une grosse demi-heure de la fin, la France est virtuellement troisième de son groupe de qualification et, donc, éliminée. Inimaginable. Mais pourtant bien réel. David Trezeguet, déjà, la tirera d'un mauvais pas.

Le chasseur chassé

Se qualifier dans la douleur, c'est un peu une habitude du foot français avant une compétition réussie. Et les Tricolores débarquent tout de même aux Pays-Bas et en Belgique - co-organisateurs de l'Euro - avec une étiquette indiscutable de favoris. Parce qu'ils ont déjà gagné. Et avoir gagné, ça vous change des hommes et une équipe. Cela modifie, aussi, le regard que l'on pose sur vous. Et ça, Bixente Lizarazu (97 sélections) l'a senti à peine ses galons de champions du monde étrennés.
"Tant que tu n’as pas gagné, tu ne sais pas si tu as la bonne méthode et le talent suffisant. Quand tu as gagné, tu sais que tu es dans le vrai, il n'y a aucune équipe qui ne t’impressionne, nous explique l’ancien latéral gauche du Bayern Munich. Tu abordes les matches avec la confiance d’une personne qui sait que si elle met les ingrédients, elle peut de nouveau gagner". Le regard extérieur change également : "Les adversaires te regardent désormais avec méfiance et admiration. La France n’est plus une équipe lambda, c’est une équipe championne du monde."
Les Bleus l'ont bien compris durant les éliminatoires du Championnat d'Europe des Nations, dernier rendez-vous international du XXe siècle. Le moindre relâchement les met en danger. Parce qu'en face, l'idée de taper les champions du monde décuple les forces autant qu'elle peut les annihiler.
La France se retrouve désormais dans la peau du chassé, alors qu’elle court derrière un doublé inédit : devenir champion d'Europe après avoir conquis le monde est un pari que personne n'a accompli. La RFA avait réussi le doublé inverse en 1972, remporté le Championnat d'Europe organisé dans le plat pays, puis le doublé sur ses terres.
Les Bleus arrivent à l’Euro avec 18 des 22 champions du monde. Seuls les Bordelais Ulrich Ramé, Johan Micoud et Sylvain Wiltord, ainsi que Nicolas Anelka ont intégré le groupe. Lionel Charbonnier, Alain Boghossian, Bernard Diomède et Stéphane Guivarc’h n’en sont pas, pour des raisons diverses.
Roger Lemerre en 2000

"Qu'est-ce que vous voulez leur apprendre ?"

Aimé Jacquet, aussi, a rendu son tablier, mais l'homme qui a repris l'ouvrage est un fidèle, Roger Lemerre. Intelligemment souvent, énigmatiquement le reste du temps, l'ancien adjoint accompagne une équipe qui tient sur ses deux jambes. "Ne rien casser", comme il le confiera après la finale, était son but premier. C’était une évidence. Encore fallait-il y parvenir.
A l'Euro, qui changera son destin d'homme puisqu'il y rencontrera sa femme, Lemerre accomplira son destin de technicien également. "La France a cette chance de posséder de grands joueurs devant : Anelka, Henry, Trezeguet, Wiltord, Dugarry, Zidane. Il aurait été dommage de se priver de cette richesse. Cette victoire est celle du football d'attaque", se réjouira-t-il.
Pour partir à la conquête du Vieux Continent, Lemerre a reconstruit un staff, dont René Girard fait partie intégrante. Le futur entraîneur des champions de France montpelliérains est rapidement subjugué par ce qu’il voit sur le terrain. Pendant les matches, mais aussi et surtout durant les séances d’entraînement. "J'arrive en 1998, après la Coupe du monde. Être champion du monde, ça n'arrive pas tous les jours. En 1998, l'équipe n'avait pas encore la plénitude totale dans son football, nous explique-t-il. En 2000 en revanche, c'était quelque chose d'assez exceptionnel. Les entraînements, c'était féérique. Je n'étais pas né de la dernière pluie, j’avais vu beaucoup d'équipes au cœur d’une carrière honorable de joueur… Mais je n'avais jamais vu une équipe dégager une telle maturité et développer un foot aussi abouti. On laissait très peu de place à l'adversaire. On sentait la confiance d'un groupe qui, au fil du temps, s'affirmait toujours un peu plus”.
Ce qui deviendra un défaut du côté de la Corée du Sud en 2002 est encore une force en 2000. “Ces joueurs-là t'emmènent où ils veulent et dans ce qu'ils ont envie de faire. Surtout quand ils ont ce tempérament. En face de moi, j'avais une machine de guerre, savoure-t-il encore aujourd'hui. Regardez la défense centrale : Blanc - Desailly, c’est monstrueux. Qu'est-ce que vous voulez leur apprendre ? A tous les postes, on avait ce qu’il se faisait de mieux au monde”. Devant, c’est une nouveauté. Et Roger Lemerre va en profiter.
Le sélectionneur des Bleus, qui ne s’adresse désormais plus aux médias, a aimé ce qu'il a vu lors du tournoi Hassan-II avec la paire Henry - Anelka, lors du dernier match de préparation largement remporté face au Maroc (1-5). Il aligne les deux hommes face au Danemark, lors de leur entrée en lice à l'Euro. Ouverture du score de Laurent Blanc après le quart d'heure de jeu. Henry, au prix d'une cavalcade effrénée, double la mise après 64 minutes. Wiltord, enfin, viendra clore la marque dans le temps additionnel. Déjà. 3-0. Encore.
Face aux vice-champions d'Europe tchèques, battus lors de leur entrée en lice, l'affaire est un plus compliquée. Lemerre a trouvé ses Bleus plus en verve avec trois récupérateurs en seconde période et, de surcroît, peut se permettre d'attendre. Il "sacrifie" donc Youri Djorkaeff. Façon de parler, parce qu'une fois entré en jeu, c'est le Snake qui fait la différence et offre la victoire aux Tricolores (2-1). 180 minutes de disputées, une place en quart. Les Pays-Bas et la défaite des coiffeurs (2-3) ? Pour du beurre. Une simple péripétie. Cette équipe de France là a le luxe de prendre ce qu'on lui met sur le chemin. Ce sera l’Espagne. Et le meilleur reste à venir.
Suite de "La symphonie bleue", mardi avec notre chapitre 2 : 2000, le vrai chef d'œuvre de Zidane
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