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Avant Italie - Espagne - Du purgatoire à San Unai : la révélation Simón

Elias Baillif

Mis à jour 06/07/2021 à 15:27 GMT+2

EURO 2020 - Dans cet Euro, tout avait mal commencé pour Unai Simón. Sorties peu convaincantes, débats sur son profil ou son niveau, le gardien de l'Athletic Bilbao ne semblait qu'être un problème de plus pour cette Espagne-là. Mais en l'espace de cinq jours, tout a drastiquement changé.

Unai Simón celebra una parada ante Suiza

Crédit: Getty Images

Dans les allées du stade de la Cartuja de Séville, rares sont les supporters à étrenner le maillot de leur pays. Exclusivement au nom des gloires passées, les flocages trahissent la difficulté des Espagnols à passer à autre chose. Là où une vague de maillots floqués Mbappé a déferlé sur l'Hexagone ces dernières années, de l'autre côté de la frontière, on préfère s'en tenir aux classiques. À ce jeu-là, Iniesta est une valeur sûre. Les tricots ornés de numéro 6 pullulent encore dans les travées des stades espagnols les jours où la Selección est de sortie. Dans le cœur des supporters, les joueurs historiques sont encore intouchables.
Ce n'est en tous cas pas ces nouveaux venus - inconnus au bataillon pour beaucoup - qui vont venir bouleverser la hiérarchie des sentiments. Et s'il y a bien un poste où les liens de loyauté demeurent encore intacts, c'est celui de gardien. Alors forcément, quand le canonisé Iker Casillas apparaît au balcon de Cartuja avant le match inaugural contre la Suède, la foule est gagnée par un étrange sentiment. D'un côté, un respect immense. Certains vont même jusqu'à se prosterner. De l'autre, une certaine impuissance. Depuis que San Iker a rangé ses gants, personne n'a pu reprendre le flambeau. Pire, jusqu'à une poignée de jours en arrière, le poste de gardien de la Roja semblait être devenu maudit.

La plus difficile, c'est toujours la deuxième saison

En tribune de presse, les commentateurs étaient tranquilles. L'Espagne avait installé son rythme, Busquets et Pedri faisaient déjà des merveilles tandis que leurs coéquipiers rataient systématiquement leur dernier geste face à la cage croate. R.A.S., l'Espagne était fidèle à elle-même. Et puis soudain, du haut de leur pupitre, les narrateurs de la Roja ont tous sans exception laissé échapper la même phrase agonique : "no me lo puedo creer", je n'arrive pas à y croire. Unai Simón venait de commettre la "cagada" de l'Euro. Faute de contrôler la passe en retrait de Pedri, il venait de la transformer en but contre son camp. Les pieds problématiques du rempart de l'Athletic étaient de retour.
Cette saison, Unai Simón est le détenteur d'un record peu flatteur : il est le joueur de Liga dont les erreurs ont débouché le plus de fois sur un but. Contre Valladolid en octobre, il ratait un contrôle et en voulant désespérément corriger sa maladresse, il fauchait l'attaquant adverse dans ses seize mètres. Contre le Celta, sa relance à la main terminait tout droit dans les pieds d'un adversaire et se transformait en avant-dernière passe de but. À Mestalla puis à San Mamés contre le Barça, il ratait deux sorties aériennes, immédiatement sanctionnées par l'adversaire. Révélation à son poste pour sa première saison complète en Liga, le jeune portier n'arrivait pas à tenir le même niveau de performances pour son deuxième exercice.
Au-delà de ses gaffes spectaculaires, il se ratait aussi dans toute une série de petites opérations finalement pas si anodines. À l'heure de passer à la caisse, la facture était salée : là où ses interventions avaient permis d'éviter de concéder 7,1 buts lors de la saison 2019/2020 (le deuxième plus haut total de buts évités pour un gardien de Liga cette saison-là), ces mêmes interventions ont cette fois coûté 4,3 buts à ses couleurs en 2020/2021 (le cinquième pire total de buts provoqués par un gardien cette saison en Liga). Comment un tel différentiel de performances était-il possible ?
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Pour justifier cette chute de niveau, une explication toute trouvée a été mise en avant : la malédiction de la sélection. Ces dernières années, David De Gea a vu sa carrière prendre une tournure inattendue dès son intronisation dans les cages de l'Espagne. Puis, ça a été au tour du malheureux Kepa et voilà qu'Unai Simón se joignait à cette liste d'infamie ! Fâché contre le monde entier au moment de quitter la Roja, Casillas avait peut-être jeté un sort aux poteaux. Joue-là comme Béla Guttmann.

La délicate portería de la sélection

Au risque de décevoir les mystiques, le cas d'Unai Simón ne s'explique pas par le sensationnel. Tout d'abord, il s'agirait de ne pas oublier son jeune âge (24 ans). Le remplaçant du remplaçant de Kepa ne compte que deux saisons pleines de première division dans les gants. Rien d'anormal à voir ses prestations varier. Aussi, l'Athletic Club a vécu des instants difficiles cette années : première saison sans Aduriz, crise institutionnelle, changement d'entraîneur, défaites en finale de Coupe, … Le club de Biscaye n'était pas l'entité dans laquelle il était le plus facile d'évoluer en Liga. Enfin, il y a une question de style de jeu. "Luis Enrique m'a enseigné à comprendre le jeu. À l'Athletic, jamais je n'avais joué au pied de façon fluide" confessait le gardien à Marca au début de l'Euro.
Depuis sa première convocation chez les A, en octobre dernier, Unai Simón est en train de redécouvrir son métier, comme David De Gea avant lui. Être gardien de la Roja, c'est devoir jouer avec les pieds - beaucoup - et passer la majorité du temps tout seul à gérer 3600m2, la défense ayant décidé de camper à hauteur de la ligne médiane. De toutes les équipes présentes à l'Euro, l'Espagne est la deuxième équipe qui force son cerbère à intervenir le plus de fois en dehors de sa surface par 90 minutes.
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Pedri mis en orbite par Busquets, ou le doux souvenir d'Iniesta

En club, le joueur formé à Lezama vit un quotidien bien différent : "ici je prends beaucoup de plaisir à toucher le ballon et jouer depuis derrière, mais avec Marcelino je prends du plaisir en comprenant la façon de défendre, en ordonnant la défense depuis l'arrière, en défendant en bloc" détaille-t-il. Autant le jeu au pied des gardiens s'est développé dans quantité de clubs espagnols, autant à l'Athletic Club, l'identité de jeu est non-négociable. À Unai Simón de s'adapter.
Durant le mois de juin, le natif de Vitoria a continué de se faire des frayeurs. Ses interventions au pied contre le Portugal ont fait trembler de nervosité le Wanda Metropolitano. Cet unique match de préparation achevé, la presse espagnole était à deux doigts de faire de Robert Sánchez son candidat numéro 1 au poste de titulaire (si vous ne savez pas qui est Robert Sánchez, ne vous inquiétez pas, les Espagnols ne le savent pas non plus. Il paraît qu'il joue à Brighton). Mais Lucho a coupé court aux spéculations, maintenant intacte sa confiance en Simón.
Ainsi, ça a été au tour du public de la Cartuja de sentir son cœur s'accélérer après certaines interventions du numéro 23. Contre la Suède, le gardien avait été par exemple victime d'une crise d'immobilisme au moment de sortir dans les pieds d'un rival (David De Gea a par exemple toujours été incapable de maîtriser le timing de ce genre de sorties en sélection, des sorties dont il a rarement dû se fendre à Manchester United).
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Et puis, il y a eu cette bourde historique de la 20e minute contre la Croatie. Entre cet incident et l'égalisation de Sarabia, les journalistes ont eu 18 minutes pour refaire le monde. Le jeu au pied de Simón, sa mauvaise saison, la différence entre l'Athletic et la sélection nationale... durant ces instants de solitude, ce triple reproche a tourné en boucle sur les ondes de toutes les radios. Unai Simón venait de toucher le fond. Heureusement, la remontée à la surface ne s'est pas fait pas attendre longtemps.

Le retour en grâce

En premier, il y a eu les mots de David De Gea au moment de regagner les vestiaires. "Ce n'est qu'un but. Sois sûr de toi" réussissaient à capter les caméras. "Ce que David m'a dit ça reste entre nous, c'est privé. Mais c'est vrai que ce qui est important, c'est comment il a dit les choses : avec beaucoup de d'émotion et avec l'envie que je revienne sur le terrain de la meilleure façon possible en seconde période. Que David dise ça, ça signifie beaucoup pour moi et ça a été important pour bien revenir sur le terrain" confiait le principal intéressé.
De retour sur le terrain, Unai Simón s'est racheté en faisant ce qu'il sait faire de mieux, en bon produit de l'école des gardiens basques : des arrêts sur sa ligne. Une parade à bout portant pour émpêcher le 2-2 et une autre en prolongations pour éviter un virement en tête des Croates. De vilain de l'histoire à héros, la destinée du portero venait de basculer en l'espace d'un match. "Le football est un jeu d'erreurs. Dans ma carrière, je n'ai jamais vu de joueurs qui ne commette pas d'erreurs. Dans le cas d'Unai Simón, je pense qu'aujourd'hui il a donné une leçon. Pas seulement pour ses collègues de profession, mais aussi pour tout enfant qui veut devenir footballeur. Il ne faut pas se soucier de rater ou de réussir. Il faut se soucier d'essayer. Aujourd'hui, il a montré qu'après une erreur, il a continué à avoir l'ascendant, on a continué à avoir confiance en lui, il a fait des arrêts incroyables, il a eu le caractère nécessaire. Ça a été très positif pour lui et pour toute personne voulant devenir footballeur professionnel" arguait Luis Enrique dans une tirade applaudie par médias et supporters.
Unai le reconnaissait lui-même, il venait de vivre le match le plus important de sa vie. Le jeune n'avait encore rien vu ! Cinq jours plus tard, il serait élu homme du match contre la Suisse au terme d'une séance de pénaltys pourtant mal engagée pour son pays. Qu'importe les ratés de Busquets et Rodri, Unai ne faillirait pas. En compagnie du staff, il avait préparé la séance le matin-même. Si d'aventure sa mémoire lui faisait défaut, il n'aurait qu'à consulter sa serviette : à l'intérieur était placé un papier contenant les informations relatives à tous les tireurs suisses. "Tu vas en arrêter au moins deux" prédisait avant la séance Luis Enrique, faisant encore une fois honneur à son titre d'homme le plus confiant de toute la péninsule.
Quelques pas de danse très perturbants sur sa ligne, deux arrêts et une qualification plus tard, pas de doute, l'Espagne tenait définitivement son nouveau gardien. Un portier aux origines basques stoppant deux tirs au but dans un quart de finale d'Euro ? La comparaison a beau être un sacrilège, elle est toute trouvée (pardonnez les médias espagnols, ces jours ils sont un peu euphoriques) : après San Iker, voici San Unai.
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