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Didier Deschamps à Eurosport : "Je n’ai jamais construit une équipe en disant ‘aujourd’hui, on défend et on attend'"

Mis à jour 14/06/2021 à 12:24 GMT+2

EURO 2020 - Quelques jours avant de s'envoler pour l'Allemagne, Didier Deschamps nous a accordé un entretien pour parler des Bleus, mais aussi et surtout de lui. Le sélectionneur s'est assis sur un banc pour la première fois en 2001. L'occasion de se retourner sur cette double décennie, de parler de son fonctionnement, de ses inspirations, et de la place qu'il occupe dans le gotha des techniciens.

Didier Deschamps dirige l'entraînement à Clairefontaine

Crédit: Imago

Vous souvenez-vous de ce que vous faisiez le 28 juillet 2001 ?
D.D. : Le 28 juillet 2001 ? Je pense que je m'asseyais sur un banc de touche pour la première fois, avec l’AS Monaco.
C’était face à Sochaux…
D.D. : Oh… ça ne s’était pas bien passé. Le deuxième match non plus ! (rires) J’avais Sochaux et Montpellier au programme, deux promus, j’avais pris un point sur les deux matches !
Le jeune entraîneur que vous étiez avait quels principes à l'orée de cette nouvelle carrière ?
D.D. : La décision de basculer de la vie de joueur à celle d'entraîneur est allée très vite. Dès que j’ai eu la proposition du président Campora, le temps de mettre tout en place, construire mon staff, préparer les séances, ça a été très rapide. Je ne vais pas dire trop rapide mais j’ai eu cinq jours entre mon dernier match à Valence et le début du stage avec l’AS Monaco. Je m’y étais préparé mais c’est allé vite. J’avais pris la décision d’arrêter ma carrière car mon corps était arrivé à bout et me lançait des signaux d'alarme.
Vous dites que ça a été presque trop rapide. Vous aviez en tête de devenir entraîneur mais pas dès 2001 ?
D.D. : J’avais prévu une pause pendant quelque temps, j'avais même pris un engagement médiatique. Dans mon esprit, je pensais couper deux ou trois ans.
Didier Deschamps en 2001, à ses débuts à Monaco
Le tout début de votre carrière d’entraîneur a été compliqué. Vous terminez 15e avec Monaco. En quoi cette première saison a été fondatrice ?
D.D. : C’aurait pu s’arrêter là, ça ne s'est pas joué à grand-chose malgré tout. Mais tout cela m’a servi d’expérience. J’avais repris le groupe de Claude Puel. Et lui, avec plus d’expérience que moi, avait connu plus ou moins les mêmes difficultés. Au niveau des joueurs, il y a également eu pas mal de changements entre la première et la deuxième saison. Je venais de passer sept ans à l’étranger. Je m’intéressais au foot français mais j’étais un peu déconnecté. Être de nouveau confronté à la réalité m’a permis de me rendre compte que tout ce qui me paraissait évident et normal quand j’étais sur le terrain ne l’était pas pour mes joueurs. Il a fallu passer par des étapes intermédiaires avant d’arriver à ce que je voulais.
Il y a eu des étapes mais, finalement, elles n'ont pas duré très longtemps. En 2004, vous jouez la finale de la Ligue des champions avec Monaco. Qu’est-ce qui a le plus changé entre 2001 et 2004 ? Le groupe de joueurs ? Ou vous ?
D.D. : Les joueurs, c’est la base. Parce qu’aucun entraîneur n’est magicien. On est reparti avec un autre groupe de joueurs plus jeunes, avec quelques joueurs expérimentés qui apportaient un équilibre. De mon côté, j’ai passé mes diplômes d’entraîneur. C’était important pour mettre l'expérience que j'avais emmagasinée dans des cases. (La finale), on n’était pas programmés pour ça. Mais le fait que Pierre Svara devienne président a été un élément important aussi, dans le fonctionnement du club.
Ma carrière de joueur, c’est un trésor dans lequel je puise sans arrêt
Durant votre carrière de joueur, vous avez notamment connu des personnages comme Raynald Denoueix, Jean-Claude Suaudeau, Raymond Goethals, Marcelo Lippi ou encore Aimé Jacquet. Des profils divers et variés. Que retenez-vous d’eux ?
D.D. : Il reste toujours des choses. Ma carrière de joueur, c’est un trésor dans lequel je puise sans arrêt. Ce ne sont pas des sources d’inspiration mais il y a des choses que j’ai aimées, à Nantes, et avec les autres entraîneurs que vous avez cité. L’essentiel, c’est de faire avec ce que je suis et en fonction de la situation. L’idée, ce n’est pas de faire du copier-coller parce que les copier-coller sont en général de moins bonne qualité. Le contexte, aussi, est différent. A Nantes, par exemple, il y a une chronologie : les joueurs s’entraînaient ensemble depuis 14 ou 15 ans. Ils étaient programmés et tout devient naturel.
L’objectif pour un entraîneur, quel qu’il soit, est le même au fond. J’en parlais avec Stéphane Moulin récemment. L’entraîneur est là pour tirer le meilleur de chacun de ses joueurs, pour son équipe et afin d’obtenir le meilleur résultat possible. Il y a un mot qui résume cela : s’adapter. Il faut s’adapter aux spécificités, aux joueurs, etc. Il n’y a pas qu’une seule façon de gagner. On peut certaines fois moins bien jouer et gagner. On peut aussi parfois y mettre la manière sans le résultat. Dans un monde parfait, je préfère avoir les deux en même temps. Mais ce n’est pas toujours le cas.
Qu’est ce qu’on apprend d’un entraîneur comme Marcelo Lippi ?
D.D. : Quand ça se passe bien, ou même très bien, on apprend beaucoup de choses sur le terrain ou en management. Mais c’était une autre période. Il n’y avait pas les mêmes mentalités. Je suis convaincu qu’on ne peut plus faire ce que l’on faisait il y a quinze ou vingt ans en terme de management, à tous les niveaux. Il faut évoluer aussi. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y a pas une base commune mais ça a changé. Le management a pris une part de plus en plus prépondérante dans la gestion. Comme l’aspect extérieur. Je me souviens de Raynald Denoueix que j’avais au centre de formation ou Coco Suaudeau… Il n'avaient pas des conférences de presse tous les trois jours. C’était moins conventionnel, ils n’avaient pas un staff comme je l’ai aujourd’hui. Mais il n’y avait peut-être pas les mêmes besoins non plus.
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Deschamps : "Ma carrière de joueur, c’est un trésor dans laquelle j’ai puisé sans arrêt"

Vous pensez que c’est plus difficile aujourd’hui ?
D.D. : Ce serait leur retirer du mérite. C’était certainement aussi dur pour eux. Je ne vais pas dire que c’est plus dur aujourd’hui mais ce n’est pas plus simple en tout cas. Les données sont différentes.
En tant que sélectionneur, on vous a vite catégorisé comme le fils spirituel d’Aimé Jacquet… mais si vous ne deviez retenir qu’un principe fort de lui, ce serait lequel ?
D.D. : C’est plutôt un honneur, déjà. Aucune équipe de haut niveau ne peut obtenir des résultats s’il ne se passe pas quelque chose en interne. La relation humaine est capitale. Il y a des choix à faire. C’était sa responsabilité comme c’est la mienne aujourd’hui. J’ai le privilège d’avoir gardé contact avec lui mais au-delà du sélectionneur, c’est la personne… J’aurai une reconnaissance éternelle pour ce qu’il a fait avec nous et ce qu’il a fait de moi.
Vous êtes toujours en contact avec lui ? Il vous arrive de discuter équipe de France avec Aimé Jacquet ?
D.D. : Oui, on échange. Après, il a ses enfants, ses petits-enfants, il profite ! Je l’avais fait venir à Lyon avant la Coupe du monde. Ca lui a fait plaisir, il n’a pas voulu passer trop de temps car j’étais dans la préparation mais j’ai une photo de nous deux sur le terrain ce jour-là. Elle me tient à coeur.
Je ne suis pas un professeur
Le gegenpressing de Klopp, les innovations de Guardiola, le parcours de Simeone,... : Qu’est-ce qui vous nourrit aujourd’hui ?
D.D. : Je regarde. Ça m’amène à réfléchir. Après, je peux faire, je ne peux pas faire… Vous parlez de Simeone, il y en a beaucoup qui n’aiment pas et qui le critiquent. Il est champion d’Espagne aujourd’hui. Klopp, ça a coincé cette année. Ca peut marcher un moment mais ça ne veut pas dire que ça marchera à chaque fois. Après le titre de champion du monde, on m’a demandé à m’exprimer devant mes collègues techniciens. J’ai accepté mais j’ai aussi dit ‘je ne suis pas un professeur’ et ‘je vous dis comment on a fait dans les grandes lignes, mais ce n’est pas la seule route’. Il y en a d’autres aussi pour y arriver. Mais cette route-là, c’est celle qui nous a permis d’y parvenir.
On parle beaucoup de Klopp, de Guardiola : est-ce que vous trouvez pas injuste qu’on ne vous cite jamais dans les influences d’aujourd’hui ?
D.D. : Sincèrement, ça n’a aucune importance. Je ne vais pas dire que c’est injuste. J’aime à penser que tout le monde peut avoir une analyse différente. Moi, ce qui m’intéresse, c’est l’argumentation. S’il n’y a pas d’argumentation… Concernant la Coupe du monde, on a pu dire ‘l’équipe de France est très défensive…’ C’est vrai qu’on a bien défendu mais regardez notre efficacité ! Prenez l’Espagne en 2010, on parle de sa maîtrise... Elle n’a pas marqué la moitié de nos buts en phase à élimination directe ! Après, ce qui peut se dire ou l’interprétation, ça n’a pas d’importance. Mon staff, les joueurs le savent : je n’ai jamais mis de limite. Les attaquants ont une liberté totale, je n’ai jamais empêché un latéral de monter, je n’ai jamais construit une équipe en disant ‘aujourd’hui, on défend et on attend’. Non, ce n’est pas ça. Le football est un rapport de force. Aujourd’hui, j’ai suffisamment de bons joueurs pour l’imposer à nos adversaires mais on peut tomber aussi sur des adversaires qui nous forcent à défendre. L’objectif est de bâtir une équipe qui a le plus de probabilité de mettre en difficulté l’adversaire, de se créer d’occasions et de marquer des buts.
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Quelle est la part des joueurs et leur influence dans l’animation ou la tactique des Bleus sur le terrain ?
D.D. : Il y a plusieurs manières de procéder. Vous pouvez dire : ‘je veux faire ça, vous faites ça’. Moi, je pars du principe qu’il faut les impliquer. En discutant avec un joueur, que je veux utiliser à un poste particulier, si mon ressenti n’est pas bon, je vais y réfléchir. Parce qu’un joueur veut jouer et il va toujours vous dire ‘oui, oui, coach !” mais s’il dit ‘oui, oui, coach !’ et qu’il fait l’inverse…
Durant la Coupe du monde, je l’ai dit aussi : durant certains matches, notamment contre la Belgique, je trouvais qu’on avait un bloc trop bas mais ce sont les joueurs qui étaient contents comme ça et se sentaient forts ainsi. Que voulez-vous faire ? J’ai connu ça aussi. D’eux-mêmes, ils ont procédé ainsi parce qu’ils se sentaient forts comme ça. Ce qui ne nous a pas empêchés de les punir quand on devait les punir.
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Deschamps : "Je n’ai jamais mis de limite"

Ca dit quelque chose de la maturité d’une équipe…
D.D. : Ou de l’influence de certains joueurs. Et de leur intelligence. Défendre, tout le monde en est capable. Je ne vais pas dire que c’est plus facile mais c’est moins difficile de défendre que d’attaquer. Ça reste du basique, il ne faut pas faire de faute individuelle, réduire l’espace, l’intervalle et la profondeur.
Qu’est ce que vous aimeriez qu’on dise de vous dans trente ans ?
D.D. : Je ne me pose pas la question. J’ai encore trente ans de vie devant moi, c’est gentil…
Trente ans de carrière…
D.D. : Non, non… (sourire)
Aujourd’hui, on dit "Deschamps, c’est la gagne", ça vous va bien ?
D.D. : Oui. Après, sincèrement, et ce n’est pas de la fausse humilité, je ne cours pas après ça. Je sais ce que j’ai fait. Je ne cours pas derrière ça... J’aurai le temps, j’espère un jour, ou pas. Mais ce qui m’intéresse, c’est aujourd’hui et demain. Je n’ai pas cet ego. J’ai envie de gagner, à travers mes joueurs. Il restera ce qu’il restera, on ne pourra pas m’enlever ce que j’ai pu faire. J’ai fait quand même certaines choses, ce qui m’intéresse, c’est d’en faire encore.
Si vous ne deviez retenir qu’un match de votre parcours, ce serait lequel ? Celui qui est maîtrisé de A à Z...
D.D. : Maitriser de A à Z, on ne peut pas dire ça. Je m'arrête à la lettre J, c’est la mi-temps (sourire). Après, ce sont les joueurs… Par rapport à ce que je suis et l’état d’esprit qui est le mien, il faut que ça coïncide avec quelque chose de concret qui est lié à la victoire : donc, un titre. Parce qu’il n’y a que ça qui matérialise. Evidemment que le contexte d’une finale est particulier. Il est difficile de maitriser quatre-vingt-dix minutes… mais je vais vous ressortir un match. Il va peut-être vous étonner, ce n’est pas forcément celui qui vous viendrait en tête : c’est le France - Islande de l’Euro. Avec la spécificité de leur 4-4-2, on a beaucoup travaillé sur leur disposition, les touches longues, les coups de pied arrêtés. Là, ça c’est déroulé comme prévu.
C’est intéressant que vous ayez choisi celui-là car vous aviez eu une semaine entre le 8e de finale et le quart. Avoir du temps en sélection, c’est un luxe rare. N’est-ce pas ce qu’il vous manque le plus en tant que sélectionneur ?
D.D. : Je peux vous assurer que je fais partie d’une confrérie qui pense la même chose. C’est factuel : avant la Coupe du monde 2014, j’ai eu 30 jours de préparation. Aujourd'hui, j’en ai 20. Avec les dix jours qui manquent, j’aurais sans doute fait d’autres choses, intéressantes. C’est comme ça. Il faut aller à l’essentiel. J’ai des priorités. Mais dans ces priorités, je dois encore prioriser. Je ne suis pas tout seul, heureusement, avec un staff compétent.
Le match que vous regrettez le plus ? Là où vous pensez avoir fait la plus grosse erreur ?
D.D. : Ce n’est pas la plus grosse erreur car un résultat ne tient pas à grand-chose. Depuis quelques années, je ne me pose plus ces questions-là. ‘Et si j’avais fait ça ?’ Je n’ai pas la réponse, vous non plus. Ça m’évite de cogiter. Je ne vais pas dire la finale de l’Euro parce qu’en refaisant le même match, je suis sûr qu’on la gagnerait plus de fois qu’on l’a perdue. Ça tient vraiment à peu de choses. Sinon en Turquie, contre les Pays-Bas, on n’y était pas du tout ces jours-là. Des fois, c’est ça aussi. Quand il y a tellement de manques, il ne faut pas aller plus loin et tourner la page.
Un Euro réussi peut-il être un Euro sans victoire ?
D.D. : C’est comme si vous me demandiez ce qu’est le bonheur. Le bonheur est total que s’il y a la victoire. Vous avez votre réponse.
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