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Avec l'arrivée de la vidéo, une certitude : le football n'est plus un jeu

Thibaud Leplat

Mis à jour 14/03/2016 à 17:30 GMT+1

FIFA - L’International Board et la FIFA viennent enfin de tomber d’accord sur une vaste réforme du règlement. Qu’y a-t-il de commun entre l’introduction de la vidéo, la suppression de la triple peine ou la possibilité d’un quatrième changement lors d’une prolongation ? Une rupture profonde avec la tradition.

Gianni Infantino, président de la FIFA

Crédit: AFP

Il y a quelques jours, quand il s’était agi de présenter au monde les dernières motions adoptées par l’International Board, gardien de la tradition du football mondial et de ses règles, Gianni regarda la salle dans les yeux et n’hésita pas à forcer lourdement le trait. Captivée par les talents politiques de cet homme qu’elle pensait condamné à animer les cérémonies de tour de boules, l’assemblée sut garder un silence religieux quand était venu enfin le moment de lui servir la communion.
Voilà ce qu’Infantino avait réservé comme premier miracle : " Aujourd'hui, nous avons pris une décision historique pour le football. L'IFAB et la FIFA ont désormais pris la main dans ce débat, au lieu de le bloquer. Nous avons prouvé que nous étions à l'écoute des supporters, des joueurs et du football, mais aussi que nous étions capables de faire preuve de sens commun. Bien entendu, la prudence est de mise, mais nous sommes désormais prêts à étudier ces questions et à prendre des mesures concrètes pour démontrer que la FIFA et l'IFAB sont entrés dans une nouvelle ère". En un coup de crayon, des années de réticences face à l’arbitrage vidéo venaient de prendre fin. La belle affaire.

La meilleure attaque, c’est la défense

Comme pour mieux souligner l’héroïsme des hommes qui avaient osé briser le fil qui nous tenait à la pesante tradition, Jonathan Ford, président de la fédération galloise souligna à son tour la portée historique d’un tel geste. C’était la réunion du Board la plus importante "en 130 années d’existence" affirma-t-il. C’est sans doute pour ne pas tenter les opportuns, qu’il avait donc omis d’évoquer la réforme de 1925 concernant la règle du hors-jeu (2 joueurs au lieu de 3 entre la ligne de but et le premier attaquant), l’interdiction de la passe en retrait volontaire au gardien (en 1992) ou la suppression du hors-jeu de position (en 1995). Il avait aussi préféré passer sous silence l’inattendu phénomène qu’avaient engendré ces amendements censés stimuler le jeu offensif mais qui avaient en fait, à la surprise des historiens, provoqué le contraire.
En effet, en dépit des bonnes intentions offensives, ces nouvelles règles avaient plutôt stimulé l’inventivité défensive. Le WM (ou l’invention du marquage individuel pour compenser l’avantage donner à l’attaquant) répondit donc à l’amendement de 1925, les dégagements lointains et les erreurs de pieds ou de mains trouvèrent une nouvelle vie grâce à l’abolition de la passe en retrait (en 1992) et enfin la suppression du hors-jeu de position (en 1995) condamna les défenses à renoncer partiellement à la ligne pour réhabiliter la position de libero disparue depuis les années 60. Dans le jeu de football, si c’est la défense qui mène le train de la réaction face aux modifications réglementaires, c’est que le rival le plus redoutable à neutraliser n’est pas l’attaquant avancé, mais tient plutôt à l’essence même de ce sport pratiqué avec les pieds : l’imprévu.

L’erreur est humaine

Pour la première fois depuis sa création, le Board acceptait de tester l’utilisation de la vidéo pour juger de certaines situations de jeu. Il acceptait ainsi, au nom du "bon sens" et de la "modernité", que les objectifs des dizaines de caméras braqués sur la pelouse pussent contribuer à la prise de décision de l’arbitre. Hormis les problèmes pratiques que cette initiative revêt (dans la mesure où les fautes semblent toujours plus graves au ralenti qu’à vitesse réelle), l’introduction de la vidéo prétend éradiquer pour de bon l’erreur d’arbitrage et donc l’injustice. La Goal Line Technology nous avait déjà préparés au débarquement des machines mais son fonctionnement indépendant des caméras de télévision avait préservé l’autonomie réglementaire de l’arbitre. Cette fois-ci, en prévoyant un dispositif complet de visionnage des actions litigieuses les plus importantes (penalty, identité du joueur qui commet la faute, but, expulsion) le Board quittait le champ du football pour investir celui des machines. C’est officiel, le football n’est plus un jeu.
Car l’introduction de la technique vidéo pour "assister" l’arbitre dans ses prises de décision fait disparaître ce qui était jusqu’ici l’espace de l’erreur humaine (la mauvaise appréciation, l’hésitation, l’aveuglement, la mauvaise foi) à celui autrement plus redoutable de la faute morale et de sa condamnation automatique (l’arbitre qui ferait le choix de ne pas consulter les images en direct mises à sa disposition serait immédiatement l’objet d’une cruelle suspicion). La justice poétique, celle qui avait réhabilité Harald Schumacher, n’aurait plus cours dans le football. 130 années de conversations futures venaient d’être effacées.
Car de quoi parlerons-nous désormais quand Diego Costa nous aura été expulsé du match dès le premier ralenti coupable ? De qui nous souviendrons-nous si la moindre de nos hésitations étaient résolues par des hommes enfermés dans des studios de télévision ? De quoi vivra la presse s’il n'y a plus jamais d’injustice, plus d'incertitude, plus d'imprévu à déplorer sur les terrains ? Le monde ne va pas mieux depuis l’invention du révélateur de hors-jeu. Il n’est pas non plus acquis que le football porte plus beau s’il se soumet désormais à l’examen exhaustif des machines.
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Diego Costa est un imposteur pour le PSG...

Crédit: Panoramic

Les codes nucléaires

L’autre conséquence autrement plus inquiétante de l’introduction de la vidéo dans l’arbitrage, c’est le hiatus qui se creuse irrémédiablement entre le football qui est joué chaque dimanche sur les millions de terrain du monde et le celui qu’on regarde à la télévision le reste du temps. Là où nous, les futboleros, partagions encore avec les professionnels le même dispositif disciplinaire fondé sur l’interprétation humaine du règlement (dans notre sport, c’est l’oeil humain qui gouverne), il y aura désormais deux façons opposées d’interpréter les lois du jeu et donc, à terme, de jouer au football.
Car si les uns compteront encore sous la vigilance d’un seul homme, les autres ne se fieront plus qu’aux caméras de surveillance. Partant de là, les premiers auront d’autant plus de réticences à se soumettre à l’interprétation du juge dominical, qu’ils verront les autres ne plus obéir qu’au critère prétendument incontestable d’un ralenti plus ou moins favorable à leurs intérêts. Ces deux allures ne communiquant plus l’une avec l’autre, il y aura le football réel d’un côté et celui des caméras de l’autre.
Si l’introduction de l’arbitrage vidéo aura donc des conséquences profondes et encore difficiles à prévoir sur la fluidité du jeu (qu’en sera-t-il des penalties non sifflés ? Faudra-t-il arrêter le match pour consulter l’expert vidéo ? À quel moment ?), il en a déjà sur l’autorité des instances qui le promeuvent. En introduisant la vidéo, la FIFA entendait supprimer l’arbitraire des décisions arbitrales. Elle vient pourtant de faire l’inverse en inaugurant le règne des machines. Il n’y aura jamais justice plus inhumaine que celle des robots. Infantino aura beau nous faire des dizaines de clins d’oeil pour nous amadouer, il a maintenant le doigt posé sur le bouton nucléaire et semble nous dire d’un air goguenard "bienvenue dans l’ère du football à deux vitesses".
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UEFA general secretary Gianni Infantino poses on the pitch with a football after giving a press conference at Wembley stadium in London on February 1, 2016. A stellar cast of football figures including Jose Mourinho and Luis Figo appeared in support of Gi

Crédit: AFP

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