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Henry entraîneur : Derrière l’évidence, plusieurs obstacles et une promesse d’excellence

Cédric Rouquette

Publié 23/04/2015 à 14:18 GMT+2

Thierry Henry n’est pas encore à la retraite. Pas officiellement, en tout cas. Mais sa carrière va s’arrêter un jour prochain, et c’est pour accompagner ce crépuscule que L’Equipe Magazine a consacré un numéro entier à l’attaquant des New York Red Bulls, samedi.

Henry entraîneur : Derrière l’évidence, plusieurs obstacles et une promesse d’excellence

Crédit: Eurosport

Entre autres choses, on apprend dans ces quelques pages abondamment commentées que l’intéressé restera dans le football. A un poste à déterminer. Entraîneur est une option. Elle est très crédible aux yeux d’Arsène Wenger, qui l’a dirigé sept ans à Arsenal. "Son potentiel est évident." Certains parmi les plus impatients des supporters d’Arsenal en sont si convaincus qu’ils seraient prêts à l’appeler pour la succession.

Pas si vite. Quelque chose ne colle pas. Wenger prévient     Henry dans L’Equipe Mag : pour devenir coach, il faut être prêt à vivre avec le poids d’une équipe matin, midi, soir, nuit. Fondu de foot, parmi les fondus, Henry a le profil de bonne chair à banc de touche. Être entraîneur, en ce qui le concerne, ne sera pas affaire de compétence et de rayonnement personnel, simplement d’implication intime. Celle que Zidane a mis des années à construire et à laquelle il se confronte aujourd’hui, avec tous les imprévus que cela comporte. Défaites, médiatisation, jalousies corporatistes. Et Zidane n’est pas en place auprès de la B du Real Madrid depuis trois mois…

Être entraineur, ce nest pas pour les attaquants, sauf si

Certes, comme tout attaquant, Henry possède un fond égoïste, celui qui le conduit à faire la danse du ventre à Raymond Domenech pour disputer une quatrième Coupe du monde en 2010, avant de lâcher l’affaire en interne par manque de légitimité sportive et politique. Il surmontera cet écueil lié en partie aux nécessités de son poste. Tout, dans le parcours d’Henry, montre une capacité à s’intégrer dans le projet collectif. Evidemment, il est pas formé pour la fonction, mais il prendra le temps d’obtenir les diplômes. Qu’importe si nous sommes nombreux à le voir avant tout consultant, car son profil est sans équivalent sur le sujet - expertise, tchatche, présence personnelle, polyvalence - c’est lui qui décidera de céder ou non à l’inévitable tentation.

Le verrou qui freine le chouchou des Gunners vers cette reconversion ne concerne pas Henry lui-même. Il concerne la corporation : Henry a derrière lui une carrière d’attaquant. Numéro 9 ou excentré, peu importe : Henry aura été toute sa carrière, un vrai, un pur attaquant. Et à l’instant de l’imaginer s’asseoir sur un banc pour faire appliquer un plan de jeu, la prise en compte de cette info n’est pas neutre. Car être entraineur, ce n’est pas pour les attaquants.

Voici quelques recoupements qui viennent valider cette intuition.

-    En Ligue 1, seuls deux entraîneurs en poste ont joué en attaque (Dupraz, Garande), ils sont trois à avoir un passé de joueur offensif (ajoutez Gourvennec). Les dix-sept autres, soit 85% des bancs, ont été milieux (Puel, Girard, Ripoll, Makelele*), gardiens (Montanier, Casanova) et surtout défenseurs (Blanc, Bielsa, Fournier, Sagnol, Der Zakarian, Galtier, Vasseur, Courbis, Cartier, Kombouaré, Jardim).

-    En Angleterre, aucun entraîneur du Top 10 n’a été autre chose que défenseur (Mourinho, Koeman, Pellegrini, Wenger, Monk, Pocchettino, Rodgers) ou milieu (Van Gaal, Allardyce, Pardew, Martinez) durant sa carrière de joueur. Le premier attaquant de la liste est Mark Hughes, en charge à Stoke City.

-    Toutes les grandes références contemporaines du poste de manager viennent, en dehors de Mourinho (défenseur, donc), du poste de milieu défensif ou relayeur : Ancelotti, Simeone, Guardiola, Benitez, Conte. Même chose quant au profil des managers qui tiennent les grandes équipes, comme Luis Enrique au Barça, Garcia à la Roma ou Allegri à la Juventus.

-    La liste des anciens sélectionneurs des Bleus porte aussi en elle cette endogamie des grands stratèges : Deschamps est un ancien milieu, comme Santini, Jacquet, Michel et Kovacs. Blanc, Domenech et Lemerre viennent de la défense.

Michel Platini (meneur-buteur) et Michel Hidalgo (ex-ailier) sont les exceptions à cette liste liste. Il est possible d’en trouver d’autres. Au plus haut niveau européen, Jupp Heynckes (ex-Bayern) et Alex Ferguson (ex-Manchester United) avaient nourri leur passion pour le football en étant attaquants. Parmi les entraîneurs en poste aujourd’hui dans des clubs exposés, le cas le plus proche d’un futur Henry est celui de Pippo Inzaghi à l’AC Milan.

Peu dex-attaquants en poste, beaucoup dex-attaquants parmi ceux qui ont laissé une trace

Henry a tout à fait la possibilité de devenir entraîneur, mais il y est autant pré-destiné qu’un défenseur ou un gardien le sont pour devenir Ballons d’Or. Henry, par ailleurs, n’est pas le plus anonyme des attaquants. Si Heynckes a bien été un international à succès (39 sélections, vainqueur de l’Euro et de la Coupe du monde en 1972 et 1974), Ferguson n’eut qu’une carrière de joueur moyenne, comme par ailleurs Jürgen Klopp en Allemagne, lui aussi ancien buteur. Le gourou du Borussia Dortmund est le Franck Priou ou Cédric Fauré du foot allemand, avec une très longue et fructueuse carrière en D2.

Henry appartient à une autre caste, celle des joueurs qui ont flirté avec le Ballon d’Or, à défaut de le recevoir. Parmi les quelques dizaines de champions qui obéissent à ce portrait-robot, les exemples d’entraîneurs existent. Les exemples d’entraîneurs à succès beaucoup moins. Avec sa demi-finale de Coupe du monde en 2006, Jürgen Klinsmann est celui qui correspond le plus au profil. Marco van Basten plafonne depuis son quart de finale à l’Euro 2008. Denis Bergkamp n’est qu’adjoint à l’Ajax. Papin, Stoïchkov, Blokhine, Di Stefano ou Puskas n’ont pas percé.

Perfectionniste maladif, d’une auto-exigence touchant à l’insatisfaction permanente, Thierry Henry n’embrassera pas la carrière d’entraineur sans avoir la sensation qu’il pourra y accomplir quelque chose de grand. Or, les grands entraîneurs-attaquants sont une denrée extrêmement rare dans l’histoire du football. L’avantage, c’est qu’on se souvient d’eux.

So Foot a entrepris l’an dernier de classer les cent plus grands entraîneurs de l’histoire. Arrigo Sacchi, ancien défenseur obscur, arrive en tête. Derrière :

-    2e : Alex Ferguson, ancien attaquant ;

-    3e : Tele Santana, ancien attaquant ;

-    4e : Rinus Michels, ancien attaquant ;

-    5e : Valeri Lobanovski, ancien attaquant ;

-    6e : Johann Cruyff, ancien attaquant.

On trouve aussi Brian Clough à la dixième place : six sur dix parmi les managers ayant laissé une énorme empreinte sur le football sont d’anciens attaquants reconvertis. Le classement est par définition discutable mais il offre une photographie recevable du sujet traité.

Un jour de 2005, un autre attaquant français appartenant à l’histoire de la Premier League avait envisagé de devenir entraîneur. "J'ai une certaine idée sur le jeu et je n'accepterai de devenir entraîneur que si je peux apporter ma vision, si j'ai la sensation que le jeu peut évoluer. (...) Automatiquement, ça sera révolutionnaire - même si je peux me planter." Eric Cantona n’a pas franchi le cap autrement qu’avec le Beach Soccer.

Thierry Henry place la barre moins haut. Mais il parle déjà au présent, lui. "A tout moment, il faut que mon équipe joue. Dès que le gardien touche le ballon, ça doit enclencher. Je veux qu’on joue en sortant du vestiaire; (…) Dégager un ballon, ne pas construire sur chaque possession, c’est interdit pour moi. Il y a toujours une solution. Peu importe si tu ne l’as pas vue, il faut toujours que le ballon vive." Henry porte en lui l’héritage du meilleur de la Premier League, du meilleur Barça possible et du meilleur football français jamais pratiqué. Quelque chose nous dit que le passage à l’acte est inéluctable. Nous aurons été prévenus.

Cédric ROUQUETTE

Twitter : @CedricRouquette
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