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La vidéo, oui… mais autrement

Thibaud Leplat

Mis à jour 16/01/2018 à 10:14 GMT+1

Le débat sur l’arbitrage vidéo a pris une étrange tournure. Si, divisés entre technophobes et technophiles, les arguments des deux bords ne convainquent plus personne, c’est qu’est ici en jeu une affaire plus profonde. Quel est l’obscur objet du football ?

La video en Bundesliga

Crédit: Getty Images

"Le football c’est la vie et la vie est injuste. Donc le football doit être injuste". Lorsqu’il s’agit de converser sur la chose footballistique, les syllogismes généreux de ce type ne manquent pas. L’arbitrage vidéo, entendez l’assistance dans un car-régie d’un arbitre communiquant avec le juge de terrain, parce qu’il agirait comme révélateur de notre propre duperie, condamnerait la glorieuse incertitude du football à subir la lumière crue de la vérité des images. Et, c’est bien connu, parce que quelques centimètres de tibia qui dépassent d’une ligne imaginaire sur un ralenti peuvent changer une vie, il y aurait une barbarie à vouloir toujours et à tout prix dire la vérité de l’illusion.
Regardez la main de Dieu, l’agression de Schumacher, la finale de la Coupe du monde 66. Voyez Diego Costa. Quel plaisir resterait-il au football si, comme dans la vie, l’injustice ne payait plus, si le méchant ne gagnait jamais à la fin ? En somme, le crime de la caméra ne serait pas de dire le vrai, mais de nous empêcher de jouir du faux. Il faudrait, pour sauver le football de la sauvagerie, préserver le droit à l’injustice. Intéressante mais maladroite idée. Creusons un peu.
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Harald Schumacher

Crédit: AFP

Miroir, mon beau miroir

D’abord, soulignons que ce "droit à l’injustice" repose sur un principe non avoué. Le football aurait une obligation de mimétisme avec l’existence de ceux qui y jouent. Il puiserait sa force métaphorique du réservoir moral et poétique qu’il contient. Toujours donc il y aurait en nous quelque chose de Cavani, quelque chose d’un buteur parfois maladroit, souvent providentiel, jamais décevant. Ou, mieux encore, quelque chose d’Hatem Ben Arfa, sorte de Van Gogh incompris, avide de reconnaissance, mais condamné à être né posthume. Réfléchissons un peu. Le football se résume-t-il vraiment à ce grossier principe d’identification ? Quelle différence y aurait-il dès lors entre l’esprit de ce sport et une campagne de marketing s’il fallait à tout prix - comme les mauvais hommes politiques ou les mannequins dans les publicités pour le café - que ces hommes nous ressemblassent pour nous plaire ?
Or, c’est précisément parce que nous savons bien, dans notre immense majorité, que nos vies n’ont rien à voir avec celles d’Edinson Cavani ou d’Hatem Ben Arfa, que leur destins originaux nous passionnent. Si le football est un jeu (et non une campagne présidentielle), c’est qu’il est d’abord et avant tout une fiction c'est-à-dire une illusion qu’on entretient pour nous aider à comprendre une époque exigeante. Il est un miroir, certes, mais déformant.

La "passion d’être égal"

Dans cette affaire, c’est donc la nature du reflet qui importe, pas le modèle. En effet, second argument, si les hommes ont inventé le football - et tous les sports à des degrés divers - c’est pour se figurer ce que serait l’égalité dans une société où il n’y aurait plus de différence de classes, de revenus, de conditions. Le pouvoir du football est celui de nous montrer, match après match, ce à quoi ressemblerait le monde s’il nous y était interdit, comme sur ce terrain idéal, de jouer en supériorité numérique, de profiter de la faiblesse d’un rival, de jouer avec un ballon supplémentaire si l’adversaire en monopolisait la possession. Le football est notre terrain d’entente. C’est en ce sens que le sport, écrit l’anthropologue A.Ehrenberg, met en scène la "passion d’être égal" cette tendance de l’homme démocratique à toujours imaginer "ce que la vie devrait être si elle était juste", ce que notre vie devrait être si nous en étions les auteurs.
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Moutinho : "L'arbitrage vidéo ? C'est bon pour le foot"

Du révisionnisme technologique

Que faire, dans ce contexte, de l’arbitrage vidéo ? Il importe à mon sens, avant même de prendre en compte les résultats des diverses expérimentations en cours, de questionner la légitimité des injonctions morales que son usage suscite. La principale vertu de l’outil vidéo est de rendre clair des perceptions confuses. Il permet, comme si Dieu était notre cousin, de revenir en arrière, d’accélérer, de ralentir, bref, de multiplier les points de vue sur un même monde.
Ce faisant, l’arbitrage vidéo est en réalité en vigueur depuis le premier jour où la captation d’un match a été effectuée (Arsenal, le 16 septembre 1937). Depuis ce jour précis, le match de football - activité évanescente par excellence - est devenue un objet vivant d’études et de regrets. À ce titre toute revendication récente du "droit à l’injustice sportive" est un révisionnisme technologique qui prend la forme d’une nostalgie déplacée.

Le droit au replay

En somme, il ne faut rien attendre d’autre de la vidéo que les intentions qu’on lui prête. Aussi, plutôt que de la laisser saccager nos rencontres sportives, la vidéo, déjà largement intégrée dans les préparations et le recrutement, devrait constituer une ressource supplémentaire mise à disposition des joueurs eux-mêmes et non d’un seul homme en noir caché dans une cabine lointaine. La réflexion porterait donc non plus sur la pertinence juridictionnelle de la vidéo mais sur les conditions de son intégration au jeu lui-même.
Les entraîneurs pourraient, par exemple, avoir accès aux retransmissions en direct et, sur des phases de jeu précises, une à deux fois par match (le jeu consisterait à l’employer au bon moment), exercer un "droit au replay". Intégrée aux lois du jeu (comme le coaching permet de remplacer n’importe quel joueur depuis 1967 indépendamment de son état de santé), la vidéo ne serait plus une simple mécanique froide et intempestive d’interprétation du règlement mais un jeu sur le jeu lui-même. La justice poétique est à ce prix.
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