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Les grands récits - Manchester United 1999 : Diables Rouges et maîtres du temps

Maxime Dupuis

Mis à jour 24/09/2021 à 13:33 GMT+2

LES GRANDS RECITS - Mieux vaut tard que jamais : il aura fallu attendre le 26 mai 1999 pour assister au renversement de situation le plus dingue du XXe siècle. Ce jour-là, Manchester United est revenu de nulle part pour décrocher la Ligue des champions aux dépens du Bayern Munich (2-1). Aucune autre équipe que celle d'Alex Ferguson n'était plus prédisposée à réussir un tel coup.

Alex Ferguson et Ole Gunnar Solsjkaer

Crédit: Eurosport

Il parait que le football est un sport simple, qui consiste à courir derrière un ballon et se termine invariablement par une victoire des Allemands. Le gars qui a dit ça, un soir de demi-finale de Coupe du monde perdue, ne s'attendait sans doute pas à ce que sa formule soit encore ressassée, jusqu'à l'usure, près de trois décennies plus tard. D'autant qu'elle a pris du plomb dans l'aile depuis belle lurette, si tant est qu'elle fut un jour complètement pertinente.
Parce que si la République Fédérale d'Allemagne, victorieuse de l'Angleterre ce soir-là, se hissait en finale de la Coupe du monde pour la troisième fois de suite, la saillie pleine d'esprit de Gary Lineker, omettait le détail suivant, de taille : la RFA avait perdu les deux précédentes, face à l'Italie et l'Argentine.
Au fond, ce 4 juillet 1990, l'attaquant des Three Lions déplorait l'impuissance anglaise au moins autant qu’il glorifiait la force de frappe germanique. La Perfide Albion se reposait alors encore et toujours sur ses lauriers bientôt fanés de 1966 et ne pouvait même plus compter sur ses clubs pour briller sur une scène internationale dont ils avaient été chassés après le drame du Heysel et la mort de 39 personnes, cinq années plus tôt.
Avant d'être mis au ban du continent, les Anglais avaient remporté huit des neuf Coupes d'Europe des Clubs champions mises en jeu entre 1977 et 1984. Bientôt réintégrés, ils ne retrouveraient la lumière qu'à la toute fin de la décennie qui s'ouvrait et à l'orée d'un XXIe siècle qui serait bien plus radieux pour eux. Ironie du sort, le retour en grâce de l'Angleterre s'effectuerait aux dépens d'Allemands et grâce à un… Ecossais. Grâce à un Ecossais, un Anglais et un Norvégien, devrait-on même préciser. Trois hommes. Trois destins. Trois revanches. Et une ambition : celle de conquérir l'Europe.
Alex Ferguson en 1986
Cette conquête, matérialisée le 26 mai 1999, Alex Ferguson - l'Ecossais - l'avait en tête depuis toujours. Elle fut longtemps une hérésie. Parce que les Anglais n'étaient plus les bienvenus sur sol continental quand Fergie a pris les commandes de Manchester United en 1986. Mais aussi et surtout parce que les Diables Rouges n'avaient plus de méphistophélique que le (sur)nom.

Le "putain de piédestal" avant l'Europe

Sorti des seventies dans l'anonymat le plus total, MU est entré dans les années 80 sans certitude, sinon celle de devoir vivre dans l'ombre écrasante de Liverpool, monarque absolu qui, schématiquement, se consolait avec la Coupe d'Europe des Clubs Champions quand le titre national lui échappait.
Le jour où Ferguson a posé les pieds à Manchester, il était simplement question de fierté à retrouver et, il l'avouera plus tard, de "faire tomber Liverpool de son putain de piédestal". Il aurait dit ça le 6 novembre 1986, à son arrivée à United, il serait passé pour un fou. MU n'avait gagné le championnat qu'à 7 reprises, loin de Liverpool, déjà sacré 16 fois. Le jour où il est parti à la pêche, en 2013, Alex Ferguson avait réussi la remontada du siècle et mis les Reds dans son rétroviseur (20 titres à 18).
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Bruce Grobbelaar à la lutte avec Bryan Robson

Crédit: Getty Images

Avec Ferguson, il aura souvent été question de comeback, plus ou moins improbables. Parce que l'ancien attaquant, né le 31 décembre 1941 à Govan, quartier ouvrier de Glasgow, n'a jamais rien aimé d’autre que la victoire, sinon le vin et les courses de chevaux. L'homme est issu d'un milieu modeste où le travail n'est pas un vain mot. Chez les Ferguson, on se nourrit à l'huile de coude et à la persévérance. Et on n'abandonne pas. Jamais. Cette habitude le suivra durant toute sa carrière, de l'usine au terrain, en passant par le banc de touche.
Son premier banc, après une carrière de footballeur honorable, il le trouve du côté d'East Sterling en 1974. Ses joueurs touchent 6 livres par semaine. Tout Ferguson est déjà là. "Il nous terrifiait, se souvient Bobby McCulley, attaquant du cru. Je n'avais jamais eu peur de personne avant lui. Mais il s'est comporté comme un enfoiré dès le départ… Quand il voulait parvenir à ses fins, il restait aussi tard qu'il le fallait ou venait tôt. Le temps ne comptait pas à ses yeux. Il n'avait pas de montre, d'ailleurs".

Toquante et "Fergie Time"

Cela ne durera pas. Ferguson portera bientôt une toquante à son poignet et elle lui servira à effrayer ses adversaires quand, mené, il se mettra à tapoter dessus pour signaler à tout le monde, arbitre compris, que son heure est venue. On finira par trouver un nom à la pratique dont l'efficacité tient autant du mythe que de la réalité : le "Fergie Time".
Ferguson, mastermind accompli, s'en servira jusqu'au bout. Jusqu'à la caricature. "Je faisais ça pour faire peur à l'autre équipe, pas pour encourager la mienne". En gros, ça ne faisait pas forcément de bien à ses gars. Mais ça ne pouvait pas leur faire de mal.
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Alex Ferguson en 2007

Crédit: Getty Images

"Furious Fergie" - son premier sobriquet - n'est pas qu'un père fouettard qui va jusqu'à infliger une amende à l’un de ses joueurs parce qu’il a osé le doubler sur la route. "J'ai eu droit au ‘sèche-cheveux’ quelques fois mais comme j'avais bossé avec Brian Clough, je pouvais supporter ça, jure Viv Anderson, l'une de ses premières signatures à Manchester. Il arrivait parfois que des trucs volent à travers le vestiaire mais Alex Ferguson pouvait aussi être charmant. Un peu comme ‘Cloughie’ d'ailleurs. Il a deux facettes". Mister Alex et docteur Ferguson. Deux facettes pour un seul objectif : gagner, toujours et encore. A ses yeux, c'est la manière ultime d'être légitime. La seule, même.
Gagner, Ferguson va y parvenir dans des proportions exceptionnelles avec Manchester United. Assez rapidement aussi avec Aberdeen, qu'il mène au titre de champion d'Ecosse en 1980, mettant ainsi fin à quinze années de dictature des clubs de Glasgow. Il remettra le couvert en 1984 et 1985. Mais son chef-d'œuvre est daté du 11 mai 1983, lorsqu'il s'offre le Real Madrid en finale de la Coupe des Vainqueurs de Coupe (2-1), après prolongation et grâce à un but décisif inscrit par John Hewitt. Jamais titulaire lors de cette campagne continentale mais cinq fois buteur, Hewitt est un "supersub" made in Fergie. Du Solskjaer avant l'heure.
L'Europe, c'est un peu comme réapprendre à jouer au football
Ferguson devient alors un entraîneur qui compte. Il effectue le grand saut en 1986 et passe le mur d'Hadrien pour conquérir l'Angleterre. Il aura besoin de sept ans pour y parvenir. Après quelques coups de chaud et avoir eu la tête sur le billot, l'Ecossais remet les Diables Rouges sur le trône national. Et, dès lors, n'a qu'une lubie : les installer sur le toit de l'Europe. Ambition constamment contrariée au coeur des années 90. Parce que tous les ans, c'est la même chose : la bande à Canto se prend constamment les pieds dans le tapis. Ce que le jeune David Beckham résumera avec une clairvoyance certaine : "L'Europe, c'est un peu comme réapprendre à jouer au football encore et toujours".
Durant cette décennie, la naissance et la puissance de la Premier League accélèrent son ouverture et son rapprochement culturel avec le continent. Mais le Heysel et les cinq années de suspension ont fait prendre du retard aux Anglais, qui perdent leurs moyens dès qu'ils foulent la grande scène. Face à la science footballistique des Italiens, les Anglais ne pèsent pas lourd. En C2, que Manchester United remportera l'année du grand retour des Anglais en Coupes d'Europe, passe encore. En Coupe de l'UEFA, la compétition européenne la plus relevée à l'époque, et en Ligue des champions, la plus prestigieuse, ça ne fonctionne pas. MU et Ferguson s'y cassent les dents année après année.
A chaque campagne, c'est la même rengaine. Il manque toujours quelque chose à Manchester. De 1993 et d'une humiliante et houleuse élimination au deuxième tour par Galatasaray à 1998 et le crash sur le mur monégasque, United coince. Mis à part une apparition dans le dernier carré en 1997 (et une leçon donnée par le futur champion d'Europe, Dortmund), United enchaîne les gamelles.
"Dulcius ex asperis" est la devise ancestrale du camp Ferguson. Du latin au français, cela signifie : "Plus doux après les difficultés". Soit une version savante du "après la pluie vient le beau temps". Raison de plus pour s'accrocher. L'ambition devient obsession pour Ferguson. "L'Europe a fini par devenir une croisade personnelle. Je savais que je ne serais jamais jugé comme un grand manager tant que je ne gagnerais pas la Coupe d'Europe", expliquait-il en 2000 dans The Unique Treble.

Le Bayern, déjà, et le Barça en apéritif

Quand débute l'exercice 1998/1999, Manchester United est une équipe en reconquête. La saison précédente, Arsenal et Arsène Wenger lui ont volé la vedette en Premier League. La première année post-Cantona, parti à la retraite sur un coup de tête, ressemble à une saison de transition à l'échelle des Diables Rouges : à savoir, sans titre. Le temps que la "Classe de 1992", composée de David Beckham, Ryan Giggs, Paul Scholes, Nicky Butt et les frères Neville, prenne la mesure et les rênes de l'institution rouge. Conscience, aussi, de ce qu'il faut pour vaincre quand il est question de croiser le fer avec les formations du Vieux Continent.
Sur la route du Camp Nou, enceinte préférée à Wembley et au stade Vélodrome pour accueillir l'édition de la finale 1999, se dressent de sacrés clients. Et ceci, dès l'entrée. Au premier tour, MU doit se coltiner le Bayern Munich (tiens, tiens) et le FC Barcelone (plus Brondby) dans une poule qui n'offre qu'une place automatique en quart de finale.
Manchester United et Barcelone se connaissent déjà. MU et le Bayern se découvrent. Dans quelques mois, ils ne pourront plus jamais s'oublier mais, jusqu'ici, les deux géants sont toujours passés à côté l'un de l'autre. Et si Manchester a soif de reconnaissance européenne, après son seul et unique sacre de 1968, le Bayern a faim de reconquête. Auteur d'un fantastique triplé réussi entre 1974 et 1976, le géant bavarois n'a plus rien à se mettre sous la dent depuis que Beckenbauer, Maier et compagnie sont passés de l'autre côté de la barrière.
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Beckham contre le Bayern en 1998

Crédit: Getty Images

Avant d'écrire l'histoire, les deux clubs vont passer par un automne compliqué. Après deux journées, le Bayern n'a qu'un point au compteur. Manchester United, deux. Barcelone a pris les devants. Pas très longtemps. Allemands et Anglais - qui se neutraliseront deux fois - renversent la vapeur et passent. Le Bayern en sa qualité de premier du groupe, Manchester United - qui n'a pas perdu un match en poule - parce qu'il fait partie des deux meilleurs deuxièmes. L'histoire est en marche. Mais elle part de loin.

Revenir de loin, spécialité maison

"La route est droite mais la pente est forte", a dit un jour un Premier ministre français. Il ne se référait pas à United. Mais sa formule aurait pu être attribuée à un observateur averti des affaires du football. Après un premier tour relevé, MU va devoir franchir deux obstacles transalpins, l'Inter et la Juventus.
Depuis le début de la décennie, la C1 parle italien : aucune finale depuis l'oubliable Etoile Rouge de Belgrade - Olympique de Marseille de 1991 n'a été désertée par un représentant de la Serie A. Bref, Manchester United a du pain sur la planche.
Le quart de finale face à l'autre club de Milan se passe bien. Victoire 2-0 à Old Trafford, un doublé de Dwight Yorke sur deux passes décisives de David Beckham. Refrain connu. Le retour à San Siro est un peu plus tendu parce que Paul Scholes ne soulage les siens qu’à la 88e minute de jeu. 1-1. Ça passe. United a pris son temps pour se mettre à l'abri. Ce n'est pas la première fois. Ce ne sera pas la dernière non plus. Cette saison-là, Manchester réussira à revenir au score pour gagner ou éviter une défaite à 17 reprises. La thèse du miracle ne tient pas.
La Juventus, finaliste des trois dernières éditions de la Ligue des champions, va s'en rendre compte à ses dépens. En demi-finale aller, les coéquipiers de Zinédine Zidane ouvrent le score à la demi-heure de jeu. Ryan Giggs répond… dans le temps additionnel (91e). Au retour à Turin, les petits gars de Ferguson réussissent un chef-d'œuvre d'abnégation. Menés 2-0 après onze minutes de jeu et un doublé de Filippo Inzaghi, les Mancuniens ne baissent pas la tête. Au contraire. Vingt grosses minutes après, grâce à deux réalisations signées Roy Keane et Dwight Yorke, les revoilà dans le siège du conducteur. Andy Cole enfonce le dernier clou dans les dernières minutes d'une demi-finale retour de légende. Mais dont le dénouement n'est qu'une péripétie au regard de ce qui va suivre, le 26 mai 1999.
La légende prend parfois ses aises avec l'histoire et profite du temps qui passe pour réécrire les événements comme elle l'entend. Mais si l'on est parfaitement honnête, on commence par vous dire que Manchester United - Bayern Munich fut une immense promesse qui, longtemps, n'a pas répondu à nos vœux les plus chers. Parce que, oui, durant près de 80 minutes, ce fut une minuscule finale. Excitante sur le papier. Décevante sur le pré. Le Bayern d'Ottmar Hitzfeld, qui visait aussi son premier triplé championnat - coupe nationale - Coupe d'Europe, s'est contenté de trop peu. Et Manchester n'en a jamais fait assez. Si l'on est toujours juste, on vous dit aussi que Ferguson est, avec ses joueurs, complètement passé à côté avant 101 secondes éternelles.
J'ai été merdique ce soir-là

Quand United entre sur la pelouse du Camp Nou ce soir-là, l'équipe ne ressemble pas à ce dont Ferguson avait rêvé. Si le Bayern Munich doit composer sans deux de ses éléments-clé, Bixente Lizarazu et Giovane Elber, tous deux blessés, Manchester United ne peut compter sur ses deux pivots du milieu de terrain, Roy Keane et Paul Scholes, suspendus. Du coup, Ferguson n'a d'autre choix que de titulariser Nicky Butt dans l'entrejeu et il décide de l'associer à un certain David Beckham. L'idée s'est dessinée dans la tête de Ferguson lors de la dernière finale de Cup. Keane blessé en cours de match, il a replacé le Spice Boy dans l'axe. Bonne idée, Becks, ce n'est pas qu'un pied droit et une coupe de cheveux. C'est aussi un sacré combattant.
Qui dit Beckham dans l'axe dit trou sur l'aile droite. C'est… Ryan Giggs, gaucher exclusif et habituel mangeur de craie de l'autre côté du rectangle, qui va s'y coller. Pourquoi donc ? Parce que le Gallois l'a déjà fait, au contraire de Jesper Blomqvist. Le Suédois sera donc aligné à gauche. Un échec absolu que Manchester United paie d'entrée. Sixième minute. Coup franc aux abords de la surface. Mario Basler s'y colle. Et raconte la suite : "On avait placé deux joueurs dans le mur et Peter Schmeichel ne pouvait pas voir grand-chose. J'ai vu qu'il était parti du mauvais côté et j'ai frappé sur sa gauche." La route du but est ouverte par Markus Babbel, qui s'efface du mur rouge et laisse un trou béant. Manchester United est mené. Comme d'habitude, serait-on tenté de dire. C'est vrai. Mais cette fois, c'est une finale. Et rien ne va dans le sens des Red Devils.
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Mario Basler scores against Manchester United in the 1999 final

Crédit: Getty Images

Le jour où Matt Bubsy, champion d'Europe avec ses Busby Babes en 1968, aurait eu 90 ans, United n'arrive à rien. Ferguson s'est planté, OK. Mais ses joueurs ne font rien pour l'aider. "Il est assez juste de dire que la compo n'a pas fonctionné… mais je ne sais pas si le coach aurait pu faire autre chose. C'est la performance d'une équipe fatiguée et qui courait vite et depuis très longtemps", estime Gary Neville dans sa biographie.
"J'ai fait ce qu'il m'avait demandé, certes. Mais, pour être honnête, j'ai aussi été merdique ce soir-là", reconnaitra aussi Ryan Giggs. De l'autre côté du terrain, Blomqvist est submergé par un match trop grand pour lui : "Mes jambes ne répondaient pas, elles flagellaient". Quid d'Andy Cole, brillant toute la saison avec son compère Dwight Yorke ? "J'ai été très déçu de ma performance. C'est l'un de mes rares regrets car je n'ai pas réussi à me hisser à la hauteur du plus grand rendez-vous de ma carrière." De l'autre côté, ça rigole. Notamment Steffen Effenberg qui, à peine la mi-temps sifflée, dira à ses compères : "Si on continue ainsi durant quarante-cinq minutes, on gagne". A un train de sénateur, le Bayern Munich est sur de bons rails.
Je voulais qu'on reste à 1-0 pour avoir ma chance dans cette finale
Dans le vestiaire mancunien, l'ambiance est glaciale. Mais Ferguson n'est pas d'humeur à allumer le "sèche-cheveux". Ça ne servirait à rien. Il faut réchauffer les cœurs. "Si vous perdez cette finale, vous passerez à moins de deux mètres de la Coupe d'Europe mais vous n'aurez pas le droit de la toucher. Dites-vous que c'est peut-être la seule fois de votre vie que ça arrivera et que vous le regretterez pour le reste de vos vies. Faites-en sorte de revenir ici après le match en ayant tout donné."
L'affaire est mal engagée. D'autant que les mots du boss - une fois n'est pas coutume - n'ont pas fait mouche. Du moins, pas auprès des onze titulaires. En revanche, les deux héros de la soirée qui attendent et surtout espèrent leur heure, vont être reboostés par Fergie. Pour des raisons bien différentes.
Teddy Sheringham vit une saison compliquée, dans l'ombre de l'infernal duo Yorke - Cole. Il présente le pire bilan statistique de sa carrière, avec 4 misérables buts inscrits mais il sort d'une finale de Cup accomplie, avec une réalisation à la clé. A la pause, Ferguson est allé le voir pour lui faire part de la suite des opérations.
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Alex Ferguson conseille Teddy Sheringham lors de Manchester United - Bayern 1999

Crédit: Getty Images

"J'étais énervé quand il m'a dit que je ne débuterais pas le match. Je voulais jouer et être le héros, expliquera Sheringham plus tard dans les colonnes du Daily Mail. Je me souviens que Sir Alex est venu me voir à la mi-temps pour me dire qu'il continuait avec les onze mêmes mais que je devais me tenir prêt". L'international anglais sait qu'il rentrera autour de l'heure de jeu si le score n'évolue pas. Il n'espère alors qu'une chose : "Je voulais qu'on reste à 1-0 pour avoir ma chance dans cette finale".
Dans un coin du vestiaire, un autre attend un geste ou un regard de Ferguson. Il s'agit d'Ole Gunnar Solskjaer. Celui qui deviendra un jour manager du club n'est encore qu'une simple solution de rechange au cœur d'une ligne d'attaque fournie. Ajoutez à cela que Fergie aime le voir débuter sur le banc. Pourquoi ? Parce que l'Ecossais a remarqué que le Norvégien analysait mieux que quiconque le jeu des autres. Du coup, quand il entre, il sait quoi faire. Et comment. Le manager Solskjaer est déjà en train de naître. Durant l’hiver, le "supersub" de Manchester a notamment signé le quadruplé le plus rapide de l'histoire de la Premier League. Entré à la 72e minute de jeu d'un match déjà plié à Nottingham Forest, le Norvégien a fait trembler les filets à quatre reprises entre la 80e et la 91e (1-8). Ferguson sait qu'il peut compter sur lui. Mais Ferguson ne le lui fait pas savoir.

Solskjaer, supersub furax


"Ça m'a rendu furieux !, se souvenait-il en 2016 dans les colonnes de Four Four Two. J'ai marqué 17 buts pour toi cette saison, la plupart du temps comme remplaçant mais tu ne viens pas me parler ? Pendant la seconde période, j'essayais de croiser son regard pour qu'il me fasse rentrer."
Sheringham et Solskjaer, les deux hommes ont faim de revanche. Ils l'auront. Au-delà de leurs plus folles espérances. Et ils peuvent remercier leurs coéquipiers, toujours aussi inhibés. Ainsi que les joueurs du Bayern, sereins jusqu’à en devenir suffisants. Une action à l'heure de jeu symbolisera cette ambiance quelque peu surréaliste, quand Mario Basler, en position de centre sur son côté gauche, fera un demi-tour toute, pour revenir cinquante mètres plus bas et, nullement attaqué par les Mancuniens, jouer avec ses défenseurs.
Un coaching gagnant est toujours - ou très souvent - la correction d'une erreur de départ. Depuis le début de la soirée, l'Ecossais tirait à blanc et le vrai suicide aurait été de s’entêter. Ferguson n’avait pas grand-chose à perdre en changeant son fusil d'épaule. "Si vous êtes menés 1-0 ou 2-1, ça ne sert à rien d'être conservateur et de jouer votre jeu habituel. Prenez des risques. C'est ce qu'on a fait contre le Bayern."
Soixante-septième minute : Sheringham in, Blomqvist out. United passe à trois attaquants, Giggs se recase sur la gauche et Yorke s'occupe désormais de la droite. Solsjkaer rejoindra bientôt tout ce petit monde. "On n'aurait pas pu démarrer avec cette équipe, assure Gary Neville. Ç'aurait été suicidaire. A vingt minutes de la fin, désespérés comme on l'était, c'était une autre histoire".

Le poteau, puis la barre

Le temps s'égrène et Manchester United est toujours derrière un Bayern qui profite des trous désormais béants dans l'entrejeu mancunien. Mario Basler et Mehmet Scholl sont à deux doigts de plier l'affaire à l'orée du dernier quart d'heure. Basler ne recule pas, cette fois. Après avoir brillamment éliminé David Beckham au milieu de terrain, l'international fonce vers la surface de réparation et s'efface, intelligemment, devant Scholl. A peine entré en jeu, le Bavarois voit que Peter Schmeichel est largement avancé. Alors, il pique son ballon qui redescend inexorablement vers le but du Danois. Un détail vient contrarier ses plans : le poteau. Celui-ci renvoie le cuir dans les bras de Schmeichel, capitaine en l'absence de Keane.
"Quand j'ai vu le ballon toucher le poteau et me retomber dans les bras, j'ai su qu'on allait gagner", expliquait-il en 2015. On a le droit de le croire. Mais aussi de douter, parce que Manchester United, à ce moment-là, est toujours autant livré à lui-même. Et va encore une fois être sauvé par un montant, la barre, sur un retour acrobatique de Carsten Jancker.
Dans l’intervalle, Solskjaer et Sheringham se procurent une occasion chacun. Kahn veille. Jaap Stam, lui, s'agace de l'attitude des Allemands, Matthaus et Basler en tête. "Quand ils ont quitté la pelouse, les deux se comportaient comme s'ils avaient gagné un Oscar. Après avoir vu ces branleurs agir ainsi, j'étais encore plus déterminé à trouver un surcroit d'énergie."
Devant son banc, Ferguson n'a pas le cœur à tapoter sur sa montre. Pour la première fois de sa vie d'entraineur peut-être, il est résigné. "J'étais déjà en train de me préparer à prendre cette défaite avec dignité".
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Le tableau d'affichage de Manchester United - Bayern 1999

Crédit: Getty Images

Ferguson réfléchit à ce qu'il va dire devant la presse. Solskjaer, lui, pense surtout à ce qu'il peut faire pour renverser la vapeur. Dans un dernier effort et au moment précis où l’arbitre assistant montre que les vingt-deux acteurs devront batailler durant trois minutes supplémentaires, le Norvégien met la pression sur Thomas Linke, qui met le ballon en touche. L'action se situe dans les vingt mètres du Bayern, côté gauche. Neville s’empare du cuir pour jouer une longue touche. Kuffour repousse vers Beckham. Le numéro 7 se débrouille pour retrouver Gary Neville qui, resté à gauche, centre et obtient un corner.
Tu joues, toujours. Tu essaies, encore
Mais que diable faisait l'arrière droit de Manchester United sur cette aile, où s'est déroulée l'action ? "Quand j'y repense, je me dis 'pourquoi as-tu fait ça ? Pourquoi as-tu couru comme ça ?’ Au final, c'est simple : c'est ce qu'on m'a appris depuis tout gamin à United ! Tu joues, toujours. Tu essaies, encore. Tu cours, jusqu'à la mort."
Devant le virage réservé aux supporters des Red Devils, Beckham patiente quelques précieuses secondes pour permettre à Schmeichel de rejoindre la surface de réparation de son alter ego Oliver Kahn. Et si le Danois, au soir de sa dernière avec MU, refaisait le coup de Volvograd, quand il avait égalisé de la tête un soir de septembre 1995 ? Le maitre-artificier Beckham le vise aux six mètres. Une fois n’est pas coutume, il rate la cible. Le cuir retombe sur Yorke, qui remet comme il peu. La suite est aussi peu limpide que la remise du Trinidadien. Le ballon est repoussé sur Giggs qui traine à l'entrée des seize mètres. Sa frappe - du droit - est ratée mais a le bonheur de trouver le pied droit de Sheringham sur son chemin. De près, l'Anglais remet les pendules à l'heure. Sur le gong.
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Teddy Sheringham fête son but

Crédit: Getty Images

"Je n'avais pas réalisé qu'on était aussi près de la fin, jusqu'au moment où j'ai vu Peter Schmeichel dans la surface. J'ai compris qu'il ne restait plus beaucoup de temps. Le ballon est arrivé sur Giggsy, qui a rippé sa frappe. Puis le ballon est passé sur mon chemin. Je savais que je n'étais pas hors jeu mais j'ai quand même vérifié en me tournant vers le juge de ligne". Lucide, Sheringham l'est plus que les Allemands, complètement sonnés et finalement pris à leur propre piège.
A une cinquantaine de mètres de là, Ferguson a compris. Le combat est gagné. Les Allemands sont à genoux. Ole Gunnar Soljskaer, lui, est reparti dans le rond central, ravi d'avoir sa part du gâteau et trente minutes supplémentaires pour la savourer.
Petite contrariété pour immense joie : le Norvégien, déjà privé de sieste en raison des ronflements de Jaap Stam, n'aura pas droit à sa demi-heure de finale européenne. Non, il n'aura droit qu'à une poignée de secondes supplémentaires avant le frisson d'une vie. Sur un long ballon de Dennis Irwin, il s'échappe sur le côté gauche et, devinez quoi, obtient un corner. Même côté. Même tireur. Même conclusion. Ou presque. Beckham vise le crâne du grand échalas qu'est Sheringham. Cible touchée. Le ballon, dévié, file dans les six mètres bavarois. Sur sa ligne, Oliver Kahn ne sort pas. Il s'avance pour pousser Samuel Kuffour car le Ghanéen le gêne.
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Solskjaer, buteur en finale 1999

Crédit: Getty Images

L’effet papillon puissance 10000


Petit geste, grandes conséquences. Remake de l'effet papillon puissance 10000. Solskjaer se retrouve sans cerbère au milieu de la zone de vérité et, dans un réflexe presque pavlovien pour un attaquant humant l'odeur du but, tend sa jambe droite. Banco. La reprise ne ressemble à rien mais le ballon file au fond des filets. Cette fois, c'est sûr, c'est terminé. Le Bayern vient de prendre deux gifles en 101 secondes. Le Camp Nou s'enflamme dans un rugissement unique. Pierluigi Collina, au sifflet, est sonné. "Ce sont les trois minutes les plus dramatiques de ma carrière", se souvient-il.
Le glabre Italien a compris que c'était fini quand il a dû demander aux joueurs du Bayern d'aller engager. La moitié d'entre eux est au sol. L'autre moitié a les mains sur les hanches. Et Samuel Kuffour, déjà, est en train de pleurer. Onze fantômes perdus dans l'immensité du Camp Nou. C'est terminé. Le Bayern est toujours maudit. Manchester United est au paradis.
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Collina relève les Bavarois pour qu'ils aillent engager (MU - Bayern 1999)

Crédit: Getty Images


A 1-0 en faveur du Bayern, le président de l'UEFA Lennart Johansson avait quitté son siège. Il s'en était allé par les entrailles du Camp Nou pour, pensait-il, remettre la Coupe aux grandes oreilles aux Munichois. Une quatrième victoire, vingt-trois ans après le dernier sacre de Glasgow. Le temps de descendre de la tribune présidentielle et de sortir du tunnel, il arrive sur un champ de bataille où les vainqueurs d'hier sont effondrés. Il s'est écoulé 101 secondes et c’est à n’y rien comprendre. "Les vainqueurs étaient au sol et les perdants en train de danser", résumera-t-il plus tard.
"Je me souviens avoir vu les officiels apporter la coupe avec les rubans aux couleurs du Bayern Munich. Deux minutes plus tard, je l'avais entre les mains". David Beckham est aux anges. Lothar Matthaus, 38 ans, au trente-sixième dessous. "Ce n'est pas la meilleure équipe qui a gagné, lance-t-il, amer. C'est la plus chanceuse". Le Ballon d'Or 1990 n'a pas complètement tort. Il faut une part de chance pour renverser une telle situation, après une prestation aussi peu convaincante.
Mais on peut aussi se dire que Ferguson et ses pousses ont spectaculairement récolté les semences d'une décennie. A répéter qu'il fallait toujours y croire. Se relever les manches et s'accrocher toujours et encore. Ce qu'il résumera mieux que quiconque devant les caméras d'ITV au moment de son désormais mythique "Football, bloody hell !" dont la spectacularité a masqué l’essentiel : le plus important, comme souvent avec lui, est ce qui vient à la fin. Il fallait écouter Ferguson jusqu’au bout.
Je ne peux pas y croire. Je ne peux pas y croire. Le football, bon sang ! On n'a jamais abandonné. C'est ça, un vainqueur.
"Toute mon approche de la vie peut être réduite à ces 101 secondes de temps additionnel", a un jour résumé Ferguson. Si bien que celles-ci lui ont donné envie de quitter la scène. "Gagner la Coupe d'Europe me donna le sentiment que j'avais accompli l'ensemble de mes rêves et que je pouvais m'en aller, épanoui". Après un vrai faux départ à la retraite en 2001, Ferguson est finalement resté, ajoutant du temps au temps, comme toujours. Personne ne l'a regretté. Manchester United aurait juste aimé qu'il soit éternel.
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Alex Ferguson avec son Graal, en 1999

Crédit: Getty Images

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