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Barça - Real : Le Clásico ou la footballisation du monde

Thibaud Leplat

Publié 24/10/2019 à 14:35 GMT+2

Qui a inventé le populisme ? Il faut se rendre à l’évidence, le report du Clasico Barça - Madrid, match le plus politique du monde, ne sanctionne pas la simple intrusion du politique dans le football mais son absorption définitive par le football lui-même.

Un tifo pro-indépendance catalane lors de FC Barcelone - Real Madrid 2012

Crédit: Getty Images

Etrange paradoxe. En 242 matches et plus d’un siècle de rivalité sportive et historique, le Barça - Madrid qui aurait dû avoir lieu samedi prochain, est le premier à être reporté pour des motifs politiques. Le Comité de compétition de la fédération de football espagnole a en effet averti les parties concernées vendredi dernier de l’impossibilité de réunir les conditions de sécurité optimales dans les rues de Barcelone pour un match "à haut risque" pour l’ordre public.
Le même jour, et quasiment à la même heure - 13h pour le match, 17h pour la manifestation - était en effet convoquée une manifestation dans toute la ville en faveur du processus d’indépendance et en protestation contre la sentence du tribunal suprême espagnol condamnant à de lourdes peines de prison la majeure partie des instigateurs du référendum illégal du 1er octobre 2018. En dépit de l’opposition à un changement de date de la maire de Barcelone Ada Colau ou d’Ernesto Valverde, entraîneur du Barça, la rencontre aura bien lieu, mais le 18 décembre.

Collusion, mélange et dilution

Jusque là le Clasico FC Barcelone - Real Madrid était la mère de toutes les collusions, l’exemple idéal pour tout professeur d’histoire en mal d’illustration de l’intrusion du politique dans le sportif. L’enjeu n’est pas ici de le déplorer tant la dimension politique pouvait être un ressort efficace à l’enjeu sportif d’une rencontre. Ne le nions pas. Mais sport et politique se mélangeaient sans pour autant se diluer l’un dans l’autre. Chacun profitant du folklore de l’autre en l’instrumentalisant à sa guise, le soir venu, les banderoles savaient ensuite retrouver le chemin de leur domicile respectif. La différence de nature entre ces deux domaines était entérinée, la combinaison n’était toujours que provisoire. Le lendemain du match, le championnat pouvait reprendre son cours normal et la vie politique se poursuivre en-dehors des stades.
Mais avec ce report inédit, c’est un phénomène nouveau qui semble pointer : la confusion est telle qu’on ne parvient plus à distinguer non seulement ce qui dans le football relève du politique mais aussi, et surtout, ce qui dans le politique relève en réalité du football. Car si le politique n’est plus le bienvenu dans le match footballistique par excellence, c’est qu’il s’est noyé dans un mélange qui est devenu pour lui une dilution. Expliquons cette récente évolution.
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Une banderole pro-catalane durant le Barça - Real Madrid de la Supercoupe d'Espagne 2012

Crédit: Getty Images

Make my club great again

L’amateur de Clasico (qui est généralement aussi amateur de football) connaît bien la rhétorique politique à la mode. Quand il écoute Trump, casquette tricolore sur le chef, braillant des "America First" sur tous les podiums du monde et dénonçant les procédures de destitution aux mains de Démocrates fripons et jaloux de ses victoires; quand il entend Boris Johnson et Nigel Farage, partisans du Brexit, mentir impunément sur le rôle des institutions européennes; quand arrive à ses oreilles la rhétorique anti-journalistes de Luigi Di Maio, ancien agent de sécurité du stade San Paolo à Naples et dirigeant du Mouvement 5 étoiles ("Les journalistes, je les mangerais tout crus pour avoir le plaisir de les vomir")... Bref, quand l’amateur de football ouvre les pages politiques des journaux et qu’il s’intéresse au destin de ses contemporains il ne peut que se fendre d’un étrange constat. Quelque chose dans la rhétorique populiste lui est irrémédiablement familier.
En effet, dans le secret de ses souvenirs il connaît cette même manière, ancienne, d’en appeler à ses affects les plus tristes les soirs de derby. Et il sait ce qu’il en coûte de soutenir, hors de toute logique, des positions irrationnelles. Il sait - mais ne la reconnaîtra jamais publiquement - la faible qualité de sa défense centrale. Mais ces défenseurs sont les siens, alors il les aime comme ses enfants. Il sait aussi que son entraîneur est un historique du club mais qu’il est dépassé par la situation. Peu importe, il le couvrira de son soutien comme on entoure un nouveau-né dans du coton. Son attaquant vedette n'est loyal et généreux que proportionnellement aux primes éthiques qui lui seront ensuite accordées ? Tant pis, tant qu’il terminera meilleur buteur du championnat. Le supporter préfère les bonnes nouvelles à la vérité, l’insolence rigolarde d’un mensonge bien envoyé à la ténacité grise des experts et de leurs faits inertes et exaspérants.
Parfois même, quand il n’en peut plus d’autant de mélancolie, certains soirs de défaite, le supporter explose. Entre lui et les joueurs, il ne devrait plus y avoir aucun intermédiaire, affirme-t-il. La passion et la loyauté envers "l'Institution" devrait être les seuls critères de recrutement, assure-t-il. Les plus téméraires iraient même jusqu’à tendre le bras à un généreux inconnu pour l’emmener en virage avec eux pourvu que les millions s’abattent par dizaine sur leur club et qu’on leur promette la grandeur retrouvée et la Champions League l’an prochain. Le supporter le sait bien - à commencer, ne vous y trompez pas, par l’auteur de cette chronique - peu importe le flacon, pourvu qu’on soit heureux à la fin de la saison. En football, la nostalgie est toujours un programme politique : Make my club great again.
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Supporters du FC Barcelone en Ligue des champions

Crédit: AFP

Footballisation de la Catalogne

Cette semaine, nouvelle étape dans la footballisation du monde, El Confidencial a révélé que la direction du parti PDeCAT (indépendantistes catalans dont le président est actuellement en fuite) envisageait sérieusement de confier le poste de futur chef de file du parti à Pep Guardiola (dont le contrat le lie à City jusqu’à juin 2021 mais pourrait de ce fait l’interrompre un an plus tôt). Qu’un politique jouât à l’entraîneur de football, quiconque aura assisté à des meetings politiques ou à des causeries d’avant-match, aura déjà remarqué la nature sportive de la performance. Rien de nouveau sur ce point.
En revanche, qu’un entraîneur de football, aussi prestigieux soit-il, pût briguer un poste de responsable politique de premier plan au nom de résultats sportifs favorables faisant fi des spécificités supposées de ces deux domaines respectifs et sans que cette idée ne semblât choquer outre mesure, interroge sur les bouleversements que les sociétés démocratiques sont en train de vivre et la place qu’elles accordent désormais au sport professionnel.
Le politique, en démocratie libérale, fondait son action sur la concertation, le dialogue et la recherche commune de l’intérêt général. Avec l’avènement des démocraties partisanes modernes reposant sur les sondages d’opinion, les débats entre franges inconciliables et les foires d’empoigne entre leaders charismatiques, les "citoyens" tendent à se transformer en "supporters". Conséquence logique, c’est maintenant au tour du dirigeant politique d’être substitué par un entraîneur. Ce n’est plus la politique qui a envahi le football. Non, c’est bien désormais le football qui occupe la politique.
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