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Liga : Le Valence CF, ou l’allégorie de ce que le football business peut générer de pire

François-Miguel Boudet

Mis à jour 31/12/2021 à 16:58 GMT+1

LIGA - Depuis 2014, Peter Lim gère le Valence CF de manière opaque, inique et déroutante. Entre proches collaborateurs incompétents, transferts douteux, éternel chantier du Nou Mestalla et fronde des supporters, l’actionnaire majoritaire singapourien du club espagnol représente les pires dérives du football moderne.

Peter Lim (Valence CF) / Liga

Crédit: Getty Images

Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers. Plus de 15 000. A midi, ce samedi 11 décembre, le valencianisme s’est réuni pour manifester contre Peter Lim, magnat singapourien et actionnaire majoritaire du club (via la société Meriton Holdings) depuis 2014. Pour donner un ordre de grandeur, l’affluence a dépassé 5 matches de Liga de la 17e journée.
Depuis 7 ans, entre copinages, choix absurdes et provocations, l’actionnaire majoritaire et son équipe dirigeante ont fait de l’absurde un art majeur. Kafka et Ionesco pourraient évoluer en pointe, à condition d’être représentés par Jorge Mendes. La vie du Valence CF, c’est la série préférée de ta série préférée. Pas un hasard si Arturito de la Casa de Papel est un hincha du club !
Dans les épisodes précédents, on a assisté à la relaxe d’un ancien président, Juan Soler, condamné puis absout pour la séquestration de son successeur, Vicente Soriano, à du carrément sordide avec un autre ex-président, Pedro Cortés, accusé d’attouchement sur un canterano en octobre dernier, et à du plus léger avec Joey Lim, proche conseiller mais sans lien familial, qui s’est mis à danser dans la loge présidentielle d’Anoeta quand des supporters ayant fait le déplacement pour le match contre la Real Sociedad ont scandé "Anil (Murthy, le président du VCF, ndlr), canalla, fuera de Mestalla", l’un des tubes de l’afición che. Bref, entre nous, résumer les mésaventures blanquinegras est une chimère.
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Manifestations contre Peter Lim, l'actionnaire majoritaire du Valence CF / Liga

Crédit: Getty Images

Lovely Rita

La chute du club est indissociable de la "Jefa" Rita Barberá. Première édile de 1991 à 2015, la "maire d’Espagne" est tout à la fois le symbole de la transformation de la ville avec la Cité des Arts et des Sciences signée Santiago Calatrava, et la corruption (inculpée par le Tribunal Suprême dans le cadre d’une affaire de financement illégal et blanchiment de capitaux au profit de son parti, le Partido Popular, elle est décédée deux jours après sa première déposition).
Alors que le Valencia CF dispute sa deuxième finale de Ligue des champions consécutive en 2001, elle rêve de voir sa ville accueillir une finale continentale. Inauguré en 1923, Mestalla fait son âge. Dans la lignée des investissements liés à la culture, le Nou Mestalla doit, avec un budget de 344 M€, devenir une référence d’envergure internationale, au même titre que le GP de F1 disputé intra-muros de 2008 à 2012 et la Coupe de l’América qui s’est tenue en 2007, l’année du début du chantier.
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Rita Barbera

Crédit: Getty Images

Or depuis 12 ans, tout est arrêté, la faute à l’explosion de la bulle immobilière en 2009 (sans oublier les quatre ouvriers décédés en mai 2008, ainsi que diverses entorses au Code du travail). Quand il est l’or de se réveiller, la folie des grandeurs mène aux Barbaresques. Depuis, l’hymne du club aurait pu devenir la chanson Paie tes dettes de Charles Trenet.

Folle…folle… fólleme Lim !

En 2014, Peter Lim arrive tel un sauveur. On n’avait pas assisté à telle ferveur depuis la visite de Benoît XVI en 2010… Il ne lui manquait que l’auréole ! Rachat des dettes, promesses de lendemains qui chantent dans un nouveau stade : les périodes de vaches maigres étaient enfin révolues ! En réalité, le Singapourien n’a pas de feuille de route mais un seul objectif : faire du trading, principalement avec Jorge Mendes, dont il est l’ami mais aussi le partenaire. La première mesure de celui qui est mal surnommé "El Chino" est d’ailleurs d’installer sur le banc Nuno Espirito Santo, tout premier client du super-agent portugais. Le pire ? Même Mendes lui a dit que c’était une mauvaise idée !
Référence du journalisme local, auteur de nombreux ouvrages consacrés au Valence CF, Paco Lloret synthétise : "Les dirigeants actuels n’ont aucune expérience dans le domaine du football, c’est dramatique. Leur échelle de valeur est incompréhensible". La preuve par l’absurde : Marcelino García Toral, Mateu Alemany et Pablo Longoria ont été successivement virés après une saison du centenaire très réussie avec une Copa del Rey, une qualification en Ligue des champions et une demi-finale de Ligue Europa.
La raison : ils ont osé braver les consignes du big boss, qui avait demandé de lâcher la Copa pour se concentrer uniquement sur la 4e place de Liga. Dégagés pour avoir fait mieux que demandé ! "Lim et Anil Murthy étaient jaloux car ils étaient moins populaires et avaient moins de pouvoir face à des gens connaisseurs, indépendants et à la recherche du meilleur intérêt pour le club. Le trio a payé cher son manque de soumission au chef."

Pour 100 briques, t’as plus rien !

Journaliste honni par les dirigeants blanquinegros (on parle de personnes qui ont créé de toutes pièces le magazine Batzine pour organiser la désinformation et critiquer ouvertement leur propre entraîneur, Javi Gracia en l’occurrence, et plusieurs cadres de l’effectif), interdit de stade et donc très populaire auprès de l’afición (il suffit de voir le nombre de selfies qu’il a enchaîné lors de la manifestement du 11-D), Héctor Gómez décortique : "Je m’en remets aux chiffres. Quand un investisseur arrive au chevet d’un club en situation critique qui, en l’espace de 7 ans, a fait bouger plus d’un milliard d’euros de transferts dans le sens des arrivées comme des départs sans faire progresser son équipe, c’est qu’il y a un problème."
Et le journaliste de préciser son propos : "Nicolás Otamendi, Gonçalo Guedes, Álvaro Negredo, Paco Alcácer, André Gomes, Rodrigo Moreno, João Cancelo : toutes ces opérations ont été réalisées avec Jorge Mendes dans la boucle (on peut aussi y ajouter Aderllan Santos acheté 10 fois sa valeur réelle, Aymen Abdennour, Guilherme Siqueira arrivé blessé et jamais opérationnel, Enzo Pérez, Eliaquim Mangala arrivé blessé, Thierry Correia malgré une déviation du bassin de 2,8cm et Ferran Torres alors que le Portugais n’est même pas le représentant du joueur). C’est éloquent et il ne faut pas être grand clerc pour comprendre comment ça fonctionne." D’après le Livre noir du valencianisme, qui retrace en 101 points les errances de Meriton Holdings de 2014 à 2020, Mendes aurait à lui seul fait bouger au moins 300 M€, parfois dans des situations troubles.
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Gonçalo Guedes (Valencia) celebra uno de sus goles frente al Levante

Crédit: Getty Images

"Les premiers transferts réalisés sont ceux d’André Gomes et Rodrigo Moreno pour 45 M€ avec l’objectif de vite les revendre, poursuit Héctor Gómez. Or, la FIFA s’est mise au milieu et l’a empêché. Le fisc portugais a inculpé Mendes, la FIFA a infligé une amende à Benfica. Il y a eu des sanctions mais, je ne sais pour quelle raison, la justice espagnole, elle, n’a pas bougé." Le cas de João Cancelo a également suscité de sérieux doutes, l’opacité régnant sur la propriété des droits économiques : Benfica ou… Meriton Holdings !
Parker Lewis ne perd jamais, et nul besoin de synchroniser les montres : le cadran d’une horloge cassée donne toujours la bonne heure deux fois par jour. "Lim a besoin de marionnettes, constate-t-il. Quand il y a eu des personnes compétentes comme Amadeo Salvo et Francisco Rufete au début, Mateu Alemany et Marcelino García Toral ensuite et que l’équipe allait bien, ça l’a gêné. Pourquoi ? Parce que ça l’a empêché de faire ce qu’il voulait, c’est-à-dire des mouvements de joueurs. À ce titre, Murthy est l’exemple parfait de l’exécutant qui n’ira jamais à l’encontre de son patron."
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Un long chemin vers la liberté

Détenteur de 84% des actions, Peter Lim, via Meriton Holdings, est omnipotent ou presque. Le mépris qu’il affiche avec Anil Murthy, homme de paille ascendant ravi de la crèche, révolte l’afición. Dès lors, comment faire pour signifier sa désapprobation et essayer d’influer sur la politique du club quand on est simple supporter et petit actionnaire ?
Depuis l’été 2020, "Libertad VCF" est partie prenante de la révolte du valencianisme. "Au départ, nous ne nous connaissions que par les réseaux sociaux, explique José Antonio Pérez, président de l’association. Les dirigeants du club venaient de détruire le cycle qui avait conduit à la victoire en Copa del Rey puis en offrant Dani Parejo et Francis Coquelin à Villarreal. Les supporters se plaignaient, il fallait donc nous organiser."
Mais dès la première réunion, les frondeurs se rendent compte que pour contraindre Lim à la vente, même une fusion de Richard Majax et Sylvain Mirouf ne suffirait pas. "On a donc convenu qu’il fallait agir sur tous les fronts possibles : social en organisant des manifestations et en distribuant des affichettes 'Lim Go Home' à déployer aux 19e et 64e minutes de chaque match à Mestalla, judiciaire via l’intervention d’un juge, institutionnel en réunissant 5% des parts de la société anonyme sportive pour appliquer une mesure de la loi qui ouvre des droits comme l’accès aux comptes, même quand on n’est pas gérant de l’entité."
La route est droite mais la pente est raide. L’Angliru au milieu de l’Avinguda de Suecia. Car le Valence CF a une particularité : depuis le passage en société anonyme sportive (SAD) en 1992, obligation dont seuls le FC Barcelone, le Real Madrid, l’Athletic et Osasuna ont été exemptés, le club est celui qui dispose du plus grand nombre de petits actionnaires.

Un gros chèque pour convaincre Lim de partir ?

"Les 16% des parts restantes sont aux mains de… 46 000 personnes, explique José Antonio Pérez. Cela équivaut à 550 000 actions et nous en avons besoin de 180 000. Aujourd’hui, le tiers est atteint. C’est long et fastidieux, mais nous n’avons que 16 mois d’existence. Au Séville FC, l’association 'Accionistas unidos' a eu besoin de 5 ans et les responsables étaient très surpris quand on leur a dit qu’on avait atteint 1% en 3 mois. La différence, c’est qu’à Séville, il a fallu contacter 700 personnes pour atteindre le seuil. Nous, rien que pour 1,8%, on en est déjà à plus de 4 000 !"
Difficulté supplémentaire : pour assister à l’AG, les critères ont changé drastiquement. "Auparavant, il fallait détenir au moins 9 actions. A présent, il en faut… 3 598 ! C’est légal, cela représente 0,1% de la masse sociale. En revanche, cela doit être motivé. C’est pour cela que nous sommes allés en justice, car il n’y a aucun intérêt, hormis celui de l’actionnaire majoritaire. Le seul actionnaire qui peut y aller, c’est l’ancien président Manolo Llorente. Plus que jamais, notre seule façon d’agir, c’est nous unir."
Le volet économique revêt évidemment une importance colossale. Car si, pour l’heure, le club n’est pas à vendre, une somme suffisamment conséquente pourrait finir par convaincre Peter Lim de partir. "Historiquement, quand l’afición ne veut pas d’un actionnaire majoritaire ou d’un président, cela finit toujours par un départ", espère Héctor Gómez qui a représenté 165 actionnaires à la dernière junta directiva, mais ne se fait guère d’illusions quant à la viabilité du projet, aussi noble et ambitieux soit-il. C’est tout un modèle qu’il faudrait rebâtir.
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Des supporters de Valence réclament le départ de Peter Lim

Crédit: Getty Images

"Le futur du football, c’est que les clubs reviennent à leurs supporters et que la majorité du capital social soit contrôlée par eux", martèle José Antonio Pérez. Une vision romantique fondée sur le principe d’un vote par actionnaire mais pas angélique non plus : "On ne dit pas qu’un supporter doit diriger le club, simplement que le président puisse rendre des comptes et qu’en cas de mauvaise gestion, il soit contraint de partir."
Pour l’heure, rien n’empêche Meriton d’agir à sa guise, sans devoir de transparence. "Lim sait que la justice est lente et que rien ne se résout facilement, estime Paco Lloret. Mais en vérité, rien ne leur importe. Tu en connais beaucoup de clubs qui bloquent l’accès aux commentaires sur les réseaux sociaux à ses propres supporters ? Le paradoxe, c’est que le sponsor maillot fait la promotion de tokens pour que les supporters soient impliqués dans certaines décisions !"

Les fous du stade

La solution pourrait se situer Avingunda de les Corts Valencianes, là où s’érige la carcasse du Nou Mestalla. Anil Murthy et Ximo Puig, le président de la Generalitat, se sont entretenus les 28 et 30 décembre à propos du futur du stade. Deux réunions aussi cruciales qu’urgentes. Financée par les fonds issus de l’accord initié par LaLiga et CVC à hauteur de 80 M€ mais aussi par un investissement du club chiffré à 120 M€, comme l’exige la Generalitat et la mairie de Valence, la nouvelle enceinte pourrait enfin voir le jour.
Lim s’y était d’ailleurs engagé lors de son arrivée, même s’il a sévèrement trainé des pieds, jusqu’à ce que les institutions locales ne le mettent fermement face à ses responsabilités. La quatrième version pourrait offrir une affluence de 43 000 à 55 000 spectateurs, avec une possibilité d’extension allant jusqu’à 60 000 sièges et tout ce qu’il faut pour augmenter les revenus B2B et B2C. Il n’est pas inutile de rappeler qu’il y a 32 000 abonnés cette saison…
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Nou Mestalla (Valence)

Crédit: Getty Images

Néanmoins, la reprise et l’achèvement de l’Arlésienne bétonnée pourrait être une planche de salut commune. "Peter Lim n’a finalement pas beaucoup de marge de manœuvre car toute l’afición le déteste, pense Héctor Gómez. C’est juste une question de temps, d’autant qu’il a un certain âge, 67 ans. Il devra trouver une porte de sortie et le stade peut devenir une issue pour vendre car le club aura plus de valeur. Cela étant, il est certain que le Nou Mestalla n’est pas sa priorité. En fait, il n’a jamais voulu le construire. S’il le fait, c’est parce qu’il y sera contraint."
Le journaliste l’assure : le club est en banqueroute technique et l’argent manque dans les caisses. Il faudra vendre rapidement pour une trentaine de millions d’euros, ce qui pourrait conduire aux départs de José Gayà et Carlos Soler, deux joyaux de la couronne. De quoi courroucer encore davantage une afición au bord de la crise de nerfs qui, sur une échelle almodovaresque, se situe entre Entre tinieblas (Dans les ténèbres) et ¿Qué he hecho yo para merecer esto ? (Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?).
"Ce mouvement populaire ne s’arrêtera pas car les gens ont définitivement perdu le respect pour Meriton, assure Paco Lloret. Il y aura de plus en plus de démonstration de force des supporters. C’est devenu une guerre absolue." Avec un peu de chance, le curseur finira par pointer sur Volver ou sur Douleur et Gloire. Histoire d’enfin oublier les étreintes brisées.
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