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OM 2010, retour au sommet, épisode 5 : Deschamps et Marseille "l’irrationnelle"

Cyril Morin

Mis à jour 28/03/2020 à 21:13 GMT+1

LIGUE 1 - C’était il y a dix ans. Après une disette longue de dix-sept années, l’OM redevenait le patron du foot français le temps d’une saison folle conclue avec un doublé Championnat - Coupe de la Ligue arraché dans la dernière ligne droite. Cette semaine, Eurosport vous replonge dans cette période haute en couleurs. Dernier épisode avec Didier Deschamps, l’architecte d’un sacre sans lendemain.

OM 2010 - Episode 5 : Didier Deschamps et Guy Stéphan, le duo qui a ramené l'OM au sommet

Crédit: Eurosport

Tout est affaire de symboles. Dans une ville dominée par la Bonne Mère, chaque coïncidence ressemble à des clins d’oeil divins. Didier Deschamps n’échappe pas à la règle. Il faut dire qu’il a fait fort. 25 avril 1992 : à la réception d’un centre d’Amoros, le numéro 11 olympien se jette et inscrit le but du break face à Cannes (2-0). Le jour où Papin a révélé qu’il s’en allait à l’AC Milan et marqué son dernier but au Vélodrome, DD prend le témoin. L’OM est à nouveau champion. Ce sera la dernière fois en dix-huit ans*. 5 mai 2010 : l’OM retrouve le sommet du football français. Sur le banc ? Didier Deschamps, évidemment.
Le joueur et l’entraîneur ont tout gagné. Mais cette saison 2009-2010 à Marseille aura toujours une place particulière dans son panthéon personnel. Car sur la Canebière, "c’est irrationnel" comme il le répète à longueur d’interview. "Quand ça va bien, ça va très bien. Quand ça va mal, ça va très mal. Avec le Mistral, la girouette, elle tourne vite", souriait-il notamment dans un documentaire qui lui était consacré fin 2019.

S’adapter, comme toujours

Cette année-là est symbolique de ce point de vue-là. "Marseille, ça resserre des liens, nous soufflait Guy Stéphan, son fidèle adjoint, il y a quelques mois. Je pense que ça a joué dans notre proximité. Il y a eu des épreuves là-bas, même dans le succès. La première saison, elle est difficile. Le match avant la trêve, on joue Auxerre à la maison et y a des pancartes Deschamps démission derrière le but. Quatre mois plus tard, on fait le doublé". Marseille est ainsi fait. Et la plus grande force de Deschamps, comme toujours, c’est d’avoir su s’y adapter.
S’adapter politiquement à un été ravageur où il en sera sorti renforcé malgré le couac Bernès. "C’est Deschamps qui pousse pour un mercato de qualité, rappelle Fabrice Lamperti, journaliste à La Provence. Il voulait des joueurs expérimentés qui pourraient lui permettre de mettre son projet en place. En plus, il avait fait le constat simple qu’il ne pourrait pas s’appuyer sur la formation à Marseille. Il avait besoin de joueurs expérimentés". Si , pour ne citer qu’eux, c’est aussi parce que l’argument Deschamps joue à plein. Et aussi parce que c'est pour lui que l'OM consent à faire de l'Argentin le plus gros investissement de son histoire.
S’adapter tactiquement après un début difficile où son 4-4-2 imaginé est rapidement remisé au placard pour faire place à un 4-3-3 plus conforme à son effectif. Le repositionnement de M’bia dans l’axe et le choix délibéré d’aligner Mamadou Niang sur un côté pour qu’il profite du travail de sape de Brandao (ça ne vous rappelle pas un autre attaquant décrié ?) sont autant de choix forts que payants. "Il savait qu’il y avait beaucoup d’attentes, il n’est pas né de la dernière pluie, précise Lamperti. Au début il tâtonnait, il a eu tous les moyens qu’il voulait, il ne pouvait pas se plaindre, se cacher derrière ça. Il a eu du mal à mettre en musique tout ça mais petit à petit, il a appris de ses erreurs, il s'est fait une meilleure idée de l’équipe qu’il avait à sa disposition".
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Didier Deschamps et Brandao

Crédit: Getty Images

Le symbole Valbuena

S’adapter dans le management pour faire passer des consignes à un groupe encore marqué par l’affectif Gerets. "Avec Deschamps, c’étaient des objectifs à très court terme, se souvient Fabrice Abriel. C’est-à-dire le match suivant. Ça ressemble à de la langue de bois mais ça n’en est pas. Il n'a jamais été dans l’émotion du match qui venait de se finir. On s’enflammait pas quand on gagnait mais à l’inverse on tombait jamais dans la psychose quand on perdait". Pour se mettre un groupe dans la poche, rien de tel que de le responsabiliser. A cet égard, la réunion entre joueurs post-Montpellier, provoquée par Deschamps lui-même, ressemble à un coup de poker gagnant.
S’adapter humainement, enfin. Peut-être le plus difficile car ménager les sensibilités et les ego dans un groupe taillé pour gagner n’est jamais une sinécure. "Un joueur qui ne joue pas ne comprend jamais. Accepter, oui, ils acceptent, ils sont bien obligés. Mais comprendre, non…", lâche-t-il en fin de saison, interrogé sur la résurrection de Mathieu Valbuena sous ses ordres. Rétrospectivement, imaginer "Petit Vélo" et DD en froid fait sourire. Car à Marseille puis en équipe de France jusqu’à l’affaire de la sextape, le meneur de jeu de poche sera un des hommes de bases de Deschamps.
Reste que le début est calamiteux. Adoré par Gerets, le numéro 28 est mis de côté par DD à son arrivée. Le joueur se renferme, des malentendus s’installent et la communication est brouillée. Mais, pragmatisme oblige - mot magique quand il convient de mentionner Deschamps -, les deux parties se rapprochent quand elles comprennent qu’elles ont besoin l’une de l’autre. Et grandissent ensemble. "J’ai été suffisamment critique envers le coach, estimant que Mathieu vivait une injustice, pour ne pas lui rendre crédit de ce qu’il a fait, expliquait à l’époque notre consultant Christophe Hutteau, agent de Valbuena sur la période. Mathieu a d’ailleurs franchi un cap aux côtés de cet entraîneur, gagnant en efficacité et en lucidité".

Le chassé-croisé avec Blanc

De ce doublé, Deschamps ressort forcément grandi. Parce qu’il a gagné, déjà. Mais surtout parce qu’il a gagné à Marseille, ce qui change beaucoup de choses. Jusqu’à alors, sa carrière d’entraîneur l’avait mené sur des défis qu’il n’avait pas totalement aboutis. A Monaco, son équipe mémorable n’aura finalement rien gagné d’autre qu’une Coupe de la Ligue - et l’immense sympathie du football français.
A la Juventus, les soubresauts politiques internes à la Vieille Dame auront raison de lui après une saison à redorer un blason sali, en permettant au club de remonter dans l’élite italienne. Dans la cité phocéenne, c’est donc le goût du titre qu’il retrouve en tant qu’ancien joueur et qu’il découvre en tant que nouveau coach. Surtout, après Laurent Blanc, il incarne la vague naissante d’anciens champions du monde convertis avec succès à la vie d’après.
Avec Blanc, c’est d’ailleurs un étrange chassé-croisé. Quand il débarque à Marseille en 2009, c’est celui qui dirige les Girondins qui est le coach français le plus en vogue. Et donc celui qui est régulièrement cité pour remplacer Raymond Domenech à la tête des Bleus lorsque celui-ci partira. Ce sera à l’été 2010 au moment où Deschamps gravit des échelons dans cette hiérarchie non-officielle mais bien réelle des sélectionneurs en puissance. Deux ans plus tard, DD succède à Blanc. Avec le succès que l’on connaît. Les Bleus tombent d’ailleurs à point pour l’ancien capitaine de la sélection. Parce que Deschamps et l’OM, ce n’était pas un mariage fait pour durer.
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Didier Deschamps et Laurent Blanc en 2010

Crédit: AFP

L’embrouille avec Anigo

2009-2010 n’aura finalement été qu’une parenthèse enchantée. La suite sera bien plus compliquée à vivre pour le coach mais surtout pour l’homme. Il suffit de se replonger dans les archives pour se rendre compte que le Deschamps de l’OM n’a rien à voir physiquement avec celui qui est champion du monde en 2018. Dans Didier face à Deschamps, sa femme expliquait ce changement de cap : "A Marseille, je voyais qu’il grossissait, qu’il était souvent au frigo mais je ne lui ai rien dit parce qu’à ce moment-là, il n’était pas prêt à l’entendre". Une version confirmée par DD lui-même : "J’ai vécu de grands moments à Marseille, de grands moments d’émotion. Mais j’ai morflé parce que j’ai fini très fatigué et amoché physiquement".
Sportivement, son OM gagne pourtant trois Coupe de la Ligue consécutives (2010, 2011 et 2012) et réussit à rejoindre le top 16 européen en se qualifiant deux années de suite pour les 8es de finale de Ligue des champions. C’est pourtant dans cette compétition, lors d’un quart de finale face au Bayern en 2012, que le divorce va être le plus violent. Car, politiquement, DD finit par se perdre dans des guerres intestines.
Avec José Anigo notamment, avec qui la communication est rompue. Problématique entre un coach et son directeur sportif. Tout Marseille pâtit de la situation, d’autant que l’équipe ne répond plus sportivement en cette saison 2011-2012, du moins en championnat. Mi-octobre, la situation vire à l’orage. Après une victoire dans un Vélodrome clairement hostile (2-0), Anigo déclenche la guerre en qualifiant le coach olympien de "Calimero". Deschamps riposte avec une réplique devenue célèbre : "Personne n’a le monopole de l’amour de l’OM". "C’est moi qui lui souffle ça, nous apprend Guy Stéphan, lui aussi en première ligne de la guerre qui s’ouvre. Au quotidien, c’était dur. Ça forge un caractère, on ne peut pas rester indemne par rapport à ça".
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Didier Deschamps et José Anigo

Crédit: Eurosport

Même les Allemands ne comprenaient pas
Puis vient le Bayern et cette grève des supporters en quarts de finale de Ligue des champions, le premier, évidemment, depuis 1993. Même huit ans plus tard, Deschamps en garde une rancœur tenace. "C’était un moment important, Marseille sur la scène européenne, on sait ce que ça représente, expliquait-il fin 2018. Ça n’avait pas empêché les supporters de faire la grève… Quand c’est irrationnel… Je peux comprendre les désaccords mais là. Quart de finale de C1, il y a le Bayern... Qu’est-ce qui peut justifier ça ? Rien. Que tu cries avant, après, OK. Même les Allemands ne comprenaient pas. Ils me demandaient : ‘Comment c’est possible ?’. Bah c’est Marseille…"
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Un banderole anti-Deschamps face au Bayern

Crédit: Getty Images

La crise couve depuis de longs mois mais c’est l’épisode de trop pour DD. A l’été 2012, il quitte le navire, laissant finalement un souvenir mitigé sur la Canebière. "Deschamps est un personnage apprécié, respecté mais un peu clivant, notamment par rapport au fait qu’il pense plus à la gagne qu’au jeu, analyse Fabrice Lamperti. A Marseille, il y a toujours cette envie de s’enflammer au stade, de voir des buts, de faire honneur à la devise". Des reproches qui résonnaient encore après le sacre mondial des Bleus en Russie. Deschamps, lui, n’en a cure. Car à Marseille, comme chez les Bleus, il est resté fidèle à sa philosophie première : gagner. Ce n’est pas l’équipe de France qui s’en plaindra.
Dossier réalisé par Glenn CEILLIER, Christophe GAUDOT et Cyril MORIN, avec Erwan GELOEN / visuel : Quentin GUICHARD
*Le titre de 1992-1993 sera annulé par la FFF après l’affaire de corruption OM-VA
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