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Bâle, le cache-misère

Eurosport
ParEurosport

Mis à jour 22/02/2012 à 15:59 GMT+1

La réussite du FC Bâle en C1 éclipse l'état de sinistrose dans lequel est plongé le football suisse depuis des années. Les turbulences connues par ses porte-drapeaux les plus glorieux sont les symboles d'une crise profonde et sans issue visible à court terme. Enquête avant la réception du Bayern.

FC Bâle

Crédit: Reuters

Le Parc Saint-Jacques en frissonne d'avance. Mercredi, ses 38.500 places seront occupées. Bâle ne vibre pas tous les soirs au rythme d'un 8e de finale aller de Ligue des champions. Qui plus est face à un ogre européen, le Bayern Munich. Pour s'offrir ce luxe, l'équipe d'Heiko Vogel a dû s'offrir le scalp d'un autre géant en phase de poules : Manchester United. Et voilà comment le leader du championnat suisse côtoie les grands du Vieux-Continent. Cette réussite fait la fierté du football helvétique. Elle est surtout son cache-misère. Gilbert Gress peut en témoigner : à 70 ans, le technicien alsacien a coaché les places fortes du pays. Du Neuchâtel Xamax au FC Sion, en passant par le Servette de Genêve et le FC Zurich. Et à ses yeux, "Bâle est l'arbre qui cache la forêt". Car de l'autre côté des Alpes et du Jura, le paysage n'est pas aussi apaisant qu'il y paraît.
A l'échelle du foot, le tableau a été quelque peu défiguré par les égarements de ses porte-drapeaux les plus glorieux. Il y a quelques semaines, le Neuchâtel Xamax a payé au prix fort neuf mois d'une gestion tumultueuse de son propriétaire tchétchène. Résultat : dépôt de bilan. Depuis le mois d'août, le FC Sion est empêtré dans une histoire de transferts interdits. Résultats : une guerre interminable contre les instances internationales et helvétiques, une exclusion de la Ligue Europa, 36 points de pénalité en Championnat.
Luccin: "Peu d'équipes posent le jeu"
Auparavant, Lausanne (en 2003) et le Servette Genève (en 2005) avaient, eux aussi, traversé ses zones de turbulences. Encore des histoires de mécènes peu scrupuleux. "De présidents à l'ego surdimensionné", fulmine Gilbert Gress. Pour le club genevois, les ennuis ne sont pas finis. Des salaires versés en retard, des charges sociales impayées, des prestataires de service qui attendent toujours leur chèque : le Servette est dans le rouge. A tel point qu'il a demandé à étaler sa facture d’électricité. Fin janvier, la Ligue de football suisse lui a donné un mois pour redresser la barre. Sinon ? Sinon le club aux dix-sept titres de champion et aux sept Coupes de Suisse mettra la clé sous la porte. Une fois de plus.
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FC Sion's Xavier Margairaz (C) fights for the ball with FC Basel's (FCB) Benjamin Huggel (R) and Granit Xhaka during their Swiss Super League soccer match in Basel, February 5, 2012.

Crédit: Reuters

Voilà pour l'envers du décor. Sur le terrain, il est à peine plus reluisant. Depuis quatre mois, Peter Luccin a posé ses valises en Suisse. Le milieu de terrain français de Lausanne y a découvert "un championnat très physique, mais techniquement assez moyen, nettement en-dessous de l'Espagne, de l'Italie voire de la France, où peu d'équipes arrivent à poser le jeu". Mais où on marque sensiblement autant qu'en Liga (2,63 buts en moyenne par match). "Collectivement, c'est beaucoup plus limité, souligne Luccin, passé le Celta Vigo et l'Atletico Madrid. Dans chaque équipe, il y a un ou deux joueurs très bons techniquement, au-dessus du lot. Mais tactiquement, ça manque de rigueur."
Gress: "La faute des présidents"
Le niveau a considérablement baissé, reprend Gress. Mais c'est normal. Les clubs suisses sont malades de leurs dirigeants. Aujourd'hui, n'importe quel guignol fortuné peut débarquer et acheter un club du jour au lendemain. Si le Servette, Sion et Neuchâtel en sont là aujourd'hui, c'est avant tout la faute de leur président. Au lieu de bâtir sur la durée, ils inventent toujours quelque chose pour qu'on parle d'eux. De ce point de vue, c'est réussi. Les présidents sont devenus plus connus que leurs joueurs. Ce n’est jamais bon signe. Qui connaît le nom du président du Barça ou de Manchester United ?  Pas grand-monde. Et pourtant, ce sont des modèles de réussite."
Ces modèles, les clubs suisses aimeraient volontiers s'en inspirer. Encore faut-il qu'ils en aient les moyens. "La Suisse a beau être un pays riche, elle n'a pas la puissance démographique suffisante pour rivaliser avec ses voisins européens, explique Wulfran Devauchelle, consultant sport pour le cabinet Kurt Salmon. Avec seulement 8 millions d'habitants, son marché économique est forcément plus restreint." La preuve en chiffres : selon le dernier rapport annuel de l'UEFA, le budget moyen d'un club suisse atteint péniblement les 15 millions d'euros. En Angleterre, il est multiplié par neuf. En Espagne, par six.
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Supporters FC Bâle

Crédit: Reuters

En Allemagne, chaque rencontre de Bundesliga attire, en moyenne, 42.665 spectateurs. En Super League, ils ne sont que 11.365. Contre moins de 8000 cinq ans plus tôt. L'Euro 2008 a bien contribué à cette affluence croissante. Sans pour autant remettre le football suisse sur les rails. "Il a juste permis la modernisation et la construction des stades, reconnaît Gress. Aujourd'hui, on a de beaux stades, mais on n'a plus d'équipes." Wulfran Devauchelle y voit les méfaits d'"un cercle vicieux". "Le football suisse a besoin de grands joueurs pour attirer du monde au stade et se développer économiquement. Or, pour attirer des grands joueurs, il faut des moyens économiques que les clubs suisses n'ont pas." Les 30 millions d'euros annuels de droits TV que se partagent les dix équipes de Super League ne comblent pas la faiblesse de leurs autres recettes.
Vendre à tout prix
Pour "survivre", les clubs sont, dixit Gress, obligés "de vendre leurs pépites pour des bouchées de pain". Toutes proportions gardées, ça ressemble curieusement au mal qui ronge le football français. "La Suisse est devenue le centre de formation de l'Europe, constate Luccin. Les clubs allemands et anglais viennent piocher dans le championnat suisse pour se renforcer." C'est le cas du Bayern. Les dirigeants munichois ont déjà convaincu leurs homologues bâlois de céder leur joyau, Xherdan Shaqiri. Même le leader du championnat suisse ne pouvait pas se permettre de refuser l'offre bavaroise, évaluée à 12 millions d'euros. "Les joueurs sont beaucoup moins chers que ceux formés en France, qui reste quand même la référence en Europe dans ce domaine", croit savoir Luccin.
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FOOTBALL Shaqiri Basel Bayern 2011

Crédit: Imago

Dans la pratique, les clubs suisses se retrouvent ainsi en situation de dépendance économique. "Pillés", corrige Gress. "La Suisse ne récolte pas les fruits de son énorme travail sur la formation, dénonce-t-il. Ce sont les grosses écuries européennes qui en profitent. Depuis une douzaine d'années, la formation suisse a copié le modèle français. Ça a marché. Beaucoup de jeunes talents sont sortis. La sélection des moins de 17 ans a été championne du monde. Mais deux ans plus tard, ils jouent presque tous à l'étranger."  A priori, ce rapport de forces n'est pas prêt de s'inverser. "La Suisse est condamnée à rester un championnat européen de seconde zone", prédit Wulfran Devauchelle. "Sauf si les règles du jeu changent", coupe Gress. L'ancien coach du RC Strasbourg voit bien une solution, "la seule capable d'aider le football suisse à relever la tête" : "Il faut légiférer pour limiter le nombre de joueurs étrangers dans chaque club." A Bâle, ils ne représentent qu'un tiers de l'effectif.
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