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Mourinho, les amoureux du foot s'ennuieraient sans lui

Philippe Auclair

Mis à jour 24/04/2014 à 06:10 GMT+2

Philippe Auclair n'a rien raté de la négation de football professée par Chelsea à Madrid mardi. Ni des réactions qu'elle a suscitées.

Philippe Auclair et José Mourinho

Crédit: AFP

Un polar sans méchants, ça ressemble à quoi? Au bout du compte, à un film dont tout le monde se fiche, projeté dans une salle de cinéma vide. Il en va de même en football. Un football qui ne serait que celui d’artistes du ballon, de ballerines en crampons, sans un boucher qui leur taillade les jarrets, sans un truqueur qui se nourrisse de l’indignation des autres, sans ces brutes qu’on aime détester, pouvez-vous imaginer un spectacle plus fade? Joli, comme Marie-Antoinette jouant à la bergère dans sa fermette du Petit Trianon; mais, passé quelques ‘oh’, quelques ‘ah’, on s’ennuie ferme. On attend les sans-culottes. Et quand ils arrivent, d’un coup d’un seul, l’intérêt se ravive.
Idem lorsque José Mourinho nous sert un de ces plats – de résistance, à tous les sens du mot – dont il a le secret. A en juger par ce qui dit de la performance de Chelsea au stade Vicente Calderon mardi soir, peu de gens l’ont trouvée digeste. C’était pourtant une sorte de chef-d’oeuvre. Hideux, je l’admets. Mais aussi une distillation de ce que peut être le football dans l’esprit d’un entraîneur qui n’aurait pas eu grand-chose à apprendre des apôtres du jeu qu’on appelait ‘réaliste’ dans les années 1970, en se pinçant le nez.
L’Atletico de Simeone est tout sauf une gravure de mode, ce qui n’en rendait la prestation des Blues que plus… comment dire? Ignoble? Admirable? Mourinho n’est pas un génie tactique, en ce sens que l’innovation lui est étrangère.
Les statistiques faisaient peine à voir, mais valaient la peine d’être étudiées. L’Atletico de Simeone est tout sauf une gravure de mode, ce qui n’en rendait la prestation des Blues que plus… comment dire? Ignoble? Admirable? Mourinho n’est pas un génie tactique, en ce sens que l’innovation lui est étrangère. Il n’est pas un Chapman, un Sacchi, voire même un Bilardo. Ses plans de jeu sont simples. 4-2-3-1, 4-3-3, point-barre. C’est dans l’exécution de ces plans qu’il est sans rival; nul manager contemporain ne parvient à faire accepter une telle discipline à ses joueurs dans le replacement défensif et l’équilibre des lignes. S’il a pu faire jouer Samuel Eto’o arrière gauche à l’Inter, ce n’était pas sous le coup d’une inspiration subite, mais après avoir identifié une question à laquelle Barcelone ne pouvait répondre.
Mourinho pose peu de questions. Mais il sait, mieux que personne, apporter des réponses aux situations qu’il a envisagées. Vous vous souvenez sans doute que les Blues avaient répété à l’entraînement toutes les permutations possibles avant le match retour contre le PSG, l’une des séances – la veille du match – étant consacrée au déploiement d’une ligne d’attaque composée de trois avant-centres, Eto’o, Torres et Ba, celle-là même qui arracha la qualification. Mission: abolir le hasard. Quand Martinez fait jouer Lukaku faux ailier droit contre Arsenal ou que Rodgers met Sterling à la pointe d’un losange – ou que Guardiola poste Philip Lahm en premier relayeur devant son back-four -, ce n’est pas par pragmatisme, ou pas seulement. C’est aussi par goût de l’invention, pour maximiser les capacités créatrices de leur groupe. Mourinho n’a pas dû être trop souvent troublé par ce genre de glissements de la pensée. Pour gagner, il faut détruire. Ga-nier, si vous excusez le néologisme. Et contre l’Atletico, on a atteint les sommets (les profondeurs?) de la négation.
Le football du XXIe siècle a vu l’offensive reprendre le dessus, au risque, parfois, qu’on perde de l’âpreté d’autrefois. Mourinho est l’antidote, la pincée de sel, le doigt de piment.
Seulement 64% de réussite dans les passes, seulement trente-quatre d’entre elles dans les trente mètres des Madrilènes, seulement 30,7% de possession du ballon, seulement cinq tirs (dont aucun n’a troublé Courtois), contre vingt-cinq à son adversaire… Vous lisez cela, vous vous dites: ‘cette équipe-là a dû se faire manger’. Oh que non. Quarante-six fois, l’Atletico a centré. Pour que le ballon arrive sur la tête de Gary Cahill ou John Terry, presque immanquablement. Les adjoints et analystes de Mourinho (au nombre de huit) avaient planché sur l’organisation des colchoneros la minute même où le tirage au sort des demis-finales avaient été effectué. Le danger ne viendra pas des ailes, avaient-ils conclu. Qu’ils débordent, qu’ils centrent, nous avons les moyens d’étouffer la menace; empêchons-les plutôt de trouver quelque espace que ce soit dans l’axe; et quand nous récupérons le ballon, sautons les lignes et cherchons Fernando Torres; il suffit que ça passe une fois. On est loin de ce que Mourinho disait du Chelsea de Di Matteo et de Benitez lorsqu’il revint à Stamford Bridge: Je ne veux pas défendre avec un bloc bas. Je ne veux pas voir de défenseur central jouer en milieu de terrain. Je ne veux pas de longs ballons envoyés à un attaquant solitaire’. Autant de voeux pieux laissés dans le bus de son équipe à Madrid, sans qu’on ait le sentiment que cela cause un grand désarroi moral à son manager.
C’est ainsi que Mourinho se rend indispensable. Il est un anti-aimant, un repoussoir. Dans La Belle et la bête, le monstre devient un Prince charmant. José, lui, sera toujours José. Le football du XXIe siècle a vu l’offensive reprendre le dessus, au risque, parfois, qu’on perde de l’âpreté d’autrefois. Mourinho est l’antidote, la pincée de sel, le doigt de piment. Son goût de la polémique l’entraîne souvent sur des terrains douteux, c’est vrai. Le personnage est détestable, en ce sens qu’il inspire la détestation. Ses déclarations d’après-match à Madrid, dans lesquelles il a évoqué la tentation d’aligner une équipe ‘B’ à Liverpool ce dimanche – alors que Chelsea, mathématiquement, conserve une chance de gagner le titre en cas de victoire à Anfield – ont causé une grande sensation au Royaume-Uni, même s’il est probable qu’il s’agissait d’abord de semer le doute quelques jours de plus dans l’esprit de Diego Simeone.
Il est comme le scorpion de la fable, qui, traversant un fleuve sur le dos d’une grenouille, piqua celle-ci, sachant qu’il se noierait. ‘Mais pourquoi m’as-tu piqué?’, demanda la grenouille en expirant. ‘C’est dans ma nature’, répondit le scorpion. ‘Je suis incapable d’y résister’. Mais ce que le scorpion avait fait par instinct, Mourinho le fait par calcul.
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