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Ligue des champions : Savoir subir est-il plus important que maîtriser ?

Christophe Kuchly

Mis à jour 02/05/2019 à 15:55 GMT+2

LIGUE DES CHAMPIONS - Pas toujours dominateurs lors des demi-finales aller et pourtant vainqueurs, l'Ajax Amsterdam et Barcelone ont fait un pas vers la finale grâce à leur capacité à souffrir sans craquer.

Vidal Valverde Barcelone

Crédit: Getty Images

A priori, de là où il est, Johan Cruyff aurait tout pour être heureux. Un but d'avance pour son club de cœur, trois pour son club d'adoption… Encore plus que la finale de la Coupe du monde 2014 entre les Pays-Bas et l'Espagne, qui fut pour lui l'occasion d'exprimer son rejet du virage pris par la sélection néerlandaise, le possible duel pour le plus prestigieux titre européen couronnerait le développement de deux clubs qu'il a largement influencés. Et pourtant, c'est en apprenant à s'éloigner des principes du mentor de toute une école de jeu que les deux formations ont su faire la différence en ce milieu de semaine.

Changement d'approche

Le cas le plus emblématique est évidemment celui du Barça. Une nouvelle fois, et peut-être plus que jamais auparavant, Ernesto Valverde a en effet adopté une approche réactive. L'entraîneur barcelonais, dont le 4-4-2 s'est accompagné de la titularisation d'Arturo Vidal, a d'abord voulu contrôler l'impact physique mis par Liverpool. Là où Cruyff pensait avant tout à la manière d'attaquer pour déstabiliser l'adversaire, réglant les problèmes défensifs par encore plus d'ambition d'aller de l'avant, son ancien joueur a cherché le meilleur contre-modèle à la force de frappe de Liverpool.
Exit donc la volonté de contrôler le milieu, où les Reds ont été en supériorité numérique toute la rencontre. Exit aussi les relances systématiques depuis le gardien, qui créent des décalages quand l'adversaire joue haut mais obligent à la perfection balle au pied. Même le pressing, qu'il maîtrisait si bien du temps où il coachait Bilbao, n'a quasiment été fait qu'à la perte du ballon. Habitué à contrôler le match par le ballon, Barcelone a cette fois essayé de le faire sans, Lionel Messi se chargeant de tout une fois celui-ci récupéré.
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Neres Sissoko Tottenham-Ajax

Crédit: Getty Images

Côté néerlandais, la situation est plus nuancée. D'abord un peu secoués par l'intensité de Tottenham, les Ajacides ont progressivement mis le pied sur le ballon, bloquant dans son camp une équipe qui n'avait pas les relais pour sortir sous pression et devait vite rendre la balle. Une domination sans partage, récompensée d'un but, qui s'est achevée avec l'entrée de Moussa Sissoko en fin de première période. Passés du 5-3-2 au 4-4-2 losange, les Spurs ont densifié le milieu de terrain et gagné la bataille du contrôle.
Forcés de combattre pour avoir le ballon, les hommes d'Erik ten Hag sont alors apparus un peu lents et un peu frêles, la qualité technique ne compensant plus ce petit temps de retard. Leur pressing étant contourné par la voie aérienne, Tottenham jouant long vers le grand Fernando Llorente, il a fallu défendre. Plus ou moins volontairement, le Barça et l'Ajax, dont l'idée historique est d'appliquer un modèle dominant qui fonctionne peu importe le contexte, ont donc subi pendant de longues périodes. Et la manière dont elles sont su le gérer force le respect.

Jeu et préjugés

Qu'on trouve cela logique ou non, la Ligue des champions couronne les équipes qui brillent dans les deux surfaces. Dans ces rencontres aller-retour où les niveaux sont proches, il ne s'agit pas tant de maîtrise que de gestion des temps forts et des temps faibles. En clair, puisqu'il paraît improbable de dominer un autre "grand" pendant 180 minutes, il faut savoir marquer quand on a le dessus et résister quand cela va moins bien. Voilà pourquoi, avec Cristiano Ronaldo dans une surface et Sergio Ramos dans l'autre, le Real Madrid y a beaucoup plus brillé que dans une Liga où il peinait à contrôler son sujet semaine après semaine. Ce profil d'équipe, symbolisé par quelques grands entraîneurs transalpins involontairement responsables de l'expression "victoire à l'italienne", est a priori incompatible avec celles qui aiment faire des passes. Dans la version moderne du football total, avoir le ballon est en effet aussi le meilleur moyen de défendre. Si l'adversaire n'est jamais dans votre camp, personne ne saura que vos défenseurs centraux sont limités…
En prenant le contrôle du cuir sur de longues séquences, Tottenham et Liverpool, qui figurent tous deux dans le top 10 européen en championnat et savent donc quoi faire une fois en possession du ballon, ont sorti leur adversaire de sa zone de confort. Largement favoris à peu près tous les week-ends, l'Ajax et Barcelone n'ont en effet pas souvent l'occasion de défendre, et subissent surtout des transitions - des situations difficiles où il faut gérer le mouvement et l'espace face à des attaquants lancés à pleine vitesse. Vu la rapidité de Mohamed Salah et consorts, les Catalans ont tout fait pour que la situation n'arrive pas, tandis que les Amstellodamois n'ont pas eu le luxe de choisir. Dans les deux cas, pas question de possession défensive ou de défense en avançant : Piqué, Lenglet, De Ligt et Blind ont dû tenir leur poste. Défendre au sein d'une équipe repliée, avec ce que cela implique de duels, de concentration et de roublardise.

Effet Ligue des champions

Et c'est là que se situe le grand enseignement des demi-finales, le drôle de point commun entre deux formations dont la volonté de gagner avec la manière - même si le Barça s'est bien éloigné de l'époque Guardiola-Vilanova - peut donner l'impression qu'elles sont naïves. Romantiques par pragmatisme, parce qu'ils sont convaincus que cette façon de faire n'est pas seulement jolie mais le meilleur moyen de gagner, les vainqueurs de la semaine ne sont pas tombés amoureux de leurs idées. Eux qui alternaient entre lauréats grandioses et perdants magnifiques selon la réussite de l'entreprise ne sont cette fois ni l'un ni l'autre. Simplement des équipes douées qui, faute de pouvoir réciter un football rempli de constructions en triangle et de combinaisons sur tout le terrain, font le sale boulot quand la situation l'exige.
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Lenglet Wijnaldum Barcelone-Liverpool

Crédit: Getty Images

Alors, intelligence du coach ou perte d'identité ? Pour l'Ajax, qui a reculé par obligation et rappelé les limites individuelles de plusieurs joueurs, on ne peut que saluer l'adaptation en cours de rencontre. Avec, aussi, ce que cela implique de questions en vue du match retour. Dominés dans l'entrejeu par Tottenham, les Néerlandais pourront-ils tenir longtemps en bloc bas avec Son face à eux ? Et tenteront-ils des renversements de jeu, problèmes insolubles pour les systèmes en losange mais qui les empêcheraient de garder la proximité avec le ballon qui permet de presser quand il est perdu ? Des alternatives existent, encore faut-il que le score justifie de sortir d'un modèle qui a si bien marché jusqu'ici…
Côté barcelonais, la question est plus ambigüe. Depuis son arrivée à la tête du club, Ernesto Valverde écrase le championnat mais ne convainc pas des supporters qui veulent plus que des résultats. Avec l'intégration de Clément Lenglet, dont les qualités de lecture des trajectoires complémentent parfaitement celles d'un Gerard Piqué redevenu excellent, il a le personnel pour jouer bas en cas de besoin. Et, offensivement, les profils d'Ousmane Dembélé, Philippe Coutinho, Arturo Vidal et Arthur, tous différents dans les zones occupées et choix de jeu, lui permettent de s'adapter d'une rencontre à l'autre. Adaptation : un mot tabou au Camp Nou, qui est pourtant le point commun des derniers vainqueurs. Car si les points forts font gagner les matches, c'est désormais l'absence de points faibles qui fait gagner la Coupe.
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